“Ici l’Europe” se tourne vers un pays d’Europe centrale : l’Autriche. Petit et riche pays de 9 millions d’habitants, il est aujourd’hui contraint de réduire ses importations de gaz russe, alors que le conflit en Ukraine se poursuit, tout en soutenant les sanctions décidées par l’Union Européenne. Des problématiques majeures dont est venu nous parler le ministre autrichien des Affaires étrangères Alexander Schallenberg, qui a été chancelier par intérim.
En tant que ministre et chef de la diplomatie, Alexander Schallenberg analyse la situation en Ukraine. “Le choc du 24 février était immense pour nous tous. Nous y avons vu une attaque contre toutes nos valeurs, contre le système international de sécurité que nous avons établi tous ensemble après la Seconde Guerre mondiale et la chute du mur de Berlin. Je pense que nous devons tous être très impressionnés par leur lutte pour la liberté, leur indépendance et leur souveraineté. Je suis assez fier de l’unité européenne que nous avons mise en œuvre avec six paquets de sanctions, je pense que nous nous approchons d’un moment clé”, estime-t-il.
Après l’annonce d’un 6e paquet de sanctions à l’égard de la Russie, le ministre des Affaires étrangères se félicite d’une nouvelle avancée : “Ces sanctions sont les plus fortes jamais mises en place dans l’histoire de l’Union Européenne et elles vont avoir leurs effets à long terme en Russie, mais il faut continuer” rappelle-t-il. “Ça ne va pas se terminer d’ici à quelques jours ou quelques mois, Ça va être une guerre de longue durée, une confrontation entre la Russie et le monde libre. Pour moi, le plus important est de garder l’unité du monde de l’Ouest.”
L’Autriche dépendante à 80 % du gaz russe
Interrogé sur l’embargo sur le pétrole russe, dont est très dépendant l’Autriche, Alexander Schallenberg admet avoir été “malheureux que le débat sur le 6e paquet de sanctions soit mené publiquement alors qu’on doit savoir qu’on est observés par Pékin et Moscou. J’aurais aimé que ça soit mené en huis clos comme les premiers paquets de sanctions. […] Il faut tenir en compte que certains pays de l’Union Européenne, comme la Hongrie et d’autres, sont plus dépendants de la Russie, qu’on veut quand même avoir des paquets de sanctions qui frappent la Russie et l’affaiblissent mais qui ne nous affaiblissent pas nous-même.”
“On voudrait que la situation soit différente mais c’est un fait”, déplore-t-il, rappelant que son pays est dépendant à 80 % du gaz russe. “Notre industrie en a besoin. Nous n’avons pas accès à la mer, c’est-à-dire que nous serions forcément dépendants d’autres États. Mais un changement ne se fait pas du jour au lendemain. Tout le système de pipeline de l’Europe centrale mène vers l’est, vers la Russie. Ça mettra du temps de changer, mais le but du gouvernement autrichien est clair : il veut diminuer puis éliminer complètement la dépendance de la Russie”, assure-t-il. “On est dans la même situation que l’Allemagne. Un embargo n’est pas faisable pour nous. Les pipelines ne se construisent pas du jour au lendemain.”
Une neutralité “purement militaire”
Karin Kneissl, diplomate de carrière, ministre entre 2017 et 2019, avait choqué l’Europe en invitant Vladimir Poutine à venir valser à son mariage dans les montagnes, à l’été 2018 : elle émarge désormais au conseil de surveillance du groupe pétrolier russe Rosneft. Pour Alexander Schallenberg, “la ligne du gouvernement actuel est tout à fait différente. En tant qu’homme, je ne vais pas aller valser avec Vladimir Poutine ou qui que ce soit d’autre de la fédération russe”, déclare-t-il. Nous sommes une minorité sur cette planète. Seuls 20 à 25 % des pays de l’ONU environ représentent des modèles de liberté, de pluralisme et de démocratie. La Russie n’en fait pas partie. On y a cru un moment, mais ce n’est pas le cas. Poutine a décidé d’utiliser l’arme militaire et d’attaquer un pays européen. Nous réalisons brutalement que certains États ne sont pas nos amis.”
La question de la neutralité fait à nouveau débat en Autriche, alors que la Finlande et la Suède viennent de formaliser leur demande d’adhésion à l’OTAN. Une organisation à laquelle le pays d’Alexander Schallenberg refuse d’appartenir. “Chaque État a son histoire et sa géographie. Nous n’avons pas la même situation que la Finlande qui a une frontière commune avec la Russie”, analyse-t-il. “La neutralité autrichienne est purement militaire. Ce qui veut dire que nous ne voulons pas adhérer à l’OTAN, mais nous n’avons jamais été neutres de façon politique.”
De nouvelles formes d’intégration à l’UE ?
L’élargissement de l’Union Européenne ? Pas trop vite ! “Nous soutenons pleinement l’aspiration ukrainienne d’adhérer à la famille européenne. Il faut penser au-delà d’une politique purement symbolique. Donner le titre de ‘pays candidat’ ne changera rien, cela n’impressionnera pas les Russes ou d’autres États. Je crois que nous avons vraiment une responsabilité géostratégique et géopolitique envers le voisinage. Cela concerne l’Ukraine, mais aussi la Moldavie et les Balkans. […] Nous avons mis des propos en avant pour dire qu’il faut faire les choses plus concrètement. Pourquoi se limiter à deux modèles ? Pourquoi ne dire qu’il n’y a que l’adhésion ? Ces modèles ne servent pas actuellement. Nous avons proposé d’inclure certains États, s’ils ont adopté l’acquis communautaire dans un domaine, dans certaines politiques du marché commun par exemple. On pourrait imaginer de les inclure dans certains groupes de travail à Bruxelles. Une réunion informelle tous ensemble et les 27 qui décident à la fin. Mais il faudrait qu’on les traite politiquement comme s’ils étaient déjà États membres et qu’on n’attende pas les 10, 15, ou 20 ans que ça va mettre pour les inclure dans l’UE”, propose-t-il.
Le ministre autrichien des Affaires étrangères a tenté de justifier la visite de Karl Nehammer à Vladimir Poutine : “je ne pense pas qu’il s’agisse d’une erreur. Il faut garder un minimum de dialogue. Nous n’avions aucune attente, mais il était clair que le chancelier allait d’abord en parler avec Zelensky et que s’il avait dit non, nous n’aurions pas fait ce voyage à Moscou. Mais il faut tout essayer pour arrêter cette guerre. C’est une obligation politique et diplomatique […] Poutine est déterminé à poursuivre, mais nous ne savons pas quel type d’informations il reçoit. C’est pour ça que, pour moi, il est clair qu’il faut parler à tout le monde, même quand c’est difficile, surtout quand c’est difficile.”
Émission préparée par Isabelle Romero, Perrine Desplats, Sophie Samaille et Georgina Robertson