Le “premier défi est d’assurer une rentrée réussie dans un contexte de tension inédite pour le recrutement des professeurs”, a déclaré vendredi Pap Ndiaye lors de sa conférence de rentrée. Une semaine avant la réouverture des écoles en France, l’Éducation nationale fait face à une pénurie d’enseignants. Une tendance qui concerne la majorité des des pays européens, y compris ceux qui payent le mieux leurs professeurs.
Y aura-t-il un enseignant dans chaque classe à la rentrée scolaire ? Alors que les élèves français s’apprêtent à retourner sur les bancs de l’école jeudi 1er septembre, le pays fait face à une pénurie de professeurs. Cette année, plus de 4 000 postes sont restés non pourvus aux concours enseignants, un taux historiquement bas.
Les syndicats pointent tous du doigt des salaires jugés insuffisants. “Dans les années 1980, un professeur débutant gagnait 2,2 fois le Smic. Aujourd’hui, c’est 1,1 pour un bac + 5. Il y a eu une importante perte du pouvoir d’achat”, déplore Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Syndicat national des enseignements de second degré (Snes). “Sans compter que nous sommes bien moins lotis que la plupart de nos voisins.”
Selon l’OCDE, les salaires des enseignants français en début de carrière sont en effet inférieurs de 7 % à la moyenne des pays de la zone euro, avec 29 400 euros brut annuel. En comparaison, les jeunes professeurs allemands gagnent plus du double avec 62 300 euros brut annuel.
“La question du salaire est évidemment centrale”, convient Éric Charbonnier. “Mais le vrai problème se trouve dans la progression des carrières. Les salaires tardent à évoluer à cause d’un système très rigide. Résultat : au bout de dix ou quinze ans d’ancienneté, les enseignants gagnent environ 20 % de moins que la moyenne de l’OCDE.”
Pour pallier la crise, Emmanuel Macron a promis jeudi 25 août une revalorisation des salaires des enseignants. L’objectif affiché : “qu’aucun d’entre eux ne commence sa carrière à “moins de 2 000 euros net par mois”. “C’est une bonne chose mais cela ne suffit pas”, réagit Sophie Vénétitay. “Il faut augmenter tous les salaires. Ce ne serait pas juste si un professeur débutant gagnait la même chose que quelqu’un qui exerce depuis dix ou quinze ans.”
Difficile de recruter des jeunes pour remplacer les départs en retraite
La France n’est pas le seul pays à connaître cette désaffection pour le métier d’enseignant. “Quasi tous les pays européens sont concernés par cette crise d’attractivité. C’est aussi le cas aux États-Unis, au Canada, ou encore en Australie”, confirme Éric Charbonnier, expert éducation à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Selon un rapport sénatorial de la commission des finances publié en juin et intitulé “Crise d’attractivité du métier d’enseignant : quelles réponses des pays européens ?”, il manquait déjà 15 000 enseignants en Allemagne à la rentrée 2019. Ce nombre pourrait atteindre 26 000, rien qu’en primaire, d’ici à 2025. En Suède, c’est 77 000 professeurs qu’il faudrait recruter d’ici à 2023. Outre-Atlantique, aux États-Unis, des milliers d’enseignants manqueraient aussi pour cette rentrée 2022, relate The Washington Post, qui assure que le pays n’a “jamais connu une situation aussi grave.” Même inquiétude en Australie, révèle The Guardian, où il faudrait compter 4 000 diplômés de plus d’ici 2025 pour répondre aux besoins.
“Plusieurs facteurs se conjuguent. Dans la plupart des pays, le corps enseignant est vieillissant et on peine à recruter des jeunes pour les remplacer. Et à cela s’ajoutent des démissions de plus en plus nombreuses”, explique Éric Charbonnier. En France, 0,32 % des enseignants a démissionné en 2020-2021 contre 0,05 % en 2008-2009, selon l’Éducation nationale. 35 % des jeunes enseignants se reconvertissent dans les cinq premières années. Au Royaume-Uni, selon une étude menée par the National Education Union, le principal syndicat enseignant, 44 % des enseignants envisagent de quitter la profession d’ici 2027.
