Depuis la semaine dernière, le nombre de réfugiés ukrainiens arrivant en France a triplé. Afin d’aider ceux qui souhaitent rester, la mairie de Paris a mis en place un dispositif spécial d’intégration des enfants dans le système scolaire français.
“L’autre jour, une mère est venue avec son bébé. Il était si petit qu’on aurait dit un nouveau-né. [La mère] n’a pas arrêté de pleurer. Ça m’a brisé le cœur”, raconte à France 24 Odette, la gardienne de l’école Eva Kotchever, dans le XVIIIe arrondissement de Paris.
Odette était en vacances quand la Russie a envahi l’Ukraine, le 24 février. Elle n’a appris la nouvelle qu’à son retour. “J’ai reçu un appel téléphonique de l’école le samedi matin. Ils m’ont appris ce qu’il se passait et m’ont dit que nous étions devenus une sorte de centre d’accueil d’urgence”, explique-t-elle.
Depuis le 10 mars, l’École polyvalente Eva Kotchever accueille des familles réfugiées. Dans les locaux de cette école maternelle et primaire, elles trouvent un peu de répit. Leur voyage pour fuir les horreurs de la guerre en Ukraine a été long et éprouvant. Sans compter qu’elles ont laissé derrière elles les hommes en âge de se battre pour défendre leur patrie.
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La plupart des familles viennent du centre d’accueil voisin géré par l’ONG France Terre d’Asile. Il a été mis en place le 3 mars, spécialement pour les réfugiés ukrainiens. Là-bas, il est possible de prendre un repas, entamer des démarches pour demander d’asile, trouver un hébergement temporaire et consulter un médecin, de 9 h à 18 h.
Il y a seulement un espace de jeu commun pour les enfants. Beaucoup de parents, principalement des mères, se démènent au milieu des procédures administratives et doivent, en parallèle, s’occuper de leurs enfants. Appelée à l’aide par la mairie, l’école a donc libéré trois salles de classe et s’est procuré des jouets pour ces familles.
“Donner un coup de main” aux familles réfugiées
Un enseignant franchit les portes vitrées de l’école et traverse un petit couloir où se trouve, sur la gauche, un bureau d’accueil. Il faut se présenter à Odette et remplir un document, avant de pouvoir pénétrer dans les salles de classe.
À droite du couloir, un mur en ciment est décoré avec des dessins d’enfants et des flèches aux couleurs du drapeau de l’Ukraine, bleu et jaune. Il indique le chemin vers le premier étage. “La plupart des familles et des enfants ne parlent pas français donc nous avons créé des flèches pour les guider vers les salles de classe dédiées”, explique Odette.
Les familles ne sont jamais laissées sans accompagnement. Elles sont escortées depuis le centre d’accueil par des animateurs de la Direction des affaires scolaires (Dasco) de la ville de Paris, qui a pour mission d’accueillir les nouveaux élèves.
“Pour l’instant, nous nous contentons de donner un coup de main et d’ouvrir nos salles de classe aux enfants pour que leurs parents puissent faire ce dont ils ont besoin”, explique la directrice de l’école, Christine Serra.
“Les enseignants ne sont pas vraiment en contact avec les enfants. Les choses sont encore très séparées pour le moment. Les enfants ne sont pas intégrés dans les classes françaises, ils n’interagissent pas avec les élèves”, poursuit-elle.
Au deuxième étage, une salle de classe transformée en crèche est occupée par trois animateurs. Ils aident deux mères ukrainiennes : l’une utilise son téléphone pour divertir ses enfants et l’autre s’est endormie sur un matelas de sol. “Nous prenons soin de son fils pendant qu’elle se repose. Ils sont arrivés à 10 h ce matin et elle n’a pas dormi depuis Dieu sait combien de temps”, affirme Marlène Mallard, une ancienne assistante maternelle qui s’est portée volontaire pour devenir animatrice.
Un dispositif d’accueil qui prend forme
Le garçon joue au foot avec Yvan, 10 ans, qui a déjà appris quelques mots de français en quelques heures. La petite sœur d’Yvan, à peine plus âgée que lui, est bercée par la traductrice. “On ne sépare jamais les frères et sœurs”, sourit cette dernière, restée anonyme par peur de ce qui pourrait arriver si elle retournait un jour dans sa Russie natale.
Christine Serra a reçu Patrick Bloche, le maire adjoint à l’Éducation et à la petite enfance, qui travaille avec le rectorat pour scolariser les enfants réfugiés ukrainiens. “Il a dit que la mairie essaierait probablement de placer les enfants ukrainiens dans des écoles dotées d’unités UPE2A [Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants, un dispositif permettant de scolariser des enfants étrangers non francophones]”, précise Christine Serra. Mais sur les 645 écoles maternelles et primaires parisiennes, seules 60 disposent d’UPE2A. Et 81 collèges ont la capacité d’accueillir des non-francophones.
#Paris accueillera dans ses crèches et ses écoles tous les enfants des familles de réfugiés d’#Ukraine. Ils auront accès gratuitement aux cantines scolaires. Les PMI proposeront des consultations et un soutien psychologique aux enfants et à leurs familles. #StandWithUkraine pic.twitter.com/ENuAca3EzR
— Patrick BLOCHE (@pbloche) March 2, 2022
“Nous verrons comment les choses évolueront”, affirme Christine Serra. Et la directrice de poursuivre : “Bien sûr, si nous pouvons aider de quelque manière que ce soit pour intégrer les enfants dans notre école, nous le ferons. Mais pour l’instant, c’est le mieux que nous puissions faire et cela ne nous demande pas trop d’efforts.”
Depuis la semaine dernière, le nombre de réfugiés ukrainiens arrivés en France a été multiplié par trois. Mardi 15 mars, ils étaient 15 000 sur le territoire, selon le gouvernement. La France est en capacité d’en accueillir jusqu’à 100 000, voire davantage, a assuré lundi le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Déjà 650 enfants ukrainiens sont inscrits dans des écoles françaises, a également déclaré Marlène Schiappa au Journal du Dimanche.
Le “plan accueil école”, dédié aux réfugiés ukrainiens de 3 à 18 ans, est encore en cours de finalisation. Pour l’heure, les élèves ukrainiens sont accueillis dans des écoles dotées d’UPE2A pour qu’ils puissent franchir la barrière de la langue. Les ministères de l’Intérieur et de l’Éducation vont orienter les parents vers des ateliers de l’opération OEPRE (Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des élèves). Ces ateliers seront destinés à faciliter leur intégration par des cours de français et à les aider à mieux comprendre le système scolaire afin qu’ils puissent accompagner leurs enfants.
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La direction de l’éducation de la Ville a également ouvert une “cellule de crise” pour aider les parents réfugiés ukrainiens à scolariser leurs enfants. La mairie a également mis à la disposition des enseignants un document en ligne expliquant comment accueillir les élèves ayant subi un traumatisme.
L’objectif final est de “scolariser les enfants réfugiés”, a déclaré le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer dans un tweet. Mais pour Odette, il faut y aller doucement. “En parlant avec certains enfants, je vois que beaucoup ont peur et sont un peu intimidés. C’est un espace sécurisé pour eux, ils n’entendent pas tous les jours des sirènes se déclencher. C’est paisible.” Peut-être que dans un avenir proche, l’École Polyvalente Eva Kotchever pourra détacher les flèches qui guident les enfants réfugiés ukrainiens vers ses salles de classe.
Article traduit de l’anglais par Tiffany Fillon. L’original est à lire ici.