Après la Suède il y a dix jours, c’est au tour de l’Italie de placer une coalition de droite et d’extrême droite au pouvoir, menée par Giorgia Meloni. De quoi susciter les inquiétudes de Bruxelles, qui redoute de voir la troisième puissance européenne ébranler le fragile équilibre des 27. À moins que le parti néo-fasciste ne soit rattrapé par un nécessaire pragmatisme.
Le séisme qui a frappé l’Italie après la victoire de Giorgia Meloni aux législatives se fait sentir aux quatre coins de l’Europe. Depuis la démission de Mario Draghi il y a deux mois, les dirigeants européens assistaient médusés à l’inexorable ascension de la candidate d’extrême droite dans les intentions de vote. C’est désormais officiel : l’alliance, formée par Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, est arrivée en tête des élections législatives, lundi 26 septembre. Ces trois partis ont raflé entre 41 % et 45 % des voix, selon la Rai. Suffisamment pour obtenir une majorité. La politicienne de 45 ans, chrétienne, conservatrice et antisystème est en passe de devenir la première femme d’Italie à prendre la tête d’un gouvernement.
Il s’agit surtout de la première fois qu’un parti d’extrême droite se retrouve à la tête d’un pays fondateur de l’Union européenne. À Bruxelles, on redoute déjà une série de crises et bras de fer avec les institutions. Des craintes largement relayées en amont des élections par les opposants, dont Enrico Letta, le patron des démocrates. “Avec Poutine ou avec l’Europe. Choisis”, intimait-il à la candidate lors de la campagne des législatives. Il estime que la leader de Fratelli d’Italia” veut faire imploser l’UE. Son élection serait un cadeau pour Moscou “, a-t-il relayé dans la presse italienne. Un avis partagé par l’hebdomadaire allemand Stern, dont la couverture du dernier numéro présente Giorgia Meloni comme la “femme la plus dangereuse d’Europe”.
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Les institutions européennes menacées
Autre source de préoccupation pour les Européens, les alliés de cette coalition que sont Silvio Berlusconi et Matteo Salvini. Ils ont exigé “des excuses ou la démission” de Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, qui avait évoqué de possibles sanctions “si le prochain gouvernement venait à porter atteinte aux principes démocratiques fondamentaux en Europe.”
Le peuple italien a décidé de reprendre son destin en main en élisant un gouvernement patriote et souverainiste.
Bravo à @GiorgiaMeloni et à @matteosalvinimi pour avoir résisté aux menaces d’une Union européenne anti-démocratique et arrogante en obtenant cette grande victoire !
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) September 26, 2022
Au sein des partis d’extrême droite européens, en revanche, on exulte. “Les Italiens ont offert une leçon d’humilité à l’Union européenne qui, par la voix de Mme Von Der Leyen, prétendait leur dicter leur vote. Aucune menace d’aucune sorte ne peut arrêter la démocratie : les peuples d’Europe relèvent la tête et reprennent leur destin en main !”, a tweeté, bravache, le député européen Jordan Bardella, président par intérim du Rassemblement national. Même enthousiasme chez le dirigeant du parti d’extrême droite espagnol Vox, Santiago Abascal ou au parti du Premier ministre hongrois, Viktor Orban.
Le spectre d’un “Italexit” pour l’heure écarté
Côté institutions européennes, les dirigeants, “les yeux rivés sur Rome, attendent de voir ce que pourrait donner la coalition au pouvoir. Faut-il s’attendre à des relations compliquées comme avec la Hongrie et la Pologne ? Difficile à dire tant Giorgia Meloni a porté un double discours à l’endroit de l’Union européenne”, analyse Alix Le Bourdon, correspondante de France 24 à Bruxelles. La dirigeante politique a en effet cherché “d’un côté à mettre en garde Bruxelles qu’elle allait défendre les intérêts italiens. Et d’un autre, elle a nuancé ses élans europhobes vis-à-vis de la Commission européenne, contrairement à son allié Matteo Salvini”, poursuit la journaliste.
