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Boris Johnson “semble engagé dans une logique de 'quoi qu'il en coûte'” contre l'immigration

L’accord conclu jeudi par le Royaume-Uni pour envoyer au Rwanda ses demandeurs d’asile est décrié par plusieurs ONG et par l’ONU, qui lui reprochent sa cruauté et son illégalité. France 24 fait le point avec François Gemenne, chercheur spécialiste des flux migratoires à Sciences Po.

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France 24 : Que sait-on de l’accord conclu entre le Royaume-Uni et le Rwanda sur la délocalisation des demandeurs d’asile ?

François Gemenne : Selon l’accord conclu, toutes les personnes franchissant illégalement la frontière du Royaume-Uni, soit environ 28 000 par an, seront envoyées au Rwanda, où leur dossier de demande d’asile sera traité de A à Z par des officiers rwandais. En échange, le Royaume-Uni versera au Rwanda un forfait conséquent de 120 millions de livres (environ 144 millions d’euros) par an.

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Il s’agit d’une totale nouveauté : on prend souvent l’exemple de l’Australie, qui délocalise sa procédure d’asile dans des États insulaires voisins, comme Nauru, mais l’accord conclu par le Royaume-Uni va beaucoup plus loin.

À Nauru, ce sont des officiers australiens qui traitent les dossiers des demandeurs d’asile et les réfugiés ont ensuite le droit de se rendre en Australie. Dans le cadre de l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda, l’asile est entièrement externalisé : s’il leur est accordé, les réfugiés ne pourront pas aller au Royaume-Uni pour autant et devront s’installer au Rwanda.

Les modalités d’application restent en revanche assez floues : nous ne savons pas comment les demandeurs d’asile seront envoyés au Rwanda ni comment ils y seront traités après leur arrivée. Seront-ils placés dans des centres de détention, existera-t-il une procédure d’appel, pourront-ils bénéficier d’un interprète ? Le Rwanda n’est pas un modèle en matière de respect des droits humains.

De nombreuses ONG ont dénoncé le caractère illégal et cruel de l’accord. Contrevient-il au droit international ?

L’accord contrevient au droit d’asile et à la Convention de Genève, dont le Royaume-Uni est signataire. Il concerne les personnes qui “franchissent la frontière de façon irrégulière”. Or la Convention de Genève stipule très clairement que les personnes qui franchissent une frontière pour demander l’asile ne sont jamais dans l’illégalité, même si elles font appel à des passeurs.

Lorsqu’on fuit un danger de mort dans son pays, il n’est pas toujours possible de demander un visa : il faut pouvoir se rendre rapidement dans un autre pays pour y demander l’asile, peu importe le moyen. Imaginez : cela voudrait dire que les Ukrainiens qui fuient en ce moment la guerre pourraient se retrouver au Rwanda.

De facto, le Royaume-Uni décide donc de ne plus accorder l’asile puisque seules les personnes entrées légalement dans le pays, une infime minorité, pourront le demander et y vivre comme réfugiés. Cela revient pour le Royaume-Uni à sortir de facto de la Convention de Genève.

Peut-on s’attendre à ce que cet accord soit efficace et fasse baisser le nombre des demandes d’asile ? Est-ce une mesure réaliste ?

L’accord va être difficile à appliquer ; son coût va être considérable pour les Britanniques. En plus du forfait de 120 millions de livres par an, il va falloir que le Royaume-Uni déplace les demandeurs d’asile au Rwanda. Lorsqu’on sait qu’une expulsion forcée coûte en moyenne 14 000 euros par personne en France, on imagine bien les sommes que cela peut représenter.

L’accord va cependant avoir un effet dissuasif sur les demandeurs d’asile, même si cela dépend de la façon dont il sera appliqué concrètement. Les embarcations seront-elles systématiquement contrôlées ou seulement quelques unes d’entre elles, pour l’exemple ?

Boris Johnson semble néanmoins engagé dans une logique de “quoi qu’il en coûte” sur le sujet, qui a un fort intérêt politique pour lui. Alors qu’il est en difficulté pour conserver son poste après le scandale des fêtes organisées pendant le confinement, l’accord lui permet de montrer aux électeurs que le gouvernement ne recule devant rien pour protéger les frontières britanniques, ce qui était un des arguments chocs du Brexit.

Le fait que les 120 millions de livres soient un forfait risque aussi de pousser le gouvernement britannique à chercher à le “rentabiliser” en expulsant le plus possible de demandeurs d’asile.

Si cela fonctionne, on peut redouter que d’autres pays soient tentés de s’engouffrer dans la brèche. Le Danemark discutait ces derniers mois avec le Rwanda d’un projet similaire, et la réussite du Royaume-Uni pourrait le pousser à reprendre les négociations. La Hongrie pourrait, elle aussi, être intéressée.

Et si l’accord entre réellement en œuvre, on peut s’attendre à des conséquences pour la France, puisque les demandeurs d’asile renonçant à traverser la Manche y déposeront leur demande.

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