Entre conditions de travail dégradées et manque de reconnaissance
“Mais il ne faut pas regarder que les salaires. Preuve en est, même l’Allemagne, où les professeurs sont parmi les mieux payés, peine à recruter”, nuance Éric Charbonnier, qui préfère blâmer une dégradation des conditions de travail.
“En Allemagne, les professeurs ont perdu leur statut de fonctionnaire et donc de la sécurité d’emploi. En parallèle, ils se sont vu confier davantage de tâches administratives qui alourdissent leur charge quotidienne”, explique-t-il. “Même chose en Hongrie où le temps de travail n’a cessé d’augmenter ces dernières années.” Parmi les personnes sondées par the National Education Union au Royaume-Uni, c’est bel et bien la question du la charge du travail qui pose problème : 52 % des répondants estiment qu’elle est “ingérable” ou “ingérable la plupart du temps”, contre 35 % en 2021.
“Globalement, les enseignants ont l’impression qu’on leur demande de plus en plus, pour un salaire qui n’est pas à la hauteur”, résume le spécialiste. “Et tout ça avec le sentiment de ne pas être reconnu pour leur travail”. Selon une étude publiée en 2018, seuls 30 % des enseignants de la zone euro se sentent considérés à leur juste valeur par la société. Ce chiffre tombe à 5 % en France.
Cette perception s’est encore renforcée à la faveur de la crise du Covid-19 et des confinements successifs, assure Sophie Vénétitay. “La profession a subi une pluie de critiques alors qu’on a tenté de gérer à bout de bras l’enseignement à distance puis les différents protocoles sanitaires… Cela en a découragé beaucoup”, dénonce la syndicaliste.
S’inspirer de la Finlande
Alors comment ramener les enseignants dans les salles de classe, en particulier dans les zones et matières où ils manquent cruellement ? En France, des systèmes de “bonification salariale” ont déjà été mis en place pour attirer les professeurs en zone d’éducation prioritaire (REP). Le Royaume-Uni va plus loin dans cette logique en différenciant les salaires non seulement en fonction du lieu d’exercice mais aussi de la discipline enseignée. Un nouveau professeur travaillant dans une région considérée comme difficile et enseignant une matière délaissée voit ainsi son prêt étudiant remboursé. Les profs de mathématiques, physique et informatique, les plus recherchés, sont mieux payés que les autres.
Une solution à laquelle s’oppose fermement Sophie Vénétitay. “Créer des différences et diviser dans nos rangs n’arrangera rien”, assure-t-elle. “Surtout qu’aujourd’hui, nous manquons de professeurs sur tout le territoire.”
Éric Charbonnier, lui, invite à s’inspirer du modèle finlandais, l’un des rares pays à tirer son épingle du jeu. “Les salaires y sont corrects, un peu plus élevés qu’en France. Les enseignants sont respectés. Mais surtout, le métier reste stimulant, avec des formations tout au long de la carrière et une valorisation des initiatives”, liste-t-il. “Tout cela crée un cercle vertueux et les résultats sont là.”
“Car l’enjeu est aussi là : il faut redynamiser le métier pour inciter les enseignants à venir et à rester”, assure-t-il. “Et cela passe par des échanges, des formations pour apprendre nouvelles méthodes, de la mobilité… et pourquoi pas envisager des bonifications pour les enseignants qui s’impliquent dans ces programmes ?”
Un souhait entendu par Emmanuel Macron. À la revalorisation salariale prévue pour la rentrée 2023 s’ajoutera un “pacte pour les enseignants” qui leur permettra, sur une base volontaire, de “s’engager (…) dans des missions supplémentaires”, comme le suivi individualisé, des tâches d’encadrement ou “des actions qui ont du sens”, et qui seront “rémunérées”, a-t-il annoncé jeudi.
Dans l’attente de changements structurels, la France a décidé de répondre à l’urgence en multipliant le recours aux enseignants contractuels pour la rentrée 2022 via des “job-dating” controversés, des entretiens organisés dans les différentes académies. Les quelque 3 000 personnes retenues se présenteront devant les élèves le 1er septembre, avec quelques jours de formation seulement.