Les Européens s’interrogent : comment stopper la guerre en Ukraine, que l’on peut qualifier de plus grand conflit dans le cœur de l’Europe depuis probablement la guerre des Balkans dans les années 90 ? Les sanctions contre la Russie de Vladimir Poutine sont-elles suffisantes ? Quelles seront les prochaines étapes ? Les 27 redoublent d’initiatives et d’unité lors de ce Sommet européen, comme nous le confirme Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg.
Ces 24 et 25 mars, les yeux étaient tournés vers Bruxelles alors que trois importants sommets internationaux s’y déroulaient, ceux de l’Otan, du G7 et de l’Union européenne. Les 27 chefs d’États et de gouvernement européens, rejoints entre autres par le président américain Joe Biden, se sont rencontrés et ont montré une unité sans faille et une “solidarité mondiale” avec l’Ukraine, se réjouit Xavier Bettel.
Lors d’une visioconférence, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a lancé un appel aux membres de l’Otan, leur demandant davantage d’aide pour lutter contre les attaques russes. Le Premier ministre luxembourgeois rappelle l’article 5 du Traité qui prévoit que si un pays membre de l’Otan est attaqué, tous les autres se doivent de riposter. Mais l’Ukraine n’est pas un membre de l’OTAN et en conséquence, “si, en tant qu’OTAN, nous agissons, nous provoquons nous-mêmes une guerre qui serait mondiale”. La seule initiative possible pour les pays membres reste donc de “donner le matériel nécessaire aux Ukrainiens, d’apporter toute l’aide possible pour qu’ils puissent se défendre”.
Autonomie stratégique de Défense… mais pas que
L’une des priorités de la présidence française du Conseil de l’UE concerne l’autonomie stratégique de la défense européenne. Alors que le Luxembourg ne consacre que 0,6 % de son PIB à la défense (contre les 2 % demandés), Xavier Bettel rappelle qu’il a déjà augmenté son budget en la matière de 230 % et que “dépenser pour dépenser, ça ne sert à rien”. Il assure être en discussion avec les gouvernements français et allemand pour savoir “comment faire des achats communs et comment faire des dépenses intelligentes”, car “l’achat groupé, le fait d’avoir une interopérabilité du matériel permet de faire des économies”.
Mais “l’autonomie stratégique de l’Europe n’est pas que l’armement, c’est aussi l’énergie, c’est l’industrie, c’est tout ce qui est aussi communication. Et aujourd’hui, on est pris en étau entre les États-Unis et l’Asie sur énormément de choses”, regrette-t-il.
Les sanctions financières sur le système swift ont des répercussions, notamment sur le prix de l’énergie, l’Union européenne important 40 % de son gaz de la Russie. Certains plaident pour un plafonnement du prix du gaz, comme l’Espagne et le Portugal par exemple. Mais Xavier Bettel s’y oppose, car cela aurait un impact trop important sur l’économie luxembourgeoise et le niveau de vie de ses concitoyens. “Aujourd’hui, dire qu’on a un plafonnement, qu’est-ce que ça veut dire ?” Pour lui, il s‘agit surtout d’un problème d’approvisionnement : “Est-ce qu’on aura assez d’approvisionnement si tout d’un coup on dépasse le plafonnement ? Et qu’est-ce qu’on fait si on n’en a plus ?”
“Il y a encore énormément de points en discussion” mais, selon lui, “il n’y a pas ici de bonne solution.” Et cela permet de se rendre compte que la question de l’indépendance énergétique européenne est une réalité. Xavier Bettel rappelle que l’UE a d’autres sources d’approvisionnement en gaz que la Russie, comme la Norvège, l’Algérie ou l’Angleterre. “Et je pense que c’est un ensemble de mesures qui permettra de trouver une solution”, estime Xavier Bettel. La Commission européenne a par ailleurs sécurisé un partenariat stratégique avec les États-Unis pour importer leur gaz liquéfié. “Qu’on arrive à n’être pas tributaire d’une personne mais d’avoir des partenaires plus diversifiés, (…) moi je suis pour. Plus on aura de partenaires, mieux ce sera”, confie le Premier ministre luxembourgeois.
