Les Hongrois se rendront aux urnes dimanche à l’occasion des élections législatives. Si le Premier ministre ultraconservateur sortant, Viktor Orban, entend bien être réélu pour un quatrième mandat consécutif, il a dû composer ces dernières semaines avec un nouveau facteur : la guerre en Ukraine, qui a totalement bouleversé la campagne électorale.
“Poutine ou l’Europe ?”, peut-on lire sur des affiches dans les rues de Budapest. En Hongrie, la guerre en Ukraine s’est invitée comme le sujet phare de la campagne pour les élections législatives du 3 avril. Alors que le Premier ministre ultraconservateur, Viktor Orban, veut rafler un quatrième mandat consécutif, l’opposition ne cesse de critiquer sa proximité avec Moscou. À quelques jours du scrutin, les questions de politique intérieure sont devenues inaudibles, et le vote prend des allures de référendum entre ouverture vers l’Est et réconciliation avec l’Union européenne.
“Avant le début de la guerre en Ukraine, la campagne électorale était surtout dominée par des questions sociétales : le parti de Viktor Orban, le Fidesz, prônait ‘des valeurs traditionnelles’ et la lutte contre ‘la propagande LGBT'”, explique auprès de France 24 Daniel Hegedus, politologue, spécialiste des pays d’Europe de l’Est au sein de la fondation German Marshall Fund. Dimanche, le scrutin législatif sera d’ailleurs assorti d’un référendum sur une proposition de loi visant à “interdire la représentation et la promotion de l’homosexualité et de la transidentité auprès des mineurs”.
De son côté, l’opposition, emmenée par le conservateur Peter Marki-Zay, “se concentrait surtout autour de la lutte contre la corruption”, poursuit le politologue. Dans les premiers mois de la campagne, l’objectif affiché de ce bloc inédit, qui rassemble six partis couvrant l’ensemble de l’échiquier politique, était en effet de renverser “le gouvernement le plus corrompu de mille ans d’histoire magyare”.
Mais depuis le 24 février, ces thématiques ont été reléguées au second plan, éclipsées par l’invasion russe en Ukraine, l’afflux de réfugiés arrivant en Hongrie et les bouleversements géopolitiques mondiaux.
Le jeu d’équilibriste d’Orban
Depuis son retour au pouvoir en 2010, Viktor Orban n’a cessé de renforcer ses liens économiques et politiques avec le Kremlin, rappelle auprès de France 24 Paul Gradvohl, historien spécialiste de l’Europe de l’Est à l’université Panthéon-Sorbonne. “Aujourd’hui, c’est l’argument principal de l’opposition, qui dénonce un chef d’État ‘à la botte de Poutine’.”
“Orban et Poutine, ou l’Occident et l’Europe – voilà l’enjeu de ce scrutin. Un choix entre le côté sombre ou le bon côté de l’histoire”, résumait ainsi Péter Márki-Zay dans un message publié sur les médias sociaux.
Face à ces critiques internes et dans un souci de ménager son image à l’international, le Premier ministre hongrois joue les équilibristes. Lui qui était encore accueilli en grande pompe à Moscou le 1er février dernier, n’a pas hésité à condamner la guerre en Ukraine et à soutenir les sanctions occidentales contre le Kremlin. Plus étonnant encore, il a récemment accepté le déploiement de troupes de l’Otan sur une partie de son territoire.
Connu pour sa politique anti-migrants, il a aussi surpris en adoptant une politique d’accueil à ses frontières. Depuis le 24 février, son pays a ainsi accueilli plus de 130 000 réfugiés venus d’Ukraine, selon le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies.
Mais hors de question en revanche, pour Budapest, de se mettre la Russie à dos en acceptant de livrer des armes à l’Ukraine ou d’en laisser transiter sur son territoire. Hors de question aussi, de se passer du gaz russe malgré les sanctions. “Le pays est complètement dépendant de Moscou sur la plan énergétique”, explique Pierre Gradvohl. Et de rappeler : “Outre la dépendance en gaz, en 2014, la Hongrie a confié à la Russie le développement de deux centrales nucléaires (le complexe de Paks) sur son territoire.”
