La ministre britannique des Affaires étrangères Liz Truss a pris une confortable avance sur son rival Rishi Sunak, ex-ministre des Finances, dans la course à la succession de Boris Johnson. Les deux prétendants, qui s’opposent sur les questions économiques et le pouvoir d’achat, seront départagés début septembre par un vote des adhérents du Parti conservateur. À la clé, la direction de la formation politique et le poste de Premier ministre du Royaume-Uni.
L’ex-ministre des Finances Rishi Sunak peut-il encore rattraper son retard dans la course à Downing Street ? Les derniers sondages montrent la ministre des Affaires étrangères Liz Truss largement en tête, avec le soutien de 58 % des membres du Parti conservateur, contre 26 % en faveur de Rishi Sunak et 12 % qui ne se sont pas encore décidés, selon une étude de ConservativeHome publiée jeudi 4 août.
Sélectionnés par les députés conservateurs à l’issue d’une série de cinq votes, les deux prétendants seront départagés par les quelque 180 000 adhérents du Parti conservateur à l’issue d’un vote par correspondance dont le résultat est attendu le 5 septembre.
Pour remonter la pente, Rishi Sunak mise sur son image de responsable compétent et sa gestion de la crise sanitaire, lors de laquelle plus de 300 millions de livres (355 millions d’euros) ont été dépensées pour soutenir l’économie du pays. Une position qui prête néanmoins le flanc aux critiques de sa rivale, qui dénonce un déficit budgétaire historique et des taxes trop élevées.
La cheffe de la diplomatie britannique a en effet séduit les membres du Parti conservateur avec une recette classique mais toujours efficace auprès des Tories : des promesses de baisses d’impôts, pour stimuler la croissance économique et réduire la crise du pouvoir d’achat.
Mais le vote conservateur au Royaume-Uni ne se limite plus à l’électorat âgé, aisé et originaire du sud du pays qui constitue traditionnellement le cœur de cible des Tories. L’élection générale de 2019 avait ainsi été marquée par l’écroulement de ce que les Britanniques appellent le “mur rouge”, la chute de bastions travaillistes dans le nord du pays de Galles et de l’Angleterre, passés au Parti conservateur. Un nouvel électorat qui pourrait être séduit par la tonalité plus populiste du discours de Liz Truss.
France 24 fait le point sur la course à Downing Street avec Sir John Curtice, professeur de politique à l’Université de Strathclyde.
France 24 : Pourquoi Liz Truss a-t-elle une aussi forte avance sur Rishi Sunak parmi les membres du Parti conservateur ?
Sir John Curtice : Liz Truss a su jouer du malaise au sein du Parti conservateur en ce qui concerne le niveau élevé des impôts et des dépenses publiques à la suite du Covid – et elle a efficacement utilisé la question du pouvoir d’achat pour réclamer des baisses d’impôts.
Elle a également réussi à se présenter comme une personne ordinaire, tandis que Rishi Sunak est perçu comme un enfant gâté sorti de Winchester [l’une des plus prestigieuses écoles privées du Royaume-Uni, NDLR] et est désormais, avec sa femme, à la tête d’une véritable fortune. Cette posture est loin d’aller de soi. Le père de Liz Truss était professeur de mathématiques et le quartier de Leeds d’où elle vient est relativement aisé.
Le troisième facteur est que Rishi Sunak a souffert des conséquences du Partygate ainsi que des errements de la domiciliation fiscale de sa femme, Akshata Murty, qui n’a pas payé d’impôt sur les revenus gagnés à l’étranger tandis qu’elle vivait au Royaume-Uni. Si le vote avait eu lieu six mois plus tôt, Rishi Sunak l’aurait facilement emporté. Mais aujourd’hui, il pâtit d’un réel déclin de sa popularité.
Rishi Sunak a choisi de se présenter auprès des Tories comme le candidat ayant le plus de chance de l’emporter auprès du grand public lors des prochaines élections générales. Pourquoi cette tactique ne semble-t-elle pas fonctionner ? A-t-il réellement plus de chance de l’emporter que Liz Truss ?
Aucun des deux candidats n’a un véritable avantage pour l’emporter aux prochaines élections. Je peux vous sortir des sondages auprès du grand public qui avantagent Truss, d’autres qui sont un peu plus en faveur de Sunak, et pas mal d’autres études d’opinion où ils sont à égalité.
Ce qui compte vraiment aujourd’hui, c’est que les membres du Parti conservateur pensent que Liz Truss a plus de chances de l’emporter.
Rishi Sunak bénéficie d’une image de responsable compétent, assez “Premier ministrable”. On a pu voir ça lors du dernier débat télévisé : il a fait une forte impression avec sa maîtrise des dossiers. Le problème est qu’il avait l’air par moments un peu agressif lors de son débat sur la BBC la semaine dernière […]. Une manière de débattre un peu hautaine peut lui porter préjudice face à Liz Truss, qui joue la carte de la personne ordinaire qui comprend bien les préoccupations des gens.
Quelles sont leurs chances de mener le Parti conservateur à une nouvelle victoire aux prochaines élections générales ?
Le Parti conservateur s’inquiète de se retrouver aux affaires tandis que les niveaux de dépense publique et des impôts sont aussi élevés. On ne souligne pas assez que les Tories risquent de devoir gérer la plus grande chute de niveau de vie au Royaume-Uni depuis la Seconde Guerre mondiale.
C’est quelque chose de très difficile à surmonter pour n’importe quel gouvernement. Mais les conservateurs ont quand même une chance de l’emporter car les électeurs ne sont pas convaincus non plus que le Parti travailliste ait des solutions.
Que ce soit Liz Truss ou Rishi Sunak qui l’emporte, le prochain leader conservateur se retrouvera dans une situation assez proche de celle de Gordon Brown, l’ancien leader travailliste. Ce dernier est devenu Premier ministre pendant la seconde moitié d’une législature, juste avant qu’une crise économique d’ampleur ne s’abatte sur le pays. [Gordon Brown est devenu Premier ministre en 2007, juste avant la crise de 2008 ; il a ensuite perdu les élections générales de 2010, NDLR.]
Par ailleurs, le leader travailliste Sir Keir Starmer ne parvient pas à réellement articuler une vision alternative pour la conduite du pays. S’il n’y arrive pas en ces temps de crise économique, on se peut se demander s’il y parviendra un jour…
Retrouvez la version originale de cette interview publiée sur notre site Internet en anglais.