Sanctions contre la Russie
Le Luxembourg, place financière importante, accueille notamment des banques russes, telle que Gazprom Bank, qui emploie 100 personnes. “D’autres places financières sont plus liées que la nôtre aux Russes !”, se défend Xavier Bettel qui, à l’introduction du Sommet, a appelé à une graduation des sanctions envers la Russie, malgré les répercussions évidentes qu’elles auront.
Mais les leaders européens ne sont pas tous d’accord quant aux sanctions à appliquer. Certains Etats membres, comme la Hongrie et l’Autriche, refusent de couper l’argent aux Russes, arguant que cela coûtera à terme plus cher à l’Europe qu’à la Russie. Mais selon Xavier Bettel, “ce qui est important c’est tout simplement de se demander quelle sera la prochaine étape”.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a parlé de la possibilité que Vladimir Poutine utilise des armes biologiques contre son pays. “Comment va-t-on réagir à ça ?”, se demande le chef du gouvernement luxembourgeois. Il évoque des échanges téléphoniques avec lui. “On se rappelle dans 3 ou 4 jours… si je suis encore vivant”, lui a répondu Volodymyr Zelensky. Car la tête du président ukrainien a été mise à prix. “Qu’est-ce qu’on va faire si vraiment c’est exécuté ?’, s’inquiète Xavier Bettel, pour qui “il est important d’avoir une graduation possible (des sanctions)”. Et d’ajouter : “on sait que la coupure du robinet avec la Russie est une sanction très dure pour les Russes, aussi très dure pour nous, mais on est prêts à pouvoir la prendre. (…) On travaille sur de nouvelles sanctions possibles, on fait aussi l’analyse des sanctions existantes, pour pouvoir prendre de nouvelles sanctions en cas d’escalade de la situation des autorités russes par rapport à l’Ukraine et c’est ça qui est important. Et ce sont des décisions collectives.”
“C’est aussi important de parler de sanctions et de solidarité que de chercher des solutions de sorties”, dit Xavier Bettel. Il assure travailler à une solution de sortie diplomatique, parlant tour à tour à Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine, car “si on n’arrive pas à réussir à ce qu’enfin le président Zelensky rencontre le président Poutine (…), on aura beaucoup de mal à s’en sortir.”
Réfugiés et État de Droit
La Pologne, la Slovaquie, la République tchèque, pays voisins de l’Ukraine qui ne voulaient jusqu’à présent pas accueillir de réfugiés syriens, reçoivent maintenant à bras ouverts les Ukrainiens. Vont-ils demander ce qu’ils ont refusé par le passé, à savoir une aide à la relocalisation des réfugiés dans tous les pays européens ? Selon Xavier Bettel, dont le pays de 650 000 habitants accueille 20 000 réfugiés ukrainiens, “ils vont plutôt demander des moyens qu’un mécanisme, parce qu’un mécanisme perdure, et comme ils ont toujours été contre les règles…”. Mais “on ne peut pas être responsable d’une situation géopolitique du fait de sa situation géographique”, nuance-t-il.
Il se remémore des appels de Premiers ministres de pays de la frontière de l’UE qui l’appelaient en lui demandant : “Il y a un bateau qui arrive avec des réfugiés, est-ce que tu peux en prendre avant qu’ils puissent accoster dans mon pays ?” Il assure ne pas vouloir revivre cela, en plaidant pour la mise en place d’un mécanisme de relocalisation des réfugiés dans les pays de l’UE “qui fonctionne et qui perdure, parce que la solidarité, ce n’est pas que quand ça nous concerne. La solidarité c’est savoir prévoir un mécanisme pour la situation et pas pour moi.”
Alors que l’UE tente de défendre l’État de droit en Ukraine face à l’autocrate Vladimir Poutine, la Pologne et la Hongrie, chacune visée par une procédure d’infraction de la Commission européenne pour dérives autocratiques, seraient-elles en train de se racheter une bonne conscience en accueillant ces réfugiés ? Va-t-on oublier les procédures d’infraction ? Xavier Bettel assure que les procédures continuent car “ce n’est pas parce qu’on joue le good guy le lundi qu’on peut se permettre d’être le bad guy le mardi” et que le respect des valeurs de l’UE “n’est pas à géométrie variable”.
Emission préparée par Isabelle Romero, Luke Brown, Georgina Robertson, Sophie Samaille et Perrine Desplats.
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