La condamnation à mort de deux Britanniques et d’un Marocain, engagés aux côtés des forces ukrainiennes, par les séparatistes de Donetsk a suscité un tollé international. Derrière cette affaire se joue un nouveau bras de fer entre l’Ukraine et la Russie sur le sort des soldats arrêtés.
“Ils sont venus en Ukraine pour tuer des civils contre de l’argent.” Dimanche 12 juin, Denis Pouchiline, le leader de la République populaire autoproclamée de Donetsk (RPD), a défendu la condamnation à mort de trois soldats étrangers combattant au sein des forces ukrainiennes, et a exclu toute possibilité de pardon.
Jugés par un tribunal de ce territoire de l’est de l’Ukraine, contrôlé depuis 2014 par des séparatistes pro-russes, le Marocain Brahim Saadoun, 21 ans, et les Britanniques Aiden Aslin, 28 ans, et Shaun Pinner, 48 ans, ont écopé le 9 juin de la peine capitale pour “activités de mercenariat” et participation à des “actions visant à prendre le pouvoir et à renverser l’ordre constitutionnel”.
Une procédure vivement contestée par le gouvernement ukrainien, qui affirme que les trois hommes sont des soldats de l’armée protégés par le droit international.
Le statut de “prisonnier de guerre”
L’annonce du verdict, par le biais de l’agence de presse Russe TASS, a suscité une vague d’indignation en Occident. L’ONU a réaffirmé son opposition à la peine de mort “en toutes circonstances” et demandé à ce que les combattants détenus soient “traités conformément aux Conventions de Genève”.
“La question centrale dans cette affaire est le statut de prisonnier de guerre, qui est accordé aux parties prenantes du conflit pour éviter que celles-ci ne soient jugées et condamnées pour leur participation aux hostilités”, explique Me Emmanuel Daoud, avocat pénaliste au barreau de Paris et près la CPI.
Selon les conventions de Genève, qui régissent les règles de conduite à adopter en période de conflit, les soldats et les combattants qui défendent un État reconnu sont autorisés à utiliser la force en situation de conflit armé. À ce titre, ils ne peuvent donc être poursuivis pour leur implication, à moins d’avoir commis des faits d’une gravité particulière tels que des crimes de guerre, contre l’humanité ou bien de génocide.
La propagande des “mercenaires”
De leur côté, les autorités de Donetsk justifient les poursuites contre les trois ressortissants étrangers par le fait qu’ils ne seraient pas des soldats ni des combattants mais des mercenaires, une catégorie qui ne bénéficie pas du statut de prisonnier de guerre.
“Cette nuance est extrêmement ténue car le droit international fait une distinction entre les combattants et les mercenaires sur des points très précis ayant trait aux motivations, à la nationalité ou bien encore au salaire”, explique Me Emmanuel Daoud.
Les Conventions de Genève définissent les mercenaires comme des personnes impliquées de manière directe dans le conflit “en vue d’obtenir un avantage personnel” et dont “la rémunération matérielle est nettement supérieure” à celle octroyée aux combattants ou aux soldats. Le texte stipule, par ailleurs, que ces personnes ne peuvent être “ni ressortissantes d’une partie au conflit, ni résidentes du territoire contrôlé par une partie”.
Cette définition ne correspond pas aux profils des trois condamnés présentés par leurs entourages dans les médias. Le père de Brahim Saadoun affirme que le jeune homme, installé en Ukraine pour ses études, avait obtenu la nationalité ukrainienne avant de rejoindre l’armée. Selon les proches d’Aiden Aslin et Shaun Pinner, tous deux seraient installés dans le pays depuis plusieurs années, mariés à des Ukrainiennes et officieraient au sein de la marine nationale.
Escalade judiciaire
Autre élément troublant, la condamnation à mort des trois hommes intervient quelques semaines après le premier procès d’un soldat russe devant la justice ukrainienne. Le 24 mai, un officier âgé de 21 ans a été reconnu coupable de crime de guerre pour avoir abattu un civil dans la région de Sumy, dans le nord du pays. Il a été condamné à la prison à perpétuité. Depuis, deux autres soldats russes ont écopé de peines de prison pour “violation des lois et coutumes de la guerre”.
La procureure générale ukrainienne, Iryna Venediktova, avait indiqué en mai qu’une quarantaine de soldats russes arrêtés en Ukraine pourraient être prochainement jugés pour des faits similaires.
“La Russie sait que l’Ukraine recueille des preuves de crimes de guerre pour poursuivre ses soldats, y compris devant la justice internationale. Par le biais des séparatistes, elle envoie un message au gouvernement : ‘Si vous condamnez nos militaires, nous allons faire la même chose en pire’”, analyse Anastasiya Shapochkina, chercheuse spécialiste de la Russie.
“Ce jugement est également un avertissement envers les soutiens internationaux de Kiev” poursuit-elle. “Il vise à décourager les volontaires en montrant l’impuissance des États à venir en aide à leurs ressortissants arrêtés. Enfin, le narratif des ‘mercenaires étrangers’ nourrit la propagande russe à l’égard de son propre peuple. Celle d’une guerre non pas contre le peuple ukrainien mais contre des nazis soutenus par les puissances étrangères.”
Suite à leur condamnation, les trois hommes ont annoncé qu’ils allaient faire appel, a rapporté l’agence russe TASS, espérant éviter la mise à mort par peloton d’exécution.
Engagée dans une course contre la montre pour sauver ses ressortissants, la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, a déclaré mardi 14 juin qu’elle ferait “tout ce qui est nécessaire” pour obtenir leur libération.