Le documentaire “All the Beauty and the Bloodshed” de l’Américaine Laura Poitras a étécouronné samedi par un Lion d’or à la Mostra de Venise. La cinéaste française Alice Diop n’est pas en reste avec deux prix reçus pour son film “Saint-Omer”.
La Mostra de Venise a braqué les projecteurs sur le drame des opiacés en sacrant, samedi 10 septembre, un documentaire sur la photographe Nan Goldin et sa lutte acharnée contre ce scandale sanitaire qui a fait des centaines de milliers de morts aux États-Unis.
Le jury présidé par l’actrice Julianne Moore a décerné son Lion d’or à la réalisatrice, Laura Poitras, 58 ans, et sacre ainsi une troisième réalisatrice d’affilée, après la Française Audrey Diwan l’an dernier (“L’Évènement”) et la Sino-Américaine Chloé Zhao (“Nomadland”) en 2020.
Il distingue surtout une personnalité pugnace qui sonde sans relâche les zones d’ombre de l’Amérique : après avoir travaillé sur l’occupation américaine en Irak puis Guantanamo, elle devient la confidente du lanceur d’alerte Edward Snowden et réalise “Citizenfour” (2015), qui obtient l’Oscar du meilleur documentaire.
Pas de révélations fracassantes cette fois dans “All the Beauty and the Bloodshed”, le film primé à Venise, mais un voyage à travers la vie de Nan Goldin, photographe de 68 ans connue pour ses clichés du New York underground et qui a tant côtoyé la mort, du sida à la crise des opiacés, son dernier combat.
Car Nan Goldin, qui était repartie de Venise et n’a pas pu venir chercher son prix, a pris la tête d’un combat à la David contre Goliath contre la famille Sackler, principaux producteurs d’opiacés, des antidouleurs qui ont rendu dépendants et tué un demi-million d’Américains ces deux dernières décennies.
Double victoire pour la Française Alice Diop
“J’ai connu beaucoup de personnes courageuses dans ma vie, mais personne comme (Nan Goldin), qui a combattu cette famille très puissante”, a déclaré la réalisatrice en recevant son prix.
La cinéaste française Alice Diop a, elle, fait un doublé samedi à Venise en remportant le Grand Prix du Jury et le prix du premier film pour sa première fiction, “Saint Omer”, inspiré d’un fait divers et du procès qui a suivi.
“Je n’ai plus les mots”, a déclaré la cinéaste, très émue, en recevant son prix et en mettant en avant son combat féministe, en particulier celui “des femmes de couleur” : “Le silence ne nous protègera pas. Nous ne nous tairons plus”, a-t-elle promis.
Inspiré d’une histoire vraie de procès pour infanticide, “Saint-Omer” cherche à explorer “la grande question universelle” de notre “rapport à la maternité”. Laurence Coly, la protagoniste du film interprétée par Guslagie Malanda, est une immigrée sénégalaise accusée d’avoir tué son bébé de 15 mois en l’abandonnant sur une plage du nord de la France, à marée montante.
Jafar Panahi emprisonné en Iran et primé à Venise
Le jury de Venise a envoyé un autre signal politique en décernant un Prix spécial au réalisateur Jafar Panahi, montrant que le cinéma ne plierait pas devant la censure en Iran et offrant son soutien à un cinéaste qui paie de sa liberté son envie de créer.
Lion d’or en 2000 avec “Le Cercle”, Panahi est le seul cinéaste en compétition à n’avoir pas pu fouler le tapis rouge, emprisonné depuis juillet par le régime des mollahs. Dans “No Bears” (“Les Ours n’existent pas”), le film primé, il met en abyme sa propre situation, un pied de nez brillant à la censure.
Mais la cérémonie vénitienne, qui fait figure de rampe de lancement pour les Oscars, après les “success stories” de films comme “Nomadland” de Chloé Zhao, Lion d’Or en 2020 ou “Roma” d’Alfonso Cuaron, deux ans auparavant, n’a pas oublié pour autant le glamour.
Les prix d’interprétation ont été remis à des stars des tapis rouges, Cate Blanchett (“Tár”) et Colin Farrell (“The Banshees of Inisherin”).
Aucune récompense pour Netflix
Le palmarès sonne par contre comme une claque pour le géant de la vidéo en ligne Netflix, en quête de légitimité cinéphile à Venise. Privé de compétition cannoise car ses films ne sortent pas en salle, il a son rond de serviette sur le Lido où il présentait pas moins de quatre films.
Ni la performance d’Ana de Armas en Marilyn Monroe dans le biopic “Blonde”, en ligne fin septembre, ni la démesure du Français Romain Gavras dans sa description de l’insurrection d’une banlieue (“Athena”) n’ont convaincu le jury. Pas plus que le Mexicain Alejandro González Iñárritu, qui a perdu les spectateurs dans les méandres de son “Bardo”, ou l’Américain Noah Baumbach, qui n’a pas retrouvé le charme de ses films précédents avec “White Noise”.
Avec AFP