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En Russie, dans la rue et derrière les écrans, un mouvement antiguerre

Malgré la répression, l’opposition à la guerre menée par Moscou en Ukraine mobilise les citoyens russes. Certains continuent de la manifester dans la rue, mais plus encore établissent des bases arrière sur Internet, contournant les restrictions par l’utilisation des réseaux sociaux, de messageries cryptées et de serveurs VPN.

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“Je n’ai pas peur, je suis sorti seul”, écrit Stanislav sur Twitter, dans un message accompagnant une photo de lui protestant dans une rue de sa ville, Azov, dans l’oblast de Rostov (ouest de la Russie). Dans les mains de ce jeune Russe de 30 ans, un panneau sur lequel est écrit “#НЕТВОЙНЕ” (“pas de guerre”), en larges lettres noires.

Car non, tous les Russes ne sont pas d’accord avec ce qui se passe en Ukraine. Et bien qu’il demeure minoritaire dans son expression publique en raison de la répression, le mouvement antiguerre mobilise sur Internet, principalement à travers les réseaux sociaux et les services de messagerie cryptée tels que Telegram et Signal.

Sur Twitter, le hashtag #ЯпротивВойны (“Je suis contre la guerre”) était d’ailleurs en tête des tendances en Russie, mardi 1er mars. “C’est le cas depuis le début de la guerre”, assure Stanislav à France 24.

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Face à la répression, le choix de la discrétion

Bien sûr, en Russie, la mobilisation semble plus présente derrière les écrans, car dans le pays de Vladimir Poutine, manifester sur le pavé son opposition à la guerre, c’est prendre le risque d’être arrêté et condamné. En témoignent les chiffres publiés quotidiennement par l’ONG OVD-Info, un projet médiatique russe indépendant de défense des droits humains visant à lutter contre la persécution politique.

Contactée par France 24, l’ONG précise ne pas effectuer de décompte des participants aux rassemblements contre la guerre, mais celui des personnes qui y sont arrêtées. Près d’une semaine après le début de l’invasion russe, les chiffres sont déjà significatifs. “Nous n’avons jamais vu un tel nombre de détenus par jour”, explique Grigory Durnovo, analyste pour OVD-Info. “On a compté au moins 6 489 détenus en cinq jours. Cela suffit à nous montrer le nombre de personnes prêtes à sortir dans la rue et à exprimer leur point de vue.”

Plus de 3 100 arrestations à Moscou, plus de 2 000 à Saint-Pétersbourg, une centaine à Iekaterinbourg, et quelques dizaines dans d’autres villes moins peuplées du pays, précise une publication Facebook de l’ONG, mardi. La répression n’empêche pas des milliers de Russes de braver la loi pour afficher leur rejet de la guerre, mais dans ce pays de quelque 144 millions d’habitants, l’immense majorité de ceux qui s’opposent à la guerre préfère faire profil bas. Un phénomène que Grigory Durnovo justifie par la vague de répression constatée en 2021 contre la société civile en Russie, et les poursuites pénales engagées contre des personnes ayant participé aux manifestations du début de l’année 2022. “Cela a vraiment eu un impact significatif sur les gens, ils sont devenus plus calmes”, dit-il à France 24.

Des policiers arrêtent un manifestant lors d'un rassemblement contre l'invasion russe de l'Ukraine, dans le centre de Saint-Pétersbourg, le 24 février 2022.
Des policiers arrêtent un manifestant lors d’un rassemblement contre l’invasion russe de l’Ukraine, dans le centre de Saint-Pétersbourg, le 24 février 2022. © Sergei Mikhailichenko, AFP

Twitter, Signal, Telegram… les bases arrière du mouvement antiguerre

Bien souvent gouvernés par la peur, les protestataires trouvent donc des biais pour manifester leur opposition à la guerre tout en restant sous les radars.

“Les contacts entre protestataires se font principalement sur Twitter et Telegram”, affirme Stanislav, qui dépeint avant tout des réseaux de solidarité. Sur ces groupes, les membres partagent des informations de médias indépendants (notamment de la chaîne de télévision en ligne Dojd), relayent des actions et des pétitions, mais soutiennent aussi les manifestants arrêtés par la police. “Nous les aidons à payer les amendes, et nous trouvons aussi des avocats pour les aider”, ajoute-t-il.

En fonction des chefs d’accusation, précise OVD-Info sur son site, les risques encourus par les manifestants vont “de 2 000 à 300 000 roubles d’amende (de 17 à plus de 2 500 euros, NDLR) et jusqu’à 30 jours de détention”.

