Giorgia Meloni, dont le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia a triomphé lors des législatives, a réussi à canaliser à la fois les aspirations des électeurs conservateurs et le ressentiment à l’égard du gouvernement de Mario Draghi, sans pour autant renier totalement les racines néofascistes de son mouvement.
Après avoir déposé son bulletin de vote dans l’urne, dimanche 25 septembre, l’ancien Premier ministre italien Silvio Berlusconi s’est arrêté quelques instants pour discuter avec des sympathisants. Jamais avare d’une fanfaronnade, il s’est décrit devant son auditoire comme le seul dirigeant politique d’Italie à avoir travaillé pour gagner sa vie.
Interrogé sur l’ascension étonnante de Giorgia Meloni, et s’il pensait qu’il fallait s’en inquiéter, il a répondu le visage grave : “Oui, elle est un peu effrayante”.
L’opinion de Silvio Berlusconi sur son encombrante partenaire de la coalition, dominée par l’extrême droite, reflète les nombreux paradoxes d’un scrutin imposé à l’Italie après la chute prématurée de son Premier ministre le plus respecté depuis des décennies, Mario Draghi.
Les résultats du vote de dimanche devraient marquer un changement capital pour l’Italie, en portant la première femme au pouvoir tout en offrant le contrôle du pays à la coalition la plus rétrograde depuis la Seconde Guerre mondiale – une alliance baroque de populistes, d’eurosceptiques et de nationalistes d’extrême droite imprégnés d’une idéologie revancharde.
Les Fratelli d’Italia (les Frères d’Italie) de Giorgia Meloni se sont imposés comme le pilier central de cette alliance, avec un quart des voix et dépassant aisément le score combiné de ses deux alliés, la Ligue anti-immigrés de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, tous deux plafonnant à moins de 9 %.
À eux trois, ces partis sont en passe d’obtenir la majorité dans les deux chambres du Parlement, grâce à une loi électorale que toutes les forces politiques s’accordent à qualifier d'”imposture”, mais qu’elles se sont montrées incapables de modifier.
“Les Italiens nous ont choisis”, a claironné, après le vote, une Giorgia Meloni triomphante devant ses partisans, alors que sa coalition n’a pas réussi à atteindre la barre des 50 %, en raison d’un taux d’abstention record. Une donnée qu’elle s’est évidemment abstenue de rappeler.
Silvio Berlusconi, quant à lui, a promis d’être le “meneur de jeu” de la coalition, en revenant au Sénat dix ans après avoir été expulsé du Parlement et interdit de fonction publique pour fraude fiscale. Âgé de 85 ans, il s’est fait réélire à Monza, en Lombardie (nord), sous l’étiquette de son parti Forza Italia.
Meloni “a cannibalisé ses alliés de droite”
Le déclin de l’ancien Premier ministre – qui a chamboulé la politique italienne il y a trois décennies et inauguré l’ère du populisme – est à l’origine de la montée en puissance de Giorgia Meloni.
Le règne absolutiste de Silvio Berlusconi sur son parti n’a jamais permis l’émergence d’un successeur, pas même lorsqu’il effectuait sa peine de travaux d’intérêt général dans un hospice pour personnes âgées. Sa disparition progressive a laissé un vide à droite, dans lequel Giorgia Meloni s’est engouffrée avec succès.
“Le déclin de Berlusconi a ouvert un espace énorme devant les électeurs de centre-droit, qui représentent traditionnellement une part décisive de l’électorat, explique Maurizio Cotta, professeur de sciences politiques à l’Université de Sienne. Salvini a occupé une partie de cet espace pendant un certain temps, maintenant c’est le tour de Meloni”.
La dirigeante d’extrême droite a bénéficié de la faiblesse et des maladresses de ses alliés de droite, chipant les soutiens de Matteo Salvini, autrefois populaire et dont la cote a dégringolé depuis une prise de pouvoir ratée en 2019.
Fait notable, elle y est parvenue sans avoir de ligne politique personnelle. Giorgia Meloni a fait sienne la rhétorique anti-immigrés du leader de la Ligue et le mantra de réduction des impôts de Silvio Berlusconi, tout en promettant une discipline fiscale dans un clin d’œil appuyé au patronat alarmé par l’éviction de Mario Draghi.
Alors que les ménages et les entreprises italiens sont confrontés à des dépenses d’énergie extrêmement élevées à l’approche de l’hiver, elle s’est fermement opposée à la volonté de Matteo Salvini de faire gonfler la dette italienne, déjà énorme, pour financer les mesures d’allègement de la facture énergétique.
“Elle est apparue comme une politicienne plus perspicace et plus crédible que Salvini, offrant une opposition responsable et maintenant des relations cordiales avec Draghi”, souligne Maurizio Cotta.
“Meloni a effectivement cannibalisé ses alliés de droite”, indique de son côté, dans un éditorial, Massimo Giannini, rédacteur en chef de La Stampa, notant que la leader d’extrême droite a réussi à canaliser à la fois les espoirs des électeurs de droite et le ressentiment de ceux qui étaient hostiles au gouvernement sortant.