L’élue a d’ailleurs su apporter des gages rassurants à ses futurs partenaires européens, notamment en direction des milieux d’affaires et à l’opinion publique italienne, en rappelant qu’elle n’était nullement favorable à une possible sortie de l’euro, ni à un hypothétique “Italexit”. Pas question non plus de modifier les traités comme veulent le faire le Rassemblement national et La France insoumise en France. En revanche, la quadragénaire italienne ne donnera probablement pas son feu vert à une réforme des traités européens, comme le souhaite Paris. Tout comme elle risque de s’opposer à l’idée d’un consensus sur le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres dans certains domaines de la politique étrangère commune.
Sur le plan diplomatique, le programme commun de la coalition victorieuse prévoit de respecter les accords internationaux de l’Italie en restant dans l’Otan ou en soutenant l’Ukraine. À moins que ses alliés – Matteo Salvini et Silvio Berlusconi -, ne fassent dévier ses positions en faveur de la Russie. Dans une interview accordée le 22 septembre sur la chaîne publique Rai, Silvio Berlusconi a repris les éléments de langage du Kremlin en évoquant “opération spéciale”, au lieu de “guerre”. Il a par ailleurs estimé que Vladimir Poutine “voulait seulement remplacer [Volodymyr] Zelensky par un gouvernement de gens honnêtes”.
Lundi, le Kremlin n’a d’ailleurs pas caché son enthousiasme à l’idée de relations plus “constructives” au matin de la victoire de l’alliance néo-fascistes. “Nous sommes prêts à saluer toute force politique capable de dépasser le courant dominant établi plein de haine envers notre pays (…) et d’être plus constructifs dans les relations avec notre pays”, a déclaré à la presse le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov.
La dette, l’immigration et l’avortement en question
Au chapitre des préoccupations européennes, il faut encore évoquer les enjeux économiques. Il faut dire que la dette italienne atteint 150 % de son PIB. “Malgré cet endettement, la coalition prévoit des baisses d’impôt et des hausses de dépenses publiques”, explique Alix Le Bourdon. Peu de risque toutefois que la majorité au pouvoir remette en cause le plan de relance post-Covid car ce plan, versé par tranche, n’est alloué qu’à condition que les États membres respectent leurs engagements. Il semble peu probable que l’Italie se prive des 140 milliards d’euros qu’elle doit encore percevoir de l’Union européenne.
Enfin, l’Italie pourrait surtout se montrer intransigeante sur le plan des valeurs. Tout porte à croire que les positions de Giorgia Meloni sur l’immigration ou l’avortement créeront du remous au sein des 27. “Sur ces questions, l’Italie pourrait se rapprocher de la Hongrie et de la Pologne”, estime Alix Le Bourdon. La France sera “attentive” au “respect” des droits de l’Homme et de l’avortement en Italie, a d’ores et déjà prévenu la Première ministre Elisabeth Borne.
La fin de la lune de miel franco-italienne
Quant aux relations franco-italiennes, elles pourraient bien s’assombrir. Il n’est pas impossible de voir les contacts entre les deux pays se rompre, estime Marc Lazar, spécialiste de l’Italie, sur Europe 1. “Entre Mario Draghi, le président du Conseil sortant, et Emmanuel Macron, c’était la grande entente. C’était quasiment une lune de miel et il y avait beaucoup d’intérêt commun au niveau européen. […] Giorgia Meloni, parlons clair et je pèse mes mots, est antifrançaise”.
Mais “une fois à Bruxelles, [Giorgia] Meloni apprendra certaines choses sur le tas, conclut Maurizio Cotta, professeur de Sciences politiques à l’université de Sienne. Est-ce pertinent de s’allier avec [Viktor] Orban pour se mettre Paris et Berlin à dos ? Bien sûr, il n’y aura pas de grande sympathie à son égard de la part [du chancelier allemand Olaf] Scholz et de Macron. Et vice versa. Mais quand il s’agira de façonner des politiques européennes, il faudra être pragmatique…”