Sur le départ, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, tente de faire nommer une cinquantaine de personnalités à la Chambre des lords, où il a déjà placé de nombreux proches. Parmi les nouveaux pressentis, des soutiens précieux pour son avenir politique.
“Comme toujours avec Boris Johnson, il ne fait pas dans la demi-mesure”, commente Thibaud Harrois, maître de conférences en civilisation britannique contemporaine à l’université Sorbonne-Nouvelle. Alors qu’il doit poser sa démission officielle mardi 6 septembre, le Premier ministre britannique envisage de nommer une cinquantaine de nouveaux lords à la haute chambre du parlement britannique dans les prochaines semaines.
Rien d’étonnant, a priori, puisqu’il ne fait que suivre une tradition qui veut que chaque Premier ministre sur le départ propose une liste de lords. Mais jamais aucun n’avait osé en désigner autant.
Sans compter que Boris Johnson a déjà fait entrer 86 nouveaux pairs à Westminster en trois années de mandat. Avec ce lot de nominations, il remplit déjà 10 % de la chambre actuelle à lui seul. Parmi cette ribambelle de lords figurent des proches, tels que son propre frère, Jo Johnson, son ancien patron au Daily Telegraph, Charles Moore, ou encore des figures contestées, telles que le propriétaire de tabloïd Evgeny Lebedev, d’origine russe et fils d’un ancien officier du KGB.
Une Chambre des lords pleine à craquer
La demande de Boris Johnson a de grandes chances d’aboutir. La procédure veut que le Premier ministre sortant soumette sa liste à la reine Elizabeth II, qui accordera les titres de lords aux personnalités désignées et ainsi anoblies. “La reine n’a pas le choix, sauf en cas de force majeur”, explique Thibaud Harrois.
Une cinquantaine de nouveaux pairs devraient donc bientôt jouer des coudes pour parvenir à s’asseoir sur les fameux bancs rouges de la Chambre des lords, qui compte déjà quelque 800 occupants nommés à vie. Théoriquement, les membres sont chargés d’examiner les projets de loi de la Chambre des communes et peuvent proposer des modifications, sans pour autant empêcher leur adoption. Ils ont aussi le pouvoir d’interpeller le gouvernement sous forme de questions et de lancer des commissions d’enquête parlementaires.
Sachant que chaque Lord coûte plus de 300 pounds [380 euros] par jour de présence à Westminster au contribuable britannique, les rumeurs de ce coup de grâce de Boris Johnson, en pleine crise sociale, ont suscité de vives inquiétudes.
Au lieu de s’attaquer à la perte de pouvoir d’achat à laquelle est confrontée la population, le Premier ministre utilise ses derniers jours au pouvoir pour une dernière tentative désespérée de distribuer plus d’emplois pour les garçons, a critiqué, vendredi, la vice-présidente du Parti travailliste, Angela Rayner, dans les colonnes du Guardian.
Un fidèle chargé d’émettre un avis sur les nominations
Pire encore, “Boris Johnson fait preuve de pure arrogance en confiant à son propre copain le soin de mettre un terme au copinage au Parlement”, ajoute l’élue d’opposition. En cause, le Premier ministre sortant a proposé le poste de contrôle de nominations de lords à Harry Mount, auteur d’un livre élogieux à son sujet et ex-membre du fameux club de Bullingdon, un boys club aristocratique d’Oxford à la réputation sulfureuse, dont Boris Johnson était lui-même membre.
D’après le Guardian, qui a pu faire confirmer cette information auprès de Downing Street, Harry Mount prendra ses fonctions le 11 septembre et sera chargé d’examiner la liste des distinctions honorifiques proposée par Boris Johnson à l’occasion de sa démission.
Ce n’est donc pas ce fidèle de Boris Johnson qui devrait s’opposer à la nomination de personnalités telles que Ben Elliot, donateur et co-président du Parti conservateur, dont le nom serait sur la liste, toujours selon Le Guardian. “Boris Johnson est quelqu’un qui se sert de ses réseaux et nomme les gens en guise de récompense pour des services rendus. Et c’est aussi une manière pour lui de continuer à peser sur la Chambre des lords même en n’étant plus au pouvoir”, analyse Thierry Harrois.
Des pairs héréditaires
Boris Johnson ne s’en cache même plus. En 2020, il avait nommé le milliardaire Peter Cruddas, au mépris des conseils de la Commission des nominations de la Chambre des lords. À peine quelques jours plus tard, l’homme d’affaires a fait don d’un demi-million de livres au Parti conservateur.
“À la fin des années 90, Tony Blair a ouvert la voie à la nomination des lords par le Premier ministre en décidant de supprimer l’essentiel des pairs héréditaires – qui se passaient le titre de père en fils. Il reste désormais un nombre résiduel de membres héréditaires issus de l’aristocratie”, détaille Thierry Harrois. Aujourd’hui, la chambre compte quelque 92 pairs héréditaires, tous des hommes, ainsi que 26 archevêques et évêques.
Parfois moquée pour sa composition vieillissante – le doyen des lords a 97 ans – et ses membres très détachés des réalités sociales, la chambre haute du parlement britannique a pourtant un rôle à jouer. “Certains ne prennent pas leur rôle au sérieux et ne siègent jamais. Mais la plupart font le travail”, estime Thierry Harrois. “Certains lords ont une expertise rare, parce qu’ils ont eu une carrière longue et brillante dans le domaine économique, social, scientifique… Ils font bénéficier la nation de cette expertise en élaborant de riches rapports d’analyse des lois.”