Malgré la menace de sanctions occidentales, Vladimir Poutine a annoncé lundi la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de deux Républiques sécessionnistes dans l’est de l’Ukraine. Bien que l’Europe demeure son premier partenaire financier, le maître du Kremlin a pris ces dernières années un certain nombre de mesures stratégiques pour protéger son économie.
Le Kremlin persiste et signe. Alors que Vladimir Poutine a annoncé, lundi 21 février, la reconnaissance par la Russie des Républiques de Donetsk et Lougansk, deux Républiques sécessionnistes autoproclamées dans l’est de l’Ukraine, le ministère russe des Affaires étrangères a appelé mardi les “autres États à suivre son exemple”.
Si Vladimir Poutine s’est bien gardé jusqu’ici de déclencher une invasion massive, les menaces de sanctions occidentales “sévères” semblent avoir peu de prise sur lui. Déjà confronté à un certain nombre de mesures punitives décrétées après l’annexion de la Crimée en 2014, le président russe a pris ces dernières années plusieurs initiatives pour amortir l’impact des sanctions sur l’économie de son pays.
Partenariat avec la Chine
Le 21 mai 2014, soit à peine deux mois après l’annexion de la Crimée par la Russie, Vladimir Poutine réalise un véritable coup de force en signant avec la Chine un accord gazier historique de 400 milliards de dollars sur une durée de trente ans. Si les négociations ont été entamées bien avant l’incursion russe en Ukraine, ce contrat marque néanmoins un tournant stratégique majeur selon Jean-François Di Meglio, expert en finance et président d’Asia Centre.
“Les deux pays ont de nombreuses rivalités historiques sur le Kazakhstan, la Mongolie ou bien encore la Sibérie qui compliquent grandement leurs relations. Mais Vladimir Poutine a bien compris que développer ce partenariat économique pouvait lui permettre de maintenir une position agressive sur sa sphère d’influence à l’ouest. La Chine, qui malgré sa puissance économique demeure isolée, gagne pour sa part un allié face à son rival américain.”
En 2021, Pékin et Moscou ont mené plusieurs exercices militaires conjoints laissant entrevoir la possibilité d’une alliance militaire entre les deux pays, dans un contexte de tensions grandissantes avec les États-Unis.
Contrôle des oligarques
Malgré le renforcement de ce partenariat économique entre la Russie et la Chine ces dernières années, l’Europe demeure malgré tout le premier client de Moscou. Si l’Allemagne a consenti mardi à suspendre la mise en service du gazoduc Nord Stream 2, cédant aux exigences américaines, les dirigeants européens restent bien plus favorables à des sanctions ciblées visant des personnalités russes, notamment le petit cercle d’oligarques liés au Kremlin qui possèdent des actifs financiers et immobiliers en Europe.
Pourtant, selon le docteur en sciences économiques russe Vladislav Inozemtsev, le Kremlin est parvenu ces dernières années à contrer cette menace. “Avant même l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine avait lancé un programme de ‘nationalisation des élites’ destiné à inciter les fonctionnaires et les hommes d’affaires proches du pouvoir à réduire leur dépendance à l’égard des actifs occidentaux et à légaliser leurs possessions à l’étranger”, peut-on lire dans son rapport pour l’Institut français des relations internationales (Ifri).
“Cette politique a été couronnée de succès : une part croissante des revenus provenant de la corruption est désormais investie dans le pays, et les anciens fonctionnaires n’achètent plus de châteaux en France ou de yachts de haute mer, mais des chaînes de magasins, des complexes de bureaux, des usines et des restaurants en Russie”, poursuit le chercheur, qui estime que les sanctions ciblées de l’Europe risquent aujourd’hui de pénaliser “les représentants du secteur privé russe qui sont les plus critiques à l’égard du régime actuel”.
Un système financier russe pour contourner Swift
Reste un problème majeur pour Vladimir Poutine, sa dépendance au système financier Swift (Société de télécommunications financières interbancaires mondiales), dont les États-Unis ont menacé de déconnecter la Russie en cas d’invasion de l’Ukraine. Ce réseau de paiement international en dollars est utilisé par la quasi-totalité des institutions financières du monde pour le transfert de sommes d’argent.
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Pour contrer ce système utilisé comme outil de pression par Washington, la Russie a lancé en 2018 son propre outil, le Système de transfert de messages financiers (SPFS), désormais connecté au réseau interbancaire chinois CIPS (Système de paiement international de la Chine). Un outil qui, certes, offrirait une alternative en cas d’exclusion, mais demeure bien loin de pouvoir rivaliser avec Swift, comme l’a expliqué sur France 24 François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique.
“Dans des marchés où les transactions se font à près de 100 % en dollars – ce qui est le cas du gaz et du pétrole –, devoir se passer du jour au lendemain de cette devise est très difficile”, analyse l’expert, qui estime qu’un temps d’adaptation serait de toute façon nécessaire à la Russie pour relancer ses transactions.
“Même si elle peut être soumise à un certain nombre d’influences des États, Swift est une institution supranationale qui laisse une forme d’indépendance à ses membres. Or c’est loin d’être le cas des modèles chinois et russes qui, contrôlés par l’État, suscitent forcément plus de méfiance et attirent donc moins de partenaires”, précise Jean-François Di Meglio. “C’est d’ailleurs le problème aujourd’hui lorsque l’on parle d’exclure la Russie, car une telle sanction, décidée par Washington et appliquée par Swift, pourrait avoir un impact très négatif sur l’image du réseau lui même.”
Si, depuis l’annexion de la Crimée, les États-Unis se sont plusieurs fois dits prêts à exclure Moscou de Swift, ils n’ont jusqu’ici jamais mis leur menace à exécution.