Pendant 70 ans, Elizabeth II est parvenue à préserver la monarchie britannique, la portant au fil des époques et des bouleversements de l’Histoire. Proclamé officiellement roi, samedi, Charles III a affirmé vouloir “poursuivre le travail de sa mère”. Mais de nombreux défis l’attendent à la tête d’un royaume qui paraît plus divisé que jamais.
“La reine était un roc”, “un point de stabilité”, une présence “constante”, “rassurante” et “réconfortante”. Depuis l’annonce de la mort d’Elizabeth II, jeudi, ces mots reviennent comme un refrain universel pour rendre hommage à la monarque ultra populaire qui a régné sur le Royaume-Uni pendant 70 ans. Samedi 10 septembre, c’est un roi âgé et bien moins estimé, Charles III, qui a officiellement été proclamé comme successeur ouvrant une période délicate pour l’avenir de la monarchie.
“Le règne de ma mère a été inégalé dans sa durée, son dévouement et sa dévotion […] Je suis profondément conscient de ce grand héritage, des devoirs et des lourdes responsabilités de la souveraineté, qui me sont désormais transmis”, a déclaré Charles III samedi en prêtant serment. “En assumant ces responsabilités, je m’efforcerai de suivre l’exemple inspirant qui m’a été donné”, a-t-il poursuivi.
À 73 ans, c’est un “vieil homme” qui monte sur le trône, analyse auprès de l’AFP Robert Hazell, professeur de droit constitutionnel à l’University College London. “Ce sera très difficile pour lui de prendre la suite de la reine. La monarchie va probablement traverser des temps difficiles”. Popularité, cohésion nationale, survie du Commonwealth… les défis qui attendent le nouveau monarque sont nombreux.
“Mais il a été parfaitement préparé à ce rôle”, nuance le politologue Jean-Christophe Gallien. Ces derniers mois, alors que la santé d’Elizabeth II déclinait, le prince Charles avait progressivement assumé les fonctions de sa mère, prononçant notamment le discours du trône devant le Parlement britannique en mai dernier. “Il sait que son règne sera plus court que celui de sa mère et il aura une volonté d’imprimer sa marque”, prévoit-il.
Redorer le blason de la monarchie
Le premier défi pour Charles III sera de redorer le blason de la monarchie britannique. Car si l’institution est encore largement populaire au Royaume-Uni – 62 % sont pour son maintien, selon un sondage publié en juin 2022 – son aura baisse d’année en année, notamment chez les jeunes. D’après cette même étude, seuls 33 % des 18-24 ans veulent ainsi préserver l’institution, contre 59 % en 2011.
La cause de ce désamour grandissant : des scandales à répétition qui ont éclaboussé la couronne britannique. Parmi eux, des accusations d’agressions sexuelles visant le prince Andrew, le frère de Charles III, puis des allégations de racisme visant la famille royale, de la part de son fils Harry et de son épouse Meghan Markle. En parallèle, alors que le Royaume-Uni connaît une inflation record, plusieurs voix s’élèvent dénonçant aussi une institution jugée trop coûteuse et archaïque.
Face à ces critiques, Charles III est déjà passé à l’action. Lors de son discours du trône, ce dernier avait esquissé sa vision de la monarchie, annonçant vouloir réduire ses membres actifs – ceux vivants aux frais de la couronne – à seulement quelques personnes ; lui et sa femme Camilla, son fils et successeur William et Kate et leurs trois enfants. “Le roi Charles III a conscience que la population sera impitoyable face aux écarts de conduite et face à des dépenses trop importantes”, note Jean-Christophe Gallien. “Outre ces questions financières, il a aussi évoqué de transformer le palais de Balmoral en musée et d’ouvrir plus les portes de Buckingham avec une volonté de moderniser et de démocratiser la monarchie.”
Un roi plus politisé ?
Charles III sera confronté à un autre obstacle : celui de sa propre impopularité. Si la reine a eu une vie entière pour gagner le respect et l’amour de ses sujets, à 73 ans, le nouveau roi aborde son règne bien moins aimé que sa mère. Selon un sondage de l’institut YouGov en 2021, à peine plus d’un tiers des sondés estimait qu’il ferait un bon roi, alors que plus de 70 % avaient une opinion favorable de la reine.
Depuis cinquante ans, les Britanniques connaissaient surtout le prince de Galles pour ses frasques amoureuses. Charles avait épousé en 1981 Diana Spencer, avec qui il a eu deux enfants, William et Harry. Leur mariage s’est ensuite délité face à des révélations publiques sur leurs infidélités respectives menant finalement à leur divorce. Après la mort tragique de Diana en 1997 dans un accident de voiture à Paris, pourchassée par des paparazzis, Charles a épousé en 2005 son ancienne maîtresse Camilla Shand, aujourd’hui reine consort.
