Nous recevons cette semaine Arancha Gonzalez Laya, économiste espagnole, ancienne ministre des Affaires étrangères du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez et qui a été nommée doyenne de l’École des affaires internationales (PSIA) de Sciences Po. Guerre en Ukraine, inflation, politique de voisinage, celle qui connaît bien les arcanes des instances internationales nous éclaire sur les questions qui préoccupent les Européens.
Arancha Gonzalez Laya accorde une mention “très bien” à la présidence française du Conseil de l’UE qui vient de s’achever, entre autres pour “la manière dont la France a travaillé pour une réponse unie de l’Europe face à la guerre en Ukraine“. Car lors de cette présidence, “l’UE a réagi d’une manière ferme, et de la manière dont elle entend être la plus efficace : à la fois soutenant l’économie ukrainienne, en fournissant des armes à l’armée ukrainienne pour qu’elle puisse se défendre – et ça c’est une nouveauté aussi pour l’UE – et aussi en prenant des sanctions dont l’objectif est de rendre plus difficile le financement de cette guerre pour Vladimir Poutine”. Des sanctions qui auront “un effet dans les moyen et long termes”, souligne-t-elle.
Accorder à l’Ukraine un statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne, est, selon l’ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères, “un signal très fort vis-à-vis de Vladimir Poutine, qui voulait justement éviter que l’Ukraine soit plus proche de l’UE, qu’elle soit plus proche de l’Occident… et c’est également un signal très clair vis-à-vis des citoyens ukrainiens car, pour eux, l’idée de faire partie de l’UE, l’idée de faire partie de l’Europe était un désir exprimé d’une manière très forte, qui ne date pas d’hier !” Elle reconnaît cependant que “d’ici à ce qu’elle devienne membre de l’UE, il va falloir un processus long”, prenant comme exemple son pays, l’Espagne, qui a dû pour intégrer l’UE, “ajuster son économie, ses institutions et ses lois à celles de l’Union européenne”.
Elle revient également sur l’idée d’une communauté politique européenne, théorisée par le président français lors de son discours du 9 mai et qu’elle accueille avec enthousiasme, car selon elle, “l’Europe au sens large a besoin de définir cet espace politique européen, qui est composé des États membres de l’UE, ainsi que d’autres États, qui ne veulent pas pour l’instant être membres de l’UE, comme la Suisse, la Norvège ou pourquoi pas le Royaume-Uni, et qui est une réponse aussi à cette menace de Vladimir Poutine”.
Quelque 7 millions de réfugiés ont déjà quitté l’Ukraine, dont certains sont retournés chez eux, pour combattre ou se réinstaller. Cette vague migratoire a mis l’Europe à rude épreuve, faisant craindre la montée des populismes dans l’Union. “Partout dans le monde la migration est un sujet compliqué, mais en Europe, qui est un espace où les gens peuvent circuler à l’intérieur, cela nécessite de grandes doses de solidarité, aussi des règles communes, et dans le cas de l’Ukraine, on est en train de montrer d’un manière très claire comment on comprend, nous en Europe aussi, l’arrivée de tous ces réfugiés, et comment on est en train de les accueillir (…) parce qu’on comprend l’importance et l’urgence de donner une réponse à ce drame citoyen qui est une guerre dans le territoire européen, qu’on n’a pas connu depuis la Deuxième Guerre mondiale avec cette virulence”.
Autre conséquence de la guerre en Ukraine, une inflation record de près de 9 % pour le mois de juin en Europe, alors que la croissance reste modérée, à moins de 3 %. Selon Arancha Gonzalez Laya, qui fut porte-parole et cheffe de cabinet de Pascal Lamy lorsqu’il était directeur général de l’OMC entre 2005 et 2013, l’Europe “n’a pas encore digéré l’inflation générée par le Covid” qu’une deuxième vague “due à l’impact de la guerre en Ukraine” s’est déclenchée. Mais dans cette inflation que connaît l’Europe, “il y a une partie structurelle, et c’est probablement celle-là qui est la plus préoccupante”, analyse-t-elle. Elle insiste sur le rôle des banques centrales, qui ont “comme métier principal de gérer l’inflation”, mais “ne peuvent pas s’extraire du contexte en Europe aujourd’hui, qui est à la fois inflation, croissance et dette. Et c’est là que la Banque centrale (européenne) agit, avec fermeté mais précaution, d’une manière prudente, équilibrée, pour s’assurer qu’on contrôle l’inflation, qu’on ne tue pas la croissance et qu’on peut gérer la dette”, poursuit-elle insistant sur l’importance de la partie dette. “Parce que nous devons aussi faire de gros investissements pour les transitions numérique et climatique que nous avons mises en marche et qui nécessitent de grosses sommes de dépenses publiques, et maintenant on sait qu’on doit davantage dépenser aussi pour notre défense”, expique encore Arancha Gonzalez Laya.
Interrogée sur les relations de l’Espagne avec le Maroc d’un côté et l’Algérie de l’autre, celle qui fut ministre des Affaires étrangères rappelle “l’importance pour l’UE de s’occuper et se préoccuper de son voisinage sud”, et donc entre autres le Maroc et l’Algérie, “voisins incontournables”, “en essayant d’avoir les meilleures relations avec eux tous”, afin de “gérer d’une manière collégiale des défis majeurs que nous avons en commun, comme la transition énergétique, la mer Méditerranée ou le terrorisme, qui est quelque chose qui nous interpelle, sur les deux rives de la Méditerranée”.
Une émission préparée par Georgina Robertson, Isabelle Romero, Perrine Desplats et Luke Brown