Les habitants de Kiev ont lancé une mobilisation totale pour déjouer les plans d’invasion russe. Au neuvième jour du conflit, France 24 s’est rendu aux côtés des civils et militaires qui ont juré de défendre la capitale ukrainienne face aux armées de Poutine. Reportage.
Treillis, rangers, sacs de couchage… Kostya Kravets jette tout ce qu’il trouve d’intéressant dans deux grands sacs de sport noirs. Ce comptable de 43 ans sait que son unité de la défense territoriale aura besoin de tout ce qu’il pourra apporter.
“La priorité absolue du moment, c’est les gilets pare-balles et les casques. Nous avons aussi besoin de drones, de talkies-walkies, de générateurs fonctionnant au diesel”, confie Kostya Kravets à France 24 avant de filer vers sa base à Tarasivka, au sud-ouest de Kiev. Chaque minute compte pour fortifier la capitale ukrainienne et ses environs.
À peine est-il sorti que d’autres personnes entrent dans ce bâtiment ordinaire de Kiev transformé en ruche logistique. Des pièces entières sont dédiées au stockage de médicaments, d’eau, de vêtements et de divers objets électroniques. Plusieurs bases logistiques similaires ont éclos dans la capitale depuis le début de la guerre. L’élan de solidarité, l’afflux des dons et l’engagement des volontaires rappellent l’époque de la révolution du Maïdan (en 2014). La proximité du rouleau compresseur russe n’entame pas la foi des résistants.
“D’un point de vue militaire, nous sommes déjà prêts à 100 %”
“D’un point de vue militaire, nous sommes déjà prêts à 100 %. Les Russes vont essayer d’entrer dans Kiev mais ils vont réaliser que c’est impossible […]. Ils ont ingurgité leur propre propagande et pensent que les Ukrainiens vont les accueillir avec des fleurs”, affirme Serhiy Priytoula, ancien comédien connu pour ses participations à des émissions de télévision comme The Voice, devenu homme politique et à l’origine de cette base logistique. “Les Russes n’ont toujours pas compris où ils sont”. Il reconnaît qu’il y a une liste d’attente de “plus de 1 500 personnes” pour un gilet pare-balles. Son organisation a mis en place une opération internationale depuis la Pologne, via Lviv, pour convoyer des protections balistiques et des équipements divers en nombre suffisant.
La mobilisation de ces volontaires permet d’équiper le deuxième cercle de la résistance à Kiev, les forces de la défense territoriale, des civils réservistes qui ont reçu des armes au début de l’invasion russe.
“On a besoin de la défense territoriale, afin que l’armée puisse se concentrer sur les opérations de combat. Tout le pays fait maintenant partie de la défense territoriale”, ajoute Serhiy Priytoula.
Ces réservistes, qui portent un brassard jaune vif, sont devenus omniprésents dans les rues de Kiev. Ils sont particulièrement nombreux dans les quartiers nord de la capitale, où des unités de reconnaissance russes ont tenté leurs premières incursions au début du conflit.
Inexpérimenté, mais très motivé
“Notre objectif est de contrôler les véhicules, vérifier les documents, rechercher les saboteurs, imposer le couvre-feu et empêcher tout pillage”, explique Oleg, un responsable de quartier de la défense territoriale, dans le nord de Kiev. L’homme d’affaires de 50 ans incarne bien la recrue-type de cette réserve militaire : inexpérimenté, mais très motivé. En voyage à l’étranger au moment de l’invasion russe, Oleg a aussitôt rejoint Kiev par la route pour défendre son pays.
“On a vu le monde russe. Il n’y a aucun choix, pas d’élection, on doit se soumettre à quelqu’un choisi à Moscou”, confie à France 24 cet Ukrainien originaire de l’est du pays, qui a vécu un an dans le territoire administré par les séparatistes de Louhansk dans le Donbass. “L’Ukraine, c’est la liberté. C’est un endroit où on peut parler librement et se disputer […]. On ne voulait pas la guerre, mais maintenant on n’a plus le choix, on doit se battre”
On ne restera pas à la maison
Un avis partagé par un groupe de jeunes d’une vingtaine d’année, venus donner un coup de main à la fortification du checkpoint en creusant des tranchées. La terre excavée est ensuite pelletée dans des sacs blancs, utilisés pour barricader les positions des membres de la défense territoriales. Quand France 24 demande au groupe qui serait prêt à se battre, plusieurs mains se lèvent.
“Mon oncle est déjà engagé. Mon petit ami et moi avons appelé et nous sommes mêmes déplacés deux fois au centre de recrutement depuis le début de l’invasion […]. On ne veut pas rester à la maison et on ne restera pas à la maison”, martèle Marina Mahdenko, étudiante en économie.
La jeune femme a fêté son 23e anniversaire le 1er mars, jour de la frappe russe qui a détruit la tour de la télévision ukrainienne à Kiev. Habitant dans ce quartier, elle a entendu les terribles explosions qui ont fait cinq morts. Pour elle et ses amis, il est hors de question de passer le reste de sa vie dans un État à la solde de Moscou.
Cet afflux de volontaires vers la défense territoriale permet aux vétérans aguerris comme Evgeniy Yarantsev d’aller au contact avec l’ennemi, tout en sachant que leur arrière est bien couvert.
“La horde est arrivée à Kiev, c’est comme il y a mille ans !”
Nous, on veut être avec l’armée, passer à l’offensive et tuer des occupants […]. La horde est arrivée à Kiev, c’est comme il y a mille ans !”, s’exclame le combattant de 54 ans, dans une comparaison entre les troupes de Poutine et l’invasion mongole de l’Europe de 1223. Son terrain d’action se trouve à une petite dizaine de kilomètres au nord-est du checkpoint d’Igor et Marina, à proximité de l’aérodrome de Hostomel.
Son bataillon a été engagé dans des combats acharnés sur ce site stratégique dès le premier jour de l’invasion, quand des parachutistes russes ont tenté une attaque surprise.
“Sur les 200 troupes aéroportées qui ont essayé de capturer l’aérodrome pour faire atterrir des avions russes, les deux tiers ont été tués et le reste est positionné dans la forêt environnante […]. On a eu des bons résultats dans les premiers jours”, affirme t-il dans un sourire dévoilant plusieurs dents en or. Le vétéran s’attend néanmoins à une guerre longue et dure, et le bataillon compte déjà deux morts et plusieurs blessés – Evgeniy Yarantsev a lui-même été légèrement blessé à l’œil gauche.
Ces pertes n’ont pas entamé l’enthousiasme des troupes. Ce bataillon particulier a été soudé par une longue et sanglante histoire commune. La plupart de ces soldats s’étaient initialement rencontrés sur les barricades de la révolution du Maïdan, avant de former une brigade autonome pour combattre les séparatistes pro-russes dans le Donbass. L’invasion de l’Ukraine les a amenés à se regrouper pour engager la plus grande bataille de leur vie. L’occasion pour Evgeniy Yarantsev de rebaptiser son groupe “unité Conan”, comme dans le film des années 1980, avec Arnold Schwarzenegger, “Conan le barbare”. Un présage sinistre des temps à venir.