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Guerre en Ukraine : quand la Chine et QAnon épousent la campagne de désinformation russe

La Russie a convoqué, vendredi, le Conseil de sécurité de l’Onu pour évoquer l’utilisation par les États-Unis de laboratoires “secrets” en Ukraine pour fabriquer des armes biologiques. Des accusations qui reposent sur une théorie du complot, qui est aussi promue par la Chine et le mouvement conspirationniste américain QAnon.

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Une étrange théorie complotiste, soutenue aussi bien par la Russie que la Chine et les conspirationnistes pro-Trump de QAnon, est en train de prendre le devant de la scène diplomatique. 

Alors que les combats font rage en Ukraine depuis plus deux semaines, Dmitri Polianski, l’ambassadeur adjoint de la Russie auprès de l’ONU, a convoqué le Conseil de sécurité, vendredi 11 mars, pour évoquer la question des… “activités militaires biologiques des États-Unis en Ukraine”.

Des vrais laboratoires pour des fausses armes biologiques

En creux, le diplomate russe accuse Washington de développer des armes biologiques dans des centres de recherche en Ukraine. Ce n’est pas la première fois depuis le début de la crise ukrainienne que Moscou met cette thèse farfelue sur la table. Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait déclaré début mars détenir la preuve que “le Pentagone a développé des agents pathogènes dans deux laboratoires militaires en Ukraine“. 

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Dès janvier 2022, le département américain de la Défense s’était senti obligé de poster une vidéo sur YouTube pour répondre à la déferlante de rumeurs quant aux prétendues expériences de l’armée américaine dans des laboratoires “secrets” à la frontière entre la Russie et l’Ukraine. 

Les États-Unis reconnaissent avoir aidé à l’établissement de dizaines de laboratoires de recherche dans les pays de l’ex-Union Soviétique et de continuer à les financer. Mais ironiquement, toutes ces installations avaient pour but d’aider à détruire les restes de l’arsenal nucléaire et chimiques de l’URSS après la chute du régime communiste. Ces centres scientifiques servent aujourd’hui à surveiller l’émergence de nouvelles épidémies.

Surtout, les installations n’ont rien de “secrètes” et il existe même des listes très publiques des lieux où elles se trouvent, comme en Ukraine. Elles sont aussi gérées à 100 % par les gouvernements des pays sur le sol desquels ces laboratoires se trouvent. Les États-Unis ne font que financer, en partie, les équipements.

>> À lire aussi sur France 24 : Pour le linguiste Patrick Sériot, “Vladimir Poutine se moque du sort des russophones d’Ukraine”

Des explications qui, comme souvent avec les théories du complot, n’ont pas suffi à fermer le robinet à désinformation. En l’occurrence, il aurait même tendance à couler toujours plus fort et à faire des adeptes bien au-delà des frontières russes. La Chine, dès le 4 février, avait souligné l’importance de pouvoir visiter en “toute transparence” les installations scientifiques en Ukraine “où les États-Unis mènent leurs recherches à but militaire“. Depuis lors, des grands médias chinois comme le Global Times ne manquent pas une occasion d’offrir une tribune à des responsables russes qui promeuvent cette théorie du complot.

La Chine y trouve son compte

Yevgeniy Golovchenko, spécialiste des campagnes russes de désinformation à l’université de Copenhague, n’est pas surpris du soutien apporté par la Chine à ces rumeurs autour des laboratoires en Ukraine. “Il ne faut pas oublier qu’il y a déjà eu de vifs échanges entre Pékin et Washington au sujet de laboratoires secrets durant la pandémie de Covid-19”, rappelle-t-il à France 24. 

Une référence à la polémique autour de l’origine du virus du Sars-Cov-2 : tandis que certains conspirationnistes occidentaux pensent qu’il a été fabriqué dans un laboratoire à Wuhan, la Chine a accusé en retour l’armée américaine de l’avoir mis au point.

Pour Pékin, cette “nouvelle” théorie du complot tombe à pic. Elle permet à la Chine de montrer un soutien à son “ami” Vladimir Poutine sans s’engager trop ouvertement sur l’invasion en Ukraine, estime Yevgeniy Golovchenko. Dans le même temps, ces élucubrations vont dans le sens de la propagande chinoise au sujet du Sars-Cov-2. Pékin espère démontrer que si Washington est capable de développer des armes biologiques en cachette sous le nez des Russes, pourquoi les Américains n’auraient-ils pas mis au point un dangereux virus dans un autre de leurs “labo secret” ?