Ne pouvant s’appuyer sur la transparence des médias officiels concernant les manifestations, OVD-Info reçoit les informations directement du terrain et des détenus eux-mêmes. “Ils nous appellent via notre numéro d’assistance téléphonique ou envoient des messages à notre bot Telegram”, explique Grigory Durnovo. “Nous leur demandons de nous indiquer le nombre de détenus dans un bus de police ou dans un commissariat, leurs noms, le nom de la ville, et toute autre information significative, comme d’éventuels cas de violences.”

Ces informations sont recoupées et enrichies avec d’autres sources d’informations, ajoute l’analyste, évoquant les médias indépendants et les chaînes Telegram, et dans une moindre mesure les déclarations des responsables de la police (qui doivent être comparées avec les données récupérées par ailleurs).

“Les ‘médias officiels’ mentionnent parfois les manifestations antiguerre, mais très brièvement, et nous ne pouvons pas les utiliser comme source car ils ne disent pas tout.” Parfois, nous pouvons citer le nombre de détenus à partir des déclarations des responsables de la police, en le comparant avec nos données.

Une pétition recueille plus d’un million de signatures

Outre les ONG, des groupes de citoyens tentent de porter la voix des “antiguerre”, profitant de leur profession ou de leur notoriété, en s’aidant des réseaux sociaux ou en trouvant appui sur les médias indépendants.

De nombreuses pétitions et lettres ouvertes circulent depuis le début du conflit : des avocats russes mettent en avant la violation par la Russie de la Charte des Nations unies ; des traducteurs de langue ukrainienne ou russe vers l’anglais déplorent quant à eux que “le régime russe essaie de justifier l”attaque’ militaire en falsifiant l’Histoire et en déformant le sens de concepts culturels et historiques clés” ; sur YouTube, des scientifiques russes ont, eux, posté une vidéo pour manifester leur opposition à la guerre.

Mais l’initiative la plus significative demeure la pétition intitulée “Arrêtez la guerre avec l’Ukraine !”, lancée par Lev Ponomarev, militant politique russe engagé dans la défense des droits de l’Homme. Le texte, qui appelle les citoyens russes à dire “non” à la guerre, dépassait mardi le million de signatures.

La pétition demande notamment “un cessez-le-feu immédiat des forces armées russes et leur retrait immédiat du territoire de l’État souverain d’Ukraine”.

Selon Lev Ponomarev, si un million de signatures sont réunies, cela signifie que des dizaines de millions de personnes sont opposées à la guerre contre l’Ukraine, compte tenu des difficultés voire de l’impossibilité pour beaucoup de Russes d’accéder à Internet.

“Sur Internet, les restrictions peuvent être contournées”

Sur les réseaux sociaux, de nombreux messages témoignent aussi bien de la vigueur qu’ont certains Russes à manifester leur opposition à la guerre et au gouvernement, que de leur réticence à aller la clamer dans la rue.

“En Occident, les étrangers écrivent sur les réseaux sociaux ‘Il n’appartient qu’aux Russes d’arrêter le dictateur’, mais comment diable ? Ce monstre écrasera toute protestation”, peut-on lire dans les commentaires sous un post Facebook.

“Mes amis sont sortis manifester à Moscou aujourd’hui avec des pancartes. Personne ne les a rejoints”, regrette une autre internaute, avant d’ironiser dans un autre message : “Vous devez sortir pour chanter des chansons ukrainiennes : le chant choral n’est pas encore interdit !”

Manifester son opposition aux décisions du gouvernement russe semble en effet bien moins risqué sur Internet que dans la rue, malgré les efforts des autorités russes pour tenter de contrôler et censurer certaines ressources en ligne.

Pour tenter de faire taire les voix dissidentes, bien présentes sur la Toile, les autorités ont menacé d’infliger des amendes à plusieurs médias indépendants russes ou de les bloquer s’ils ne supprimaient pas certaines publications sur la guerre en Ukraine, a déclaré l’ONG Human Rights Watch mardi, s’inquiétant de la forte hausse de la censure. Depuis quelques jours, Facebook et Twitter se trouvent eux aussi dans le viseur de Roskomnadzor, le gendarme des communications en Russie, qui limite désormais leur accès.

Toutefois, comme le précise Stanislav, “sur Internet, les restrictions peuvent être contournées”. Nombre de ressources en ligne restent notamment accessibles en utilisant un VPN (réseau privé virtuel), dont l’usage est très répandu. “Le VPN transmet le trafic via les serveurs d’un autre pays que la Russie, où certaines sources d’informations peuvent être bloquées”, ajoute le militant antiguerre d’Azov.

Lui ne peut néanmoins pas se contenter de cette base arrière, et même s’il est seul à chaque fois – ses amis ayant peur de manifester avec lui au grand jour –, il dit vouloir continuer de prendre le risque de sortir dans la rue. Car Stanislav en est convaincu : “Protester uniquement sur Internet ne peut pas aboutir à grand-chose.”

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