La Russie a convoqué l’ambassadeur de l’Union européenne mardi et a envoyé le numéro 2 du régime à Kaliningrad, deux jours après l’entrée en vigueur d’une sanction, décidée par la Lituanie, qui isole un peu cette enclave russe en Europe. Une réaction qui peut sembler disproportionnée, mais qui s’explique par l’importance de Kaliningrad aux yeux de Vladimir Poutine.
Il est arrivé à Kaliningrad mardi 21 juin. Nikolaï Patrouchev, à la tête du Conseil de sécurité de Russie, s’est rendu dans cette enclave russe pour présider une réunion sur des “questions de sécurité nationale”, alors que Moscou ne décolère plus ces derniers jours.
Le Kremlin n’a pas digéré la décision prise par la Lituanie, samedi 18 juin, de bloquer le transit par chemin de fer d’une partie des produits envoyés par Moscou à Kaliningrad. Séparée du reste de la Russie par la Lettonie, la Lituanie et la Biélorussie, cette enclave est approvisionnée essentiellement par une voie de chemin de fer qui passe par Minsk (Biélorussie) et Vilnius (Lituanie).
Numéro 2 du régime
Gabrielius Landsbergis, le ministre lituanien des Affaires étrangères, a eu beau rappeler que son pays “ne faisait qu’appliquer les sanctions européennes contre l’exportation de certains produits russe”, rien n’y a fait. Moscou a d’abord menacé Vilnius de “représailles” – sans préciser lesquelles – si cette interdiction n’était pas “immédiatement levée”. Le Kremlin a ensuite convoqué l’ambassadeur de l’Union européenne en Russie pour se plaindre officiellement.
Le déplacement de Nikolaï Patrouchev à Kaliningrad est le dernier acte de cette escalade des tensions russo-européennes initiée par Moscou. Et ce n’est pas le plus anodin. “C’est presque comme si Moscou envoyait Vladimir Poutine en personne sur place”, résume Jeff Hawn, spécialiste des questions de sécurité russe et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique.
Nikolaï Patrouchev est non seulement considéré comme un proche parmi les proches de Vladimir Poutine, il lui avait aussi succédé à la tête du FSB, le puissant service de renseignement, en 2000 et jusqu’en 2008. C’est donc un homme en qui le président russe a confiance.
À tel point que c’est aussi lui qui devrait temporairement remplacer Vladimir Poutine si ce dernier avait des soucis de santé l’empêchant d’exercer ses fonctions. “Dans les faits, il est le numéro 2 du régime”, écrit Filip Kovačević, spécialiste des questions de politique russe, sur le site New Lines Magazine.
Ainsi, ce déplacement est “un exemple de démonstration de force politique comme Moscou aime à les organiser pour montrer au monde qu’elle prend une situation très au sérieux”, souligne Jeff Hawn.
Mais pourquoi ? L’Union européenne impose ses sanctions depuis des mois à la Russie à cause de son invasion de l’Ukraine, tandis que la plupart des pays membres de l’UE apportent un soutien logistique et militaire à Kiev. Et Moscou n’avait, pour l’instant, jamais réagi de manière aussi véhémente, multipliant les menaces et faisant intervenir le dauphin de Vladimir Poutine.
Symbole de l’impuissance russe
Surtout, cet embargo imposé par la Lituanie n’est que partiel et affecte seulement des matériaux comme l’acier ou le charbon. Moscou peut continuer à approvisionner Kaliningrad en denrées alimentaires et autres biens de consommation courante. “Ce n’est clairement pas le Blocus de Berlin [épisode de la Guerre froide durant lequel l’URSS avait bloqué tout accès à Berlin pendant un an, NDLR] ! D’autant moins que la Russie peut toujours faire parvenir toutes les marchandises par la mer”, précise Jeff Hawn.
Cette sanction peut, en fait, être tout simplement la goutte qui fait déborder le vase. L’embargo partiel ne servirait alors que de prétexte à Moscou pour se plaindre de l’ensemble de l’œuvre européenne depuis le début de la guerre en Ukraine. Dans ce scénario, “si le Kremlin hausse le ton, c’est dans l’espoir de pousser l’UE à faire des concessions par ailleurs pour essayer de faire retomber les tensions”, note Jeff Hawn.
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Mais il a du mal à croire à cette explication parce que Kaliningrad est trop importante aux yeux de Vladimir Poutine pour ne servir que de prétexte. “C’est une ville cruciale sur le plan géopolitique pour Moscou, car elle représente une présence russe en plein cœur de l’Europe”, confirme Oscar Jonsson, expert des questions militaires russes à la Swedish Defence University.
Cette position stratégique s’accompagne aussi d’une “fragilité géographique, puisque Kaliningrad est coincée entre deux pays adhérents de l’Otan (Pologne au Sud et Lituanie à l’Est)”, ajoute Oscar Jonsson. Et l’embargo imposé vient rappeler cette réalité géographique.
Un rappel d’autant plus douloureux que Kaliningrad héberge une partie de l’arsenal des missiles nucléaires tactiques russes. Moscou est donc très chatouilleux dès qu’il s’agit de l’accès à cette enclave. Les autorités russes cherchent à ce point à contrôler tout ce qui entre et sort de Kaliningrad, qu’il faut un visa spécial pour s’y rendre.
Toute cette agitation diplomatique de Moscou vise aussi à dissimuler sous un flot de menaces “l’impuissance de la Russie dans cette situation”, affirme Jeff Hawn. La Russie n’a aucun moyen concret pour forcer la Lituanie à faire machine arrière et “le fait qu’un petit pays comme ça puisse imposer des sanctions à la Russie est du plus mauvais effet pour Vladimir Poutine, qui veut à tout prix imposer l’image d’un pays fort que tout le monde respecte sur la scène internationale”, ajoute cet expert.
Vilnius ne pouvait pas ignorer le dommage réputationnel que son embargo allait causer à la Russie. “La Lituanie a agi en accord avec les sanctions européennes, mais en faisant cela, elle prend un risque”, reconnaît Oscar Jonsson. Ce n’est pas une sanction que Moscou oubliera de sitôt. Il y a fort à parier que la Russie voudra rendre la monnaie de sa pièce à Vilnius un jour ou l’autre, d’une manière ou d’une autre. Une épée de Damoclès sous laquelle la Lituanie va devoir vivre. Et c’est Vladimir Poutine qui la tient entre les mains – ce qui n’est pas des plus rassurants.