Adepte de positions très tranchées sur la Russie ou la Chine, la nouvelle Première ministre britannique se montre également inflexible avec l’Union européenne sur le dossier du Brexit, se disant prête à enfreindre le protocole sur l’Irlande du Nord. Un passage en force qui pourrait entamer durablement la crédibilité du Royaume-Uni sur la scène internationale.
On la compare souvent à Margaret Thatcher, la championne du libre-échange et des discours ultra-droitier. Mais Liz Truss partage également avec l’icône historique du parti conservateur une vision de la politique étrangère marquée par la guerre froide et la compétition entre les grandes puissances.
Une approche que certains pourraient juger anachronique mais qui fait de moins en moins débat aux yeux des conservateurs depuis que l’invasion russe de l’Ukraine a révélé la naïveté de l’Occident devant le revanchisme de Moscou.
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À la fin de la guerre froide, l’Occident a pensé que la “bataille était terminée”, mais en réalité “ils n’ont jamais cessé de combattre”, a assuré Liz Truss dans une interview accordée en mai au magazine The Atlantic.
Désormais, les experts s’attendent à voir Truss poursuivre l’œuvre de Boris Johnson, qui a fait du Royaume-Uni l’un des plus gros fournisseurs d’armes à l’Ukraine, apportant un soutien total à Kiev depuis le début de l’offensive russe.
Fermeté vis-à-vis de la Russie et de la Chine
En tant que ministre des Affaires étrangères, Liz Truss n’a jamais transigé sur le dossier ukrainien. Lors d’un discours prononcé en avril, la nouvelle Première ministre avait même exprimé le souhait de voir la Russie quitter “l’ensemble du territoire ukrainien”, c’est-à-dire également la Crimée et la partie du Donbass annexée par Moscou en 2014. La Russie doit se voir “infliger une défaite stratégique”, a-t-elle insisté en juin.
Selon Liz Truss, les accords de Minsk portés en 2014 et 2015 par la France et l’Allemagne constituent une erreur fondamentale : ils auraient offert à Moscou un blanc-seing à l’annexion sans mettre fin aux combats dans l’est de l’Ukraine.
“Elle veut incarner une Première ministre dont la voix est entendue à l’étranger et je pense que son positionnement sur l’Ukraine plaide en sa faveur”, estime Richard Whitman, professeur en relations internationales à l’Université du Kent. “Cela correspond parfaitement à l’image qu’elle essaye d’imprimer et qui joue sur la nostalgie de l’époque de Margaret Thatcher.”
Si Truss devrait poursuivre dans la droite ligne de son prédécesseur sur le dossier ukrainien, elle pourrait en revanche adopter un positionnement encore plus dur sur la Chine. Un de ses collaborateurs a indiqué au Times la semaine dernière, que Liz Truss allait officiellement déclarer la Chine comme étant une “menace” à la sécurité nationale après sa prise de fonction à Downing Street. “Il n’y aura plus aucun partenariat économique”, a assuré la nouvelle Première ministre.
Selon Liz Truss, le conflit ukrainien doit servir de leçon à l’Occident sur le dossier de Taïwan. La communauté internationale “aurait dû s’assurer des capacités défensives de l’Ukraine beaucoup plus tôt” afin de dissuader toute velléité d’intervention russe. “Une approche similaire” doit être envisagée avec Taïwan, conclut la nouvelle Première ministre.
“La politique étrangère du Royaume-Uni vis-à-vis de la Chine va se durcir sous Liz Truss. Son approche est très en phase avec celle des États-Unis (…) même si Washington a des réserves sur son positionnement en Europe, notamment en ce qui concerne l’Irlande du Nord”, analyse Richard Whitman.
Le dilemme de Truss sur l’Irlande du Nord
La nouvelle Première ministre souhaite en effet modifier de manière unilatérale l’accord du Brexit concernant l’Irlande du Nord, en supprimant certains contrôles douaniers pour faciliter la circulation des biens.
Le protocole nord-irlandais a été négocié entre Londres et Bruxelles pour répondre à la délicate question de la frontière entre l’Irlande du Nord, qui fait partie du Royaume-Uni, et la République d’Irlande, membre de l’Union européenne. Il devait répondre à un double objectif : protéger l’intégrité du marché unique européen et éviter une frontière terrestre qui risquerait de fragiliser la paix conclue en 1998.
Dans le cadre du départ de la Grande-Bretagne de l’UE, le gouvernement Johnson a donc accepté que l’Irlande du Nord reste de facto au sein du marché européen, instaurant une frontière douanière en mer d’Irlande, avec des contrôles et des formalités. Une situation qui complique les approvisionnements pour le Royaume-Uni et provoque la colère des unionistes et d’une partie de la classe politique britannique.
Cependant, l’UE fait valoir que l’accord du Brexit est juridiquement contraignant et que le gouvernement de Boris Johnson dont faisait partie Liz Truss l’a ratifié en 2020. Selon Nicoletta Pirozzi, spécialiste des questions européennes, Liz Truss fait donc son entrée à Downing Street dans une “situation difficile, où elle doit à la fois contenter les partisans d’une ligne dure sur le Brexit au sein de son parti et en même temps préserver la crédibilité du Royaume-Uni à l’international, en particulier vis-à-vis de l’administration Biden”.
Relations dégradées avec l’UE
Reste à savoir si une fois au pouvoir, la Liz Truss Première ministre sera différente de la Liz Truss candidate du parti conservateur. D’autant que l’ancienne ministre des Affaires étrangères n’a pas toujours été une eurosceptique acharnée – elle avait fait campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l’UE en 2016.
“Il est difficile de savoir si ses discours très durs sur l’Irlande du Nord sont sincères ou s’il s’agit d’un positionnement dans la longue bataille pour prendre le contrôle du parti conservateur, une bataille qui a commencé bien avant la démission de Boris Johnson”, analyse Tim Bale, professeur de sciences politiques à l’université Queen Mary de Londres.
“Je pense que Truss est bien plus nuancée que ce que beaucoup de gens imaginent”, affirme Georgina Wright, en charge du programme Europe au sein de l’Institut Montaigne. “Mais elle a tendance à faire la différence entre des accord ponctuels et les négociations sur le Brexit. Elle pourrait donc être amenée à collaborer avec l’UE ou des États membres sur certains sujets mais une question demeure : peut-elle vraiment évacuer le Brexit dans le cadre de ces négociations ?”
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Par ailleurs, certaines déclarations de Liz Truss semblent de mauvais augures pour les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Interrogée en août lors d’une conférence de presse pour savoir si la France était un pays “ami ou ennemi”, Liz Truss a préféré botter en touche.
Une attitude ambiguë difficilement imaginable à l’époque de son héroïne, Margaret Thatcher, dont la doctrine consistait à maintenir un équilibre entre proximité avec Washington et relations amicales avec les pays européens.
“Margaret Thatcher n’était pas têtue juste pour le plaisir. Elle construisait des relations pour obtenir quelque chose. Elle a remporté des victoires à des sommets européens tôt dans son mandat en gagnant le respect de ses interlocuteurs en tant que négociatrice, pas en s’obstinant à refuser le dialogue”, tacle Richard Whitman. “La question pour Truss est de savoir si elle compte faire avancer un agenda ou se contenter d’afficher une posture.”
Article adapté de l’anglais par Grégoire Sauvage. L’original est à retrouver ici.