La mort brutale de la reine Elizabeth II s’ajoute à la longue liste des crises que traverse actuellement le Royaume-Uni. Aux abords de Buckingham, où la foule continue d’affluer pour rendre hommage à la souveraine, l’heure est à la morosité. Reportage.
Le ciel londonien est bleu ce dimanche 11 septembre, mais il est traversé de gros nuages lourds. À l’image de l’état d’esprit des Britanniques qui ne cessent d’encaisser les épreuves. Le décès de la reine Elizabeth II est un nouveau coup dur pour les sujets de la Couronne, déjà largement malmenés par la crise politique, économique et sociale qui secoue le pays depuis plusieurs mois.
Le Royaume-Uni est en effet actuellement confronté au taux d’inflation le plus important depuis 1981. Conséquence de la guerre en Ukraine, les prix de l’essence, du logement mais aussi de la nourriture atteignent des sommets et provoquent depuis plusieurs mois une importante crise du coût de la vie. En parallèle, la croissance du pays stagne. L’économie britannique, qui était déjà fragilisée par la crise sanitaire, pâtit en outre des effets du Brexit. Le décès de la reine survenu le 8 septembre plonge un peu plus encore le pays dans l’anxiété.
“Les Anglais sont inquiets”
Dans les allées verdoyantes de St James’s Park, de nombreux Britanniques et touristes profitent de leur dimanche pour se rendre au palais de Buckingham, situé à proximité, pour déposer quelques fleurs en hommage à la défunte souveraine. En apparence, pas de mines déconfites ou de sujets éplorés. Mais dès que l’on interroge les promeneurs, – jeunes actifs, retraités, cadres, étudiants – chacun perçoit une certaine morosité ambiante.
“Les Anglais sont inquiets. Pour ma part, je ne vais pas trop mal, mais tout le monde connait ici des personnes qui rencontrent des difficultés financières. Et le décès brutal de la reine n’arrange pas les choses”, explique Laura, trente ans. Un sentiment partagé par Kliment, un Russe de 26 ans qui travaille dans la finance depuis 10 ans à Londres. “La flambée des prix a généré beaucoup d’anxiété autour de moi. Je n’ai pas de problème d’argent mais je suis obligé de travailler beaucoup pour maintenir mon niveau de vie et je ne peux pas changer de travail car il y a trop d’incertitudes. Ces difficultés sont plus vraies encore pour les immigrés et jeunes actifs qui ont de faibles revenus. Mais je crois que c’est le prix à payer par l’Occident pour ne pas s’incliner face à Poutine. On doit malheureusement accepter cette situation au nom des droits de l’homme et de la liberté”.
Silence impressionnant lors du passage du cortège funéraire dans le village de Ballater, première étape du trajet. Des images très fortes avec un respect et une émotion tout aussi forts. #ElizabethII pic.twitter.com/EhxRaJMEZy
— Antoine Mariotti (@antoinemariotti) September 11, 2022
Le tourment nord-Irlandais
Charlotte, accompagnée de son amie Rachel, est venue de Belfast, en Irlande du Nord, pour rendre hommage à Elizabeth II. “La reine aurait été un guide – c’est vraiment triste qu’elle ne soit pas là en cette période.” Il faut dire que les deux jeunes étudiantes, confrontées aux difficultés économiques, éprouvent également les inquiétudes liées à l’avenir de l’Irlande du Nord. Depuis l’accord du Brexit, l’Union Européenne et Londres s’affrontent dans un bras de fer sans précédent. L’objet de leur désaccord reste inchangé : le Brexit, qui a littéralement pris en otage l’Irlande du Nord, oblige la création d’une frontière douanière entre la République d’Irlande et la province nord-irlandaise. Pour beaucoup d’Irlandais, la reine était un symbole de paix et de stabilité – notamment grâce au moment historique où elle a serré la main de l’ancien commandant de l’IRA, Martin McGuinness en 2012, symbolisant la réconciliation dans la province après des années de violences. “La reine était un tel symbole de stabilité, de paix et de réconciliation en Irlande du Nord que sa mort suscite beaucoup d’inquiétudes pour la suite”, déplore la jeune irlandaise.
Assis sur un banc pour déjeuner avec sa fille, David, 48 ans, consultant immobilier vivant à Londres, refuse toutefois de se laisser gagner par la lassitude ambiante. “Il y a une nervosité concernant les défis économiques auxquels nous allons être confrontés au cours des six prochains mois à deux ans. Les gens entrent dans une période de prudence économique qui change leur quotidien et cela affecte toutes les couches de la société, estime le quadragénaire. Le décès de notre monarque qui a régné pendant plusieurs générations amplifie ce sentiment d’appréhension sur l’avenir. Mais il faut peut-être profiter de cette période pour amorcer une réflexion autour d’un nouveau dialogue national sur la direction de notre pays”, suggère le père de famille.
La monarchie au secours des inquiétudes de ses sujets
Réflexe britannique oblige, dans la tourmente, c’est vers la Couronne que l’on se tourne. “En ces temps difficiles, le nouveau roi sera un chef d’État rassurant et le prince William pourra lui apporter tout son soutien, notamment sur la question environnementale ou celle du prix des logements”, poursuit David.
Laura veut elle aussi croire que toutes les crises du pays sont passagères. “Si l’on regarde l’histoire de notre pays, poursuit la trentenaire, on voit bien que le passé n’est fait que de moments de crises et de périodes plus heureuses. La reine, qui a connu la guerre et ses privations, en est l’incarnation. Certes, la situation n’est pas réjouissante mais le peuple britannique est résiliant, il saura rebondir.” Distraite par un écureuil venu à quelques centimètres de ses baskets, la jeune femme retrouve le sourire. Et de conclure philosophe et optimiste, “Life goes on”.