La communauté internationale a le regard tourné vers Zaporijjia, où Russes et Ukrainiens s’affrontent depuis des semaines près de la plus grande centrale nucléaire d’Europe. Cette situation tendue fait courir plusieurs risques nucléaires que tous les belligérants et leurs soutiens souhaitent éviter. France 24 fait le point sur les scénarios possibles.
La centrale nucléaire de Zaporijjia est au centre des préoccupations ces dernières semaines en Ukraine. Les combats autour de ce site sous contrôle russe sont quotidiens, et plusieurs acteurs internationaux redoutent que la situation ne dégénère. Le dernier en date, Vladimir Poutine, a dit craindre vendredi 19 août que les bombardements sur place ne finissent par provoquer une “catastrophe (nucléaire) de grande envergure qui pourrait conduire à la contamination radioactive de vastes territoires”.
Le président russe et Emmanuel Macron ont convenu d’une inspection “dans les plus brefs délais” de la centrale de Zaporijjia par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) afin d'”évaluer la situation sur place”. Le directeur de l’AIEA, Rafael Grossi, s’est “félicité” dans un communiqué “des récentes déclarations indiquant que l’Ukraine et la Russie soutiennent l’objectif de l’AIEA d’envoyer une mission”.
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Le risque principal : un accident de fusion du cœur d’un réacteur nucléaire
Quand il est question d’une possible catastrophe nucléaire, d’autant plus en Ukraine, on pense naturellement à celle de Tchernobyl en 1986, qui reste à ce jour le plus gros accident de l’histoire – au moins une trentaine de morts, selon le comité scientifique de l’ONU, mais le bilan pourrait être bien plus lourd si on compte les morts indirectes. En déplacement en Ukraine, le 18 août, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est d’ailleurs alarmé du danger d’un “nouveau Tchernobyl”, estimant que “tout dégât potentiel à Zaporijjia serait un suicide”.
Selon Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheure au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), “ce n’est pas possible d’avoir un accident comme celui de Tchernobyl sur la centrale de Zaporijjia. Ce ne sera pas un accident avec un nuage radioactif au-dessus de l’Europe comme on a pu le voir par le passé”. Et la docteure en physique nucléaire de nuancer : “Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucun risque, le risque zéro n’existe pas.”
Le principal risque au centre des préoccupations est bien connu des experts en énergie atomique : un accident de fusion du cœur d’un réacteur nucléaire.
Un diplomate a expliqué vendredi à l’AFP que les Occidentaux s’inquiétaient surtout du maintien du refroidissement par eau des réacteurs nucléaires de Zaporijjia, plus que de l’impact d’un tir, car ils sont conçus “pour résister” au “pire”.
“Les cœurs des réacteurs ont besoin d’être refroidis, et pour cela il leur faut alors de l’eau et de l’électricité”, explique Bernard Laponche, ancien ingénieur nucléaire au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Le physicien nucléaire est moins inquiet par des bombardements sur la centrale – “protégée par un épais dôme de béton” – que par des missiles qui tomberaient à côté, que ce soit sur le réseau électrique qui alimente la centrale ou sur les conduites d’eau.
Sans eau et ou électricité, “il peut y avoir un accident de fusion du cœur comme à Three Mile Island (aux États-Unis en 1979) ou à Fukushima (au Japon en 2011)”, précise Bernard Laponche.
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Les déchets radioactifs, un autre risque nucléaire
L’autre risque identifié concerne les déchets nucléaires sur le site ukrainien.
“À la centrale de Zaporijjia, vous avez deux types d’entreposage”, explique Emmanuelle Galichet. “Il y a le vrai combustible usé qui sort du cœur du réacteur : il est stocké dans des piscines qui sont dans l’enceinte de confinement, et qui sont donc totalement protégées. Et il y a les combustibles usés à l’air libre.”
Ce sont ces derniers combustibles qui suscitent aussi des craintes. Selon Bernard Laponche, “si un missile tombe sur ces déchets, il y a immédiatement soit un feu soit une explosion. Et comme un dépôt de déchets est un lieu où il y a une quantité de radioactivité considérable, cela peut produire un nuage radioactif qui peut aller en Russie, en Pologne ou en Europe de l’Ouest.”
Le physicien nucléaire précise que ce nuage dépendrait de la quantité de déchets radioactifs qui seraient incendiés, ainsi que de l’orientation du vent.
L’enseignante-chercheur au Cnam nuance la menace que peuvent représenter ces déchets en expliquant qu’ils sont à l’air libre, “ce qui veut dire que leur radioactivité a beaucoup diminué”. Elle estime ainsi qu’en cas de bombardement, “leur risque de radioactivité dans l’environnement est très peu probable.”
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“Compliqué” de couper Zaporijjia du réseau électrique ukrainien
Voir Zaporijjia disparaître du réseau électrique ukrainien est un autre risque qui pèse sur la centrale nucléaire. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, en visite en Ukraine le 19 août, a d’ailleurs demandé à la Russie de ne pas couper la centrale du réseau ukrainien.
“Le réseau électrique d’Ukraine était branché sur le réseau soviétique, puis russe. Et presque le jour du début de la guerre en Ukraine (fin février, NDLR) – parce que ça avait été préparé depuis longtemps –, le réseau ukrainien a été branché sur le réseau européen (…), ce qui est une opération très délicate à faire”, explique Bernard Laponche.
Alors refaire passer la centrale de Zaporijjia sur le réseau électrique russe est techniquement possible, mais ce ne serait pas chose aisée, selon Emmanuelle Galichet : “Tout est possible lorsque vous voulez couper une alimentation, mais ce sont des procédures industrielles qui sont tout de même extrêmement complexes. Les ingénieurs sur place savent faire ce genre de procédure industrielle, mais cela comporte toujours des risques (dont le risque de perte d’alimentation électrique si le courant n’est pas correctement coupé, NDLR)”.
Finalement, éviter que ces risques nucléaires et électriques ne deviennent réalité semble possible à condition d’arrêter les combats dans la zone de Zaporijjia. Antonio Guterres a ainsi appelé à “démilitariser la centrale”.
Le physicien nucléaire Bernard Laponche souhaite aussi cette issue, et il conclut : “C’est très étonnant que personne n’ait jamais considéré le risque de guerre durant la construction de ces centrales à partir des années 1970-1980. On était alors dans une période de paix perpétuelle, et on s’aperçoit aujourd’hui que ce sont des lieux de risques considérables.”