“Les Russes garantissent 80 % de l’approvisionnement en gaz de notre pays. Si nous coupons le robinet, nous ne pourrons plus cuisiner ou nous chauffer. Et sans l’extension du complexe de Paks, les tarifs de l’électricité quadrupleraient”, argumentait ainsi début mars le journal progouvernemental Magyar Nemzet.
“Le choix de la paix et de la sécurité”
“Concrètement, Orban est fidèle à sa position d’ultranationaliste et fait valoir une position où il privilégie avant tous les intérêts de son pays”, résume Pierre Gradvohl. “Et à l’inverse, il présente l’opposition comme prête à faire passer les intérêts extérieurs avant les intérêts nationaux.”
Lors d’un important meeting organisé le 15 mars, jour de la fête nationale hongroise, Viktor Orban s’est ainsi présenté devant une foule de supporters comme le candidat “de la paix” face à une opposition “qui a perdu l’esprit”, “prête à s’engager dans une cruelle et sanglante guerre”. “La droite est le camp de la paix, la gauche est celui de la guerre”, a-t-il asséné.
Au même moment, de l’autre côté du Danube, le chef de l’opposition organisait un contre-rassemblement. Dans la foule, on brandissait des drapeaux ukrainiens et européens et faisait une minute de silence en hommage aux victimes de la guerre. Peter Marki-Zay, lui, a appelé à voter “pour le bon côté de l’histoire”, et a promis de réconcilier la Hongrie et l’Union européenne, dont les relations ont été mises à mal par dix ans de gouvernement du Fidesz.
La propagande pro-Poutine au service d’Orban
“Dans ces argumentaires, Orban a un avantage majeur sur l’opposition : il peut compter sur sa mainmise sur les médias pour porter son discours”, poursuit Pierre Gradvohl. Depuis son arrivée au pouvoir, le Premier ministre a en effet verrouillé le paysage médiatique, réduisant au silence de nombreux journaux d’opposition et exerçant un contrôle sévère sur les médias d’État.
“Dans l’essentiel des médias publics et privés, la propagande prorusse bat son plein et sert à tout va une rhétorique proche de celle du Kremlin”, note l’historien. “Et évidemment, on relaie bien plus la parole d’Orban que celle de l’opposition.”
Dernier exemple en date : vendredi 25 mars, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a directement interpellé Viktor Orban dans un message aux dirigeants de l’UE, l’appelant à “choisir son camp”. “Le lendemain, la télévision publique offrait au Premier ministre une tribune de dix minutes pour se justifier, sans contrepoids de l’opposition”, relate l’historien.
“Un scrutin encore incertain”
Cette propagande et cette neutralité affichée suffiront-t-elles à Orban pour s’assurer une victoire au scrutin de dimanche, face à une opposition plus unie que jamais ? Selon un sondage de l’institut progouvernemental Nézopont, publié le 21 mars, Orban serait crédité de 49 % d’intentions de vote, contre 41 % pour son rival – un nombre de partisans au parti au pouvoir en augmentation depuis le début du conflit.
“Le scrutin est encore incertain et dans cette société très polarisée, tout va se jouer sur les indécis”, s’accordent Daniel Hegedus et Pierre Gradvohl. “Se présenter comme un garant de la paix est certainement bénéfique pour Orban. Cela lui permet de rassurer une partie de la population”, note Daniel Hegedus. “Et la guerre en Ukraine détourne l’attention de conflits qu’il peut avoir avec l’Union européenne et des problèmes économiques internes…”
“Globalement, ce vote prenait déjà des allures de référendum pro ou contre Orban. Il devient aussi un référendum sur la direction que doit prendre le pays, entre l’Union européenne et la Russie”, conclut-il.
“Guerre ou non, le système, via son découpage administratif notamment, est favorable à Orban”, nuance de son côté Pierre Gradvohl. “Quelle que soit l’issue du scrutin, selon moi, la guerre en Ukraine a tout de même commencé à faire vaciller le système Orban en entraînant une prise de conscience au sein de la population. À voir maintenant à quel point celle-ci suivra.”