Si la Russie s’est vue contrainte de renoncer début avril à la prise de Kiev, les sanctions occidentales ne l’ont, jusqu’ici, pas empêchée de poursuivre son opération militaire dans l’est et le sud de l’Ukraine. De leur côté, les États-Unis et l’Europe accentuent toujours les mesures d’isolation de Moscou ainsi que l’aide militaire à l’armée ukrainienne, tentant tant bien que mal d’en juguler l’impact sur leurs économies.
Quatre mois après le début de la guerre en Ukraine, l’unité occidentale créée par le soutien à Kiev n’a pas failli. Nouvelle preuve de son appui indéfectible : après des semaines de discussions, l’UE lui a octroyé, jeudi 23 juin, le statut de candidat à l’adhésion.
Considérant l’invasion russe comme une menace majeure pour la sécurité de l’Europe, l’UE et les États-Unis ont, depuis le début du conflit, imposé de lourdes sanctions contre le pouvoir russe et fourni à Kiev une aide militaire qui s’est révélée cruciale. Pourtant, cette stratégie n’est, jusqu’ici, pas venue à bout de la détermination de Vladimir Poutine, qui poursuit son invasion dans l’est et le sud de l’Ukraine, et pèse lourd sur les finances des puissances occidentales.
Inflation et pénuries
Début juin, l’Union européenne a adopté un sixième train de sanctions visant la Russie. Ces mesures, qui accentuent encore la pression sur les banques et sur les responsables russes, comprennent pour la première fois un embargo sur le pétrole russe, première source de revenus du pays. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le marché européen représente près de 50 % des exportations de pétrole brut russes pour seulement 29 % des importations européennes, bien que certains pays comme la Hongrie, la Finlande ou la Bulgarie en soient extrêmement dépendants.
Pour les 27, le but de ce nouveau train de sanctions reste toujours le même : “avoir le plus grand impact possible sur l’économie russe, tout en limitant les conséquences pour les entreprises et les citoyens de l’UE”, explique la Commission européenne sur son site.
Pourtant cet embargo, qui doit conduire à l’arrêt de 90 % des achats européens de pétrole russe avant 2023, nourrit déjà une inflation galopante qui affecte durement les citoyens. Le prix de l’énergie a connu une importante hausse ces derniers mois atteignant 39,2 % d’augmentation annuelle en mai dans la zone euro, selon les données d’Eurostat. En Europe comme aux États-Unis, l’inflation a aussi battu des records le mois dernier atteignant 8,1 % et 8,6 %, en taux annuel, suscitant la crainte, de plus en plus présente, d’une récession globale.
Outre l’énergie, l’inflation alimentaire enregistre une forte hausse. Le blocage des exportations ukrainiennes de céréales a généré une explosion des cours et pourrait conduire à d’importantes pénuries en Afrique et au Moyen-Orient, qui figurent parmi ses premiers acheteurs.
Le spectre de la récession
“Le calcul de l’inflation correspond à une anticipation du rapport entre l’offre et la demande” rappelle Anna Creti, professeur d’économie à l’université Paris Dauphine et spécialiste des questions énergétiques. “La tendance inflationniste avait débuté avec la reprise économique après la pandémie de Covid-19 puis s’est accentuée avec la guerre et les sanctions. En Europe, on estime aujourd’hui que 3 des 8 % d’inflation globale sont dus à l’annonce des sanctions énergétiques contre la Russie”.
“Les dirigeants sont bien conscients qu’il s’agit d’une tendance lourde qui va durer et coûter très cher. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une décision irréfléchie car les Occidentaux savent que le coût des sanctions demeure faible comparé à celui d’une implication militaire directe dans le conflit”.
Si l’inflation en Europe et aux États-Unis bat des records, elle reste pour l’heure bien en deçà de la flambée des prix en Russie qui avoisine les 17 %. Pour y remédier, la Réserve fédérale des États-Unis et la Banque Centrale Européenne ont par ailleurs annoncé une hausse des taux. Par ce biais, elles espèrent faire ralentir la consommation pour provoquer une baisse des prix. Une initiative qui n’est pas sans risque car un ralentissement trop important de l’économie pourrait provoquer une récession.
Les dirigeants européens et américains ont aussi annoncé des mesures d’accompagnement tels que des allègements de taxes, l’encadrement des prix dans certains secteurs ou bien encore des aides dirigés aux plus précaires.
>> À lire aussi : L’économie russe résiste, mais pour combien de temps ?
Le coût de la guerre
Dans ce contexte de pression accrue sur les populations et leurs dirigeants, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a appelé, dimanche 19 juin, les puissances occidentales qui fournissent des armes lourdes à l’armée ukrainienne à maintenir cet engagement.
“Nous ne devons pas relâcher notre soutien à l’Ukraine, même si les coûts sont élevés, non seulement pour le soutien militaire mais aussi en raison de la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires” a-t-il estimé, avertissant que la guerre “pourrait durer des années”.