Mais cette désinformation russe a aussi trouvé des relais au cœur des États-Unis. Les QAnonistes, ces conspirationnistes qui pens(ai)ent que Donald Trump allait les sauver d’un complot de satanistes visant à prendre le pouvoir aux États-Unis, ont été parmi les premiers à justifier l’invasion de l’Ukraine par la Russie comme une tentative pour Moscou de détruire de dangereux laboratoires militaires. 

Des proches de l’ex-président américain Donald Trump, comme Steve Bannon, son ancien conseiller en stratégie, et le sénateur républicain Marco Rubio ont ensuite demandé des explications à la Maison Blanche sur l’activité dans ces laboratoires ukrainiens.

Des doryphores empoisonnés aux armes chimiques

Ce nouvel “axe de la désinformation” commence à inquiéter sérieusement l’entourage de Joe Biden. Jen Psaki, la porte-parole de la Maison Blanche, a très officiellement mis la Russie et la Chine en garde contre “la propagation de ces idées complètements erronées“. 

Pourquoi l’administration Biden s’inquiète-t-elle tant d’une énième théorie du complot alors que Moscou en a inventé des dizaines depuis les débuts de l’invasion en Ukraine ? D’abord parce que Washington a le sens de l’histoire. 

Moscou n’a jamais arrêté d’accuser Washington de développer en cachette des armes biologiques. C’est le fil rouge de la propagande russe depuis le début de la guerre froide en 1949, explique Milton Leitenberg, spécialiste américain des armes de destruction massive, dans une étude sur l’histoire de cette forme de désinformation, publié en 2021. Cette obsession a débuté en 1950 lorsque Moscou a suggéré que les États-Unis envoyaient des doryphores porteurs d’un nouveau virus pour empoisonner les récoltes de pommes de terre en Allemagne de l’Est. 

>> À lire aussi sur France 24 : Crise en Ukraine : place à la désinformation low-cost décomplexée de Moscou

Et surtout, la Russie a été très efficace dans ses efforts pour promouvoir cette vision des États-Unis qui créerait des virus à la chaîne… Leur plus importante campagne dans ce sens, menée de 1985 à la fin des années 2000, “consistait à faire croire que Washington était à l’origine du virus du Sida afin de viser les populations africaines et noires américaines”, rappelle Yevgeniy Golovchenko. Cette thèse est apparue dans “des articles de plus de 2 000 journaux dans 25 pays depuis 1985”, note Milton Leitenberg. Dans son étude, il rappelle que des personnalités importantes de la communauté afro-américaine ont adhéré publiquement à cette théorie du complot “comme Will Smith, Bill Cosby et [le réalisateur] Spike Lee”.

Cette théorie du complot permet aussi à Moscou de faire des États-Unis le véritable ennemi de cette guerre. “Cette thèse présente l’Ukraine comme un simple territoire sur lequel la Russie se bat pour mettre un terme aux dangereuses activités américaines”, soutient Yevgeniy Golovchenko. Pour le pouvoir russe, ce serait une manière de justifier sa guerre auprès d’une population russe qui considère les Ukrainiens comme un peuple ami.

L’administration Biden craint enfin que ce recours de plus en plus fréquent à cette théorie du complot soit une manière pour Vladimir Poutine de préparer le terrain à l’utilisation par l’armée russe d’armes chimiques. La prochaine étape pour Moscou pourrait être “d’utiliser cette thèse pour monter une opération sous ‘fausse bannière’ [causer des dégâts en se faisant passer pour l’ennemi] afin de justifier l’emploi d’armes biologiques ou chimiques en Ukraine”, a ainsi souligné la Maison Blanche. 

L’armée russe se préparerait ainsi à fabriquer de toute pièce un “incident” impliquant des soi-disant armes biologiques américaines. Impossible de savoir si le Kremlin a une telle idée en tête, souligne Yevgeniy Golovchenko. Mais en termes de propagande, elle aurait du sens. “Pour l’instant le pouvoir russe continue à affirmer qu’il ne s’agit que d’une opération militaire limitée en Ukraine et il est interdit de parler de guerre en Russie. Mais plus les combats durent, plus les autorités vont avoir du mal à garder cette ligne. Il leur faudra trouver une justification pour passer à une rhétorique de guerre totale”, résume ce spécialiste. Et quoi de plus efficace que d’accuser l’ennemi d’utiliser des armes sales ?

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