Dans un pays habitué à sanctionner les sortants, Giorgia Meloni a bénéficié d’un avantage décisif sur tous les autres partis. Sa décision de ne pas faire partie de la coalition d’union nationale de Mario Draghi a fait d’elle la seule force d’opposition, et donc un destinataire naturel du vote sanction en Italie.
Cela lui a permis de “capitaliser sur le ressentiment d’une partie de la population à l’égard du gouvernement de Draghi – une administration compétente et efficace qui est également apparue comme austère et technocratique”, explicite Maurizio Cotta.
Après une décennie de turbulences, la promesse de Giorgia Meloni de rendre le pouvoir au peuple italien a fait écho aux électeurs lassés des remaniements de coalition et des cabinets de crise dirigés par des technocrates non élus. Lors des meetings de campagne organisés dans le pays, les électeurs qui avaient soutenu Silvio Berlusconi et Matteo Salvini ont souligné sa “cohérence” et sa “fermeté” dans son refus de conclure des “alliances contre nature” avec la gauche.
Selon Maurizio Cotta, Giorgia Meloni devra désormais prouver qu’elle peut faire des compromis avec ses très particuliers partenaires de droite – même si elle aura à le faire en jouissant d’une position de force.
“Le nouvel équilibre des forces est extrêmement clair, estime-t-il. Les partenaires autrefois dominants de Meloni sont peut-être encore en train de panser leurs plaies après être devenus des partenaires juniors, mais ils n’ont nulle part où aller. Leur seul chemin vers le gouvernement est derrière Meloni.”
La culture antifasciste italienne en recul
L’unique expérience de Giorgia Meloni au sein d’un cabinet remonte à 14 ans, lorsque Silvio Berlusconi l’avait sortie de l’anonymat en lui confiant le portefeuille de la Jeunesse dans le dernier de ses quatre gouvernements.
Militante d’extrême droite depuis l’âge de 15 ans, Giorgia Meloni a créé son propre parti en 2012 avec d’autres anciens membres du Mouvement social italien (MSI), une formation néofasciste fondée après la guerre par des partisans du dictateur Benito Mussolini. Elle a baptisé son mouvement d’après les premières lignes de l’hymne national italien : Fratelli d’Italia.
Depuis lors, elle a progressivement réussi à faire monter son parti, sans jamais répudier complètement ses racines. Elle a notamment rejeté les appels à retirer du logo de son parti la flamme tricolore qui était un emblème du MSI.
Giorgia Meloni, qui a été élevée par une mère célibataire dans un quartier populaire de Rome, a cultivé un certain franc-parler et une forte personnalité. Elle se décrit comme conservatrice, bien qu’une grande partie de la presse étrangère la qualifie d’extrême droite. Elle dit défendre le patriotisme et les valeurs familiales traditionnelles, tout en critiquant le politiquement correct et les élites globalisées. Dans un discours enflammé en faveur du parti d’extrême droite espagnol Vox en juin, elle a fulminé contre la “violence islamique”, “l’idéologie du genre” et le “lobby LGBT”.
La dirigeante de 45 ans s’est toutefois adoucie pendant la campagne électorale, mettant à mal les tentatives de ses adversaires de la décrire comme une menace pour la démocratie, l’État de droit et la position de l’Italie dans l’Union européenne.
À la fin du mois d’août, elle a enregistré un message vidéo en trois langues pour assurer aux partenaires de l’Italie qu’elle s’en tiendrait aux alliances traditionnelles de Rome, y compris l’Otan. Elle a également qualifié d'”absurdes” les affirmations selon lesquelles elle dirigerait un gouvernement autoritaire comme son allié hongrois Viktor Orban.
“La droite italienne a relégué le fascisme à l’histoire en condamnant sans ambiguïté la privation de la démocratie et les infâmes lois anti-juives”, a-t-elle déclaré dans le message envoyé aux médias étrangers en anglais, français et espagnol.
Cependant, lors de ses meetings de campagne, elle a également cultivé une certaine ambiguïté qui accompagne toujours son parti revanchard, promettant de donner raison à ceux “qui ont dû baisser la tête pendant de nombreuses années, en prétendant qu’ils avaient des idées différentes pour ne pas être ostracisés”.
Alors que Giorgia Meloni perçait dans les sondages, ses adversaires de gauche se sont montrés incapables de s’unir, même face à la perspective du gouvernement le plus à droite depuis Mussolini. Si de l’autre côté des Alpes, les électeurs français se sont mobilisés à plusieurs reprises pour empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir, aucun front de ce type ne s’est matérialisé en Italie – en partie parce que peu d’Italiens classent Giorgia Meloni à “l’extrême droite”.
À cet égard, l’élection de dimanche a démontré que la lutte contre le fascisme qui a accompagné la République italienne depuis l’après-guerre était en recul, a écrit lundi Ezio Mauro, ancien rédacteur en chef de La Repubblica.
“Avec ce vote, un pays indifférent semble avoir amnistié l’héritage du fascisme”, a-t-il déploré, soulignant le “répertoire de souvenirs et de symboles” que Fratelli d’Italia a “maintenu en vie comme un paysage sentimental de référence”.
Cet article a été adapté de l’anglais. L’original est à retrouver ici.