Les États-Unis, de loin le premier fournisseur d’armements de l’Ukraine, ont annoncé jeudi 23 juin 450 millions de dollars (427,5 millions d’euros) d’aide militaire supplémentaire à Kiev pour un total de plus de 6,1 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros). Quelques jours plus tôt, le gouvernement allemand avait pour sa part indiqué vouloir débloquer plus d’un milliard d’euros en soutien à l’armée ukrainienne.
Mais “les Américains envoient des stocks neufs qu’ils possèdent en nombre considérable alors que les Européens ont des stocks beaucoup plus réduits et ils doivent penser à leur défense” souligne le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française aux Nations unies.
“L’Allemagne et les pays de l’est offrent en priorité du matériel datant de l’Union soviétique. La France, quant à elle, a relativement peu de matériel ancien car beaucoup de choses ont déjà été données aux armées africaines. Les 18 canons Caesar offerts à l’Ukraine est un véritable sacrifice car il s’agit de matériel neuf, coûteux et qui amoindrit l’arsenal militaire de l’armée française”.
Le 13 juin, Emmanuel Macron a annoncé qu’il souhaitait “réévaluer” la loi de programmation militaire 2019-2025, affirmant que la France était “entrée dans une économie de guerre” susceptible de durer. De son côté, Kiev réclame avec insistance l’envoi d’armes plus puissantes pour repousser l’envahisseur russe.
“L’argumentaire de Volodymyr Zelensky, qui consiste à dire que l’Europe est la prochaine étape pour Vladimir Poutine est très discutable, car un tel conflit provoquerait un choc frontal avec l’Otan”, analyse Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense.
“Pour autant, l’Europe ne peut se permettre de laisser la Russie gagner car Moscou pourrait alors réitérer ce genre d’opérations militaires contre d’autres de ses voisins au nom de la défense des populations russophones. L’Europe se doit de permettre à l’Ukraine de résister tout en envisageant l’après. Car la Russie ne va pas disparaître au cours de ce conflit et il faudra bien, à un moment, s’asseoir autour de la table”, conclut l’auteur de “Vendre la guerre – Le complexe militaro-intellectuel” (Broché).
Envisager l’après
Alors que les deux camps restent sur leurs positions, affichant leur détermination à remporter le conflit, quelques voix s’élèvent en Europe et aux États-Unis pour esquisser un début de résolution politique.
C’est le cas de l’ancien chef de la diplomatie américaine, Henry Kissinger, qui a appelé de ses vœux des concessions territoriales de la part de l’Ukraine, ou bien encore du philosophe allemand, Jürgen Habermas, pour qui l’escalade militaire fait peser une menace sur la perspective de négociations.
Début juin, Emmanuel Macron a réaffirmé qu’il ne fallait pas “humilier la Russie pour que le jour où les combats cesseront, nous puissions bâtir un chemin de sortie par les voies diplomatiques”. Des propos rejetés en bloc par les partisans d’une ligne dure vis-à-vis de Moscou, au premier rang desquels l’Ukraine. “Les appels à éviter d’humilier la Russie ne peuvent qu’humilier la France (…) Nous ferions tous mieux de nous concentrer sur la façon de remettre la Russie à sa place” a réagi Dmytro Kuleba, le chef de la diplomatie ukrainienne.
“La question des négociations est extrêmement sensible ; d’autant plus qu’une solution politique, les accords de Minsk, devait déjà permettre, il y maintenant sept ans, de mettre fin à la guerre entre les pro-russes et les forces ukrainiennes dans le Donbass” rappelle le général Dominique Trinquand.
“Les Ukrainiens ne vont pas vouloir aborder des négociations tant qu’ils pensent pouvoir récupérer cette région de l’est ainsi que le contour de la mer d’Azov. Un scénario fort peu probable car ils ne parviennent pas aujourd’hui à arrêter la progression russe, qui, bien que lente, continue. C’est seulement lorsque les Ukrainiens auront la certitude de ne plus pouvoir avancer qu’ils négocieront pour ne pas perdre plus de territoire. Du côté russe, qui a déjà revu ses ambitions militaires à la baisse, la seule manière de sauver la face est de s’assurer la conquête du Donbass”.
Dans un entretien avec France 24 diffusé le 17 juin, le conseiller de Volodymyr Zelensky, Mikhaïlo Podolyak, a, à nouveau, défendu l’objectif d’une reconquête totale de l’Ukraine. “Si les Russes devaient rester sur telle ou telle partie de notre territoire ils continueraient à attaquer, ce serait une guerre longue qui durerait un an, deux ans ou plus”. Selon le conseiller du président, l’armée ukrainienne serait en mesure de l’emporter sur une durée de “trois à six mois”, à condition que l’Occident accélère ses livraisons d’armes lourdes.