Face aux menaces touchant la liberté de la presse dans plusieurs États-membres, notamment la Pologne et la Hongrie, l’Union européenne a présenté, vendredi, un projet de règlement intitulé “loi sur la liberté des médias” visant à protéger le pluralisme et l’indépendance des rédactions.
La démarche est inédite. Bruxelles a présenté vendredi 16 septembre un projet de règlement pour protéger le pluralisme et l’indépendance des médias. Dans le viseur : les atteintes à la liberté de la presse dans plusieurs pays membres, dont la Pologne et la Hongrie.
“Ces dernières années, nous avons assisté à diverses formes de pression sur les médias. Il est grand temps d’agir. Nous devons établir des principes clairs : aucun journaliste ne doit être espionné en raison de son travail et aucun média public ne doit être transformé en canal de propagande”, a déclaré la vice-présidente de la Commission, Vera Jourova.
La “loi sur la liberté des médias” prévoit des garanties pour une indépendance éditoriale des rédactions vis-à-vis du pouvoir politique ou des industriels et fixe des exigences de transparence sur la propriété des médias.
Elle doit “permettre à nos médias de fonctionner sans aucune ingérence, qu’elle soit privée ou publique”, a commenté le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton.
Un Conseil européen des médias
La Commission propose aussi la mise en place d’un nouveau Conseil européen des médias, composé des représentants des autorités nationales de régulation des Vingt-Sept, pour un encadrement plus strict des concentrations dans ce secteur. Cet organisme serait chargé d’émettre un avis -non contraignant- sur ces opérations du point de vue de leur effet sur le pluralisme.
L’UE veut ainsi tirer les leçons de la constitution du conglomérat médiatique pro-Viktor Orbán en Hongrie en 2018, pour lequel les règles de concurrence européennes n’avaient pu s’appliquer.
“Nous n’avions pas d’outils, désormais, nous en aurons”, a commenté Thierry Breton, soulignant aussi que la transparence serait requise est matière de publicité d’État. Les autorités publiques doivent publier les montants dépensés et les médias qui en sont bénéficiaires.
Dans son dernier rapport sur l’État de droit dans l’Union européenne, la Commission s’inquiétait de voir en Pologne les médias pro-gouvernementaux privilégiés dans cette répartition.
Le texte protège le secret des sources et interdit l’utilisation de logiciels espions contre des journalistes et membres de leur famille – même si des exceptions sont possibles au nom de la “sécurité nationale”.
Mais ce risque doit être évalué “sous le contrôle d’un juge”, a précisé Thierry Breton. “En aucun cas l’activité de journaliste ne doit être considérée comme un risque à la sécurité nationale”, a-t-il ajouté.
Une disposition en réponse aux récents scandales Pegasus et Predator, qui ont notamment éclaboussé les autorités polonaises, hongroises et grecques.
Dans les médias de service public, les nominations des dirigeants doivent se faire selon une procédure “transparente” et “non discriminatoire” et le financement doit être “adéquat et stable”.
Une “avancée importante”
Cette législation doit encore être négociée avec les États membres de l’UE et le Parlement européen. Elle doit permettre à la Commission de déclencher des procédures devant la justice européenne en cas de non-respect de ses dispositions.
Le texte fait toutefois face à une vive opposition d’éditeurs européens qui y voient une “menace historique” à leur liberté.
“Nous ne voyons aucune justification pour harmoniser le droit des médias au niveau de l’UE et pour placer, pour la première fois, la presse écrite et numérique sous la supervision réglementaire d’un ‘Conseil européen des médias’, avec la participation de la Commission européenne”, a dénoncé l’Association européenne des médias magazine (EMMA, revendiquant 50 000 titres) et l’Association européenne des éditeurs de journaux (ENPA, regroupant 14 associations nationales).
L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a salué une “avancée importante”. “Cependant, cette proposition est encore insuffisante sur certains aspects et devra être améliorée”, estime son secrétaire général, Christophe Deloire.
Le texte prévoit des garanties pour éviter que des contenus journalistiques ne soient retirés de façon abusive par les plateformes en ligne. Mais pour RSF, les critères pour définir un média ne sont “pas satisfaisants”.
“S’il suffit de s’auto-déclarer comme un média d’information pour en bénéficier, alors ce mécanisme risque d’entraver les efforts attendus des plateformes pour lutter contre la désinformation”, estime RSF.
Avec AFP