Mais surtout, Charles III détonne par rapport à l’image de sa mère qui a vu passer 15 Premiers ministres britanniques et maintenant envers et contre tout une neutralité politique. Le prince de Galles n’a jamais hésité à prendre position sur les sujets d’actualité, quitte à provoquer des controverses. Fervent défenseur de l’environnement, il s’est régulièrement exprimé sur le réchauffement climatique mais aussi sur la politique britannique vis-à-vis de la Chine ou encore les questions migratoires. En 2004-2005, il est allé jusqu’à écrire une série de lettres, connues sous le nom de “mémos de l’araignée noire”, pour faire pression sur les ministres sur un certain nombre de sujets. Il est aussi subtilement intervenu lors de la campagne du référendum sur l’indépendance écossaise de 2014, suggérant à ses sujets de “bien réfléchir” à leur avenir.
Désormais sur le trône, se pliera-t-il à la neutralité qu’exige sa fonction ? Lors de son discours télévisé, vendredi, son premier depuis l’accession au trône, il a admis : “il ne me sera plus possible de consacrer autant de temps et d’énergie aux organisations caritatives et aux questions qui me tiennent tant à cœur”. Dans un documentaire de la BBC diffusé en 2018 pour ses 70 ans, il assurait qu’il ne ferait plus d’interventions intempestives une fois devenu roi : “Je ne suis quand même pas stupide”, précisait-il.
“Charles sait que le roi doit être avant tout un symbole. Officiellement, rien ne transparaîtra”, explique Tristan de Bourbon Parme, journaliste indépendant spécialiste de la famille royale et basé à Londres. Mais ce dernier prévoit des frictions à venir entre le nouveau monarque et la Première ministre fraîchement nommée, Liz Truss. “Sa première décision a été de relancer le gaz de schiste au Royaume-Uni et des forages pétroliers en mer de Nord… Pour elle, l’environnement n’est pas un sujet. Charles est un écologiste convaincu. Ce sera clairement un sujet de friction entre eux et je suis sûr qu’en coulisses, il ne se retiendra pas de lui dire qu’il considère ce qu’elle fait comme inacceptable.”
Maintenir l’unité nationale à tout prix
La question de l’engagement politique du nouveau roi sera un enjeu majeur pour l’avenir de la monarchie, s’accordent à dire ces spécialistes. D’autant plus que, s’il a pour vocation à être une source d’unité nationale, il prend ses fonctions dans un contexte où son royaume est plus divisé que jamais.
Charles III accède au trône au moment où Downing Street accueille Liz Truss, la quatrième Première ministre en six ans et le symbole d’une crise politique ouverte au Royaume-Uni depuis le vote du Brexit en 2016. En parallèle, le Royaume-Uni est confronté à une inflation galopante et à une envolée des coûts de l’énergie dans le giron de la guerre en Ukraine. La grogne sociale enfle : depuis fin août, cheminots, postiers ou encore dockers sont en grève pour réclamer des hausses de salaire et une amélioration des conditions de travail. Il s’agit du mouvement de contestation le plus important depuis plusieurs décennies.
En cette période de deuil national, qui doit durer une dizaine de jours jusqu’aux funérailles d’Elizabeth II, la vie politique et cette fronde sociale se sont mises en pause. Mais cela ne sera que de courte durée. “De nombreux Britanniques m’ont expliqué avoir été très touchés par le décès de la reine mais déplorent que cela ait éclipsé les difficultés qu’ils subissent au quotidien”, explique Tristan de Bourbon Parme.
Ailleurs dans le royaume aussi, la couronne devra faire face aux velléités d’indépendance de l’Écosse et aux tensions communautaires en Irlande du Nord. En cela, la première tournée du roi dans ces pays dans quelques mois aura une influence majeure.
Enfin, en dehors des frontières britanniques, la mort d’Elizabeth II pourrait aussi perturber l’équilibre du Commonwealth, cercle culturel qui réunit 56 pays, pour l’essentiel des ex-colonies de l’Empire britannique. Ces dernières années, face à la santé chancelante de la reine, l’Australie ou le Canada, par exemple, n’avaient pas caché attendre sa mort pour rouvrir les débats sur une abolition de la monarchie.
“Au milieu de tout ça, Charles III va devoir incarner cette stabilité nationale”, résume Jean-Christophe Gallien. Mais pour le politologue, son engagement politique pourrait être l’une des solutions. “Je pense qu’il peut surprendre et incarner quelque chose de nouveau par rapport à sa mère, en incarnant une vision politique mais mesurée dans un contexte où la classe politique est très instable. Et c’est cela qui pourrait faire sa popularité.”