Situé entre la Lituanie et la Pologne, le corridor de Suwalki est sous surveillance depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février. Reliant l’enclave russe de Kaliningrad à la Biélorussie pro-Poutine, ce passage terrestre suscite les craintes des pays Baltes, qui y voient depuis longtemps une possible porte d’entrée pour les troupes russes. L’adhésion annoncée de la Finlande et de la Suède à l’Otan devrait rassurer l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.
C’est une toute petite bande de terre de 65 kilomètres de long à la frontière entre la Pologne et la Lituanie. Mais elle est scrutée de près. Le corridor de Suwalki, qui relie l’enclave russe de Kaliningrad, sur la mer Baltique, à la Biélorussie pro-Poutine, marque la séparation entre les pays Baltes et leurs alliés de l’UE et de l’Otan. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février, la Lituanie a renforcé la surveillance de ce passage, source d’inquiétude depuis l’invasion de la Crimée par la Russie, en 2014.
À l’ouest, le passage de Suwalki part de l’oblast – région administrative russe – de Kaliningrad. Annexée par Staline après la Seconde Guerre mondiale, Kaliningrad est restée russe, malgré l’indépendance des États baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) en 1991. Au fil des ans, l’enclave a été fortement militarisée par la Russie, notamment après l’élargissement de l’Otan et de l’UE aux États baltes, en 2004.
Le corridor de Suwalki, qui porte le nom d’une ville polonaise près de la frontière, s’étend le long de la frontière entre la Lituanie et la Pologne et prend fin en Biélorussie. Le pays vassal de Moscou opère régulièrement des exercices militaires, en réponse au renforcement des troupes en Pologne et dans les pays Baltes. Des troupes russes sont également postées en Biélorussie. Dans ce contexte, le corridor de Suwalki est perçu par certains analystes comme un point faible de l’Otan. Car en s’en emparant, la Russie relierait directement son territoire à la Biélorussie.
Suwalki face aux difficultés de l’armée russe
“Si cet axe était bloqué par les Russes, l’Otan ne pourrait plus acheminer de troupes par la terre de la Pologne à la Lituanie”, explique Thibault Fouillet, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Les pays Baltes se retrouveraient isolés de ses alliés de l’Otan et de l’Union européenne sur le plan terrestre.
“Compte tenu des difficultés de la Russie en Ukraine, on voit mal comment elle pourrait se battre contre plusieurs États à la fois”, nuance le spécialiste des conflits contemporains et des stratégies des petites puissances. Moscou n’a pas réussi à mener la guerre éclair qu’elle espérait en Ukraine. La capitale, Kiev, a résisté aux Russes, qui concentrent désormais leurs efforts dans le Donbass, dans l’est du pays. Il y a une semaine, les troupes russes ont dû, par ailleurs, quitter la deuxième ville de l’Ukraine, Kharkiv.
“La Russie était prête à se lancer dans une guerre d’ampleur – ce dont on n’était pas totalement sûrs au départ. La menace était grande pour les États baltes. Mais aujourd’hui, on constate que l’armée russe est bien moins capable que ce qu’on imaginait. Et le risque d’une invasion globale semble s’éloigner”, ajoute le chercheur.
La demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan est une bonne nouvelle pour les pays Baltes. En entrant dans l’Alliance atlantique, les deux pays européens voisins pourraient envoyer du matériel et des troupes. “L’adhésion de la Finlande rendrait possible un acheminement de troupes depuis Helsinki jusqu’à Tallinn. Et avec un corridor maritime, un débarquement depuis Stockholm peut aussi être mis en place”, précise Thibault Fouillet.
Une crainte née pendant la Guerre froide
La peur d’une prise de contrôle du corridor de Suwalki n’est pas nouvelle. Dans la région, elle représente une “inquiétude historique”, selon le chercheur. “Pendant la Guerre froide, la position géographique du corridor suscitait déjà des interrogations, alors même que les pays Baltes et la Pologne faisaient partie de l’URSS. La problématique est ressortie du placard au début des années 2000 [avec l’élargissement de l’Otan en 2004, NDLR] et en 2014 avec l’annexion de la Crimée”, explique Thibault Fouillet.
En 2016, un rapport du think tank Rand Corporation a aussi fait grand bruit, remettant la question du corridor de Suwalki sur le devant de la scène. En simulant une invasion des États baltes, des chercheurs ont montré que Riga ou Tallinn pourraient être encerclées par les forces russes en moins de 60 heures.
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“Ces simulations de la Rand Corporation montraient que le plan idéal pour les Russes serait d’envahir les États baltes par encerclement. Pour y parvenir, il faudrait que la Russie évite une contre-attaque de l’Otan grâce à une bulle antiaérienne et en prenant, bombardant ou bloquant le corridor de Suwalki pour empêcher l’acheminement de troupes”, explique le chercheur.
Mais selon lui, ces projections ont leurs limites. “Il ne faudrait pas non plus considérer que la Russie est toujours l’URSS. Ce que pouvait faire l’Union soviétique en envahissant une partie de l’Europe, la Russie ne peut pas le faire aujourd’hui. On la voit mal envahir l’ensemble des pays Baltes en menaçant directement le corridor de Suwalki, compte tenu des difficultés de son armée en Ukraine.”