La Cour de justice de l’Union européenne a infligé mercredi un revers à la Pologne et la Hongrie, en permettant de priver de fonds européens tout État membre ne respectant pas l’État de droit. Un dispositif porteur d’espoir pour les organisations internationales, qui s’inquiètent du recul des droits des femmes en Pologne.
C’est une nouvelle mesure qui renforce, une fois de plus, les tensions entre d’un côté, l’Union européenne et de l’autre, la Pologne et la Hongrie. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a approuvé, mercredi 16 février, un mécanisme inédit permettant de priver de fonds européens les pays qui ne respectent pas l’État de droit. La Pologne et la Hongrie, qui s’étaient toutes deux opposées à ce dispositif, ont vu leurs recours en annulation rejetés par la Cour.
Une annonce qui n’a pas manqué de faire réagir les deux pays de l’est de l’Europe : le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a dénoncé un “élargissement des compétences” de l’UE “très dérangeant et dangereux”, tandis que la Hongrie a fustigé une “décision politique” liée à la loi sur l’homosexualité adoptée l’été dernier à Budapest, très critiquée au sein de l’Union européenne.
Depuis plusieurs années, l’Union européenne s’inquiète de voir certains principes fondamentaux de l’État de droit mis à mal en Pologne et en Hongrie. L’organisation de défense des droits humains Amnesty International cite notamment une régression “en ce qui concerne la liberté des médias, l’indépendance des juges, le droit de manifester et d’autres principes fondamentaux de l’État de droit”.
Plusieurs États membres dont la France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont, pour leur part, salué la décision de la CJUE, tout comme plusieurs organisations de défense des droits humains. Parmi elles figurent le Center for Reproductive Rights et la Federation for Women and Family Planning, spécialisées dans la défense des droits sexuels et reproductifs et pour qui “la crise autour de l’État de droit en Pologne met en danger la vie des femmes”.
“Il est extrêmement important que l’Union européenne prenne ce genre de mesures pour mettre autant de pression que possible sur le gouvernement polonais et mettre fin à cette crise très grave de l’État de droit”, affirme à France 24 Leah Hoctor, directrice régionale pour l’Europe du Center for Reproductive Rights, une organisation mondiale qui défend notamment l’accès à la contraception et à l’avortement et qui lutte contre la stérilisation forcée et le mariage des enfants. Leah Hoctor rappelle, par ailleurs, que “cette action de l’Union européenne visant à retirer les fonds européens aux pays qui ne respectent pas l’État de droit est parfaitement légale”.
Entré en vigueur il y a un an, l’arrêt de la Cour constitutionnelle polonaise qui interdit tout avortement en Pologne, même en cas de malformation grave du fœtus, est dans le viseur de nombreuses organisations internationales et du Parlement européen. En effet dans ce pays, l’interruption volontaire de grossesse est autorisée seulement en cas de viol, d’inceste ou lorsque la vie ou la santé de la mère sont considérées en danger.
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“Dans la pratique cependant, il est quasi impossible pour les personnes éligibles à un avortement légal de l’obtenir”, a récemment dénoncé Amnesty International. Ce texte fait de la Pologne l’un des pays européens les plus restrictifs en matière de droit à l’avortement.
“Des femmes sont mortes à cause de cette crise”
Dans ce contexte, le Tribunal constitutionnel polonais, la plus haute instance juridique du pays, est au cœur d’un long affrontement entre la Pologne et l’Union européenne au sujet de réformes judiciaires controversées introduites par le parti conservateur nationaliste et catholique au pouvoir Droit et justice (PiS). Car le gouvernement polonais est accusé de faire valoir la primauté du droit polonais sur le droit européen et sur les décisions de la CJUE, ce qui est contraire à l’État de droit. L’Union européenne pointe aussi des atteintes à l’indépendance des juges vis-à-vis du pouvoir, dans un pays où l’influence de l’Église catholique est forte.
Au Parlement européen, la stratégie polonaise passe mal. Le 15 décembre dernier, les députés européens ont fait part de leur inquiétude concernant des lois polonaises qu’ils estiment contraires aux valeurs européennes et aux droits fondamentaux. Ils citaient notamment “l’interdiction de facto de l’avortement depuis octobre 2020 et la récente proposition du gouvernement d’obliger les médecins à déclarer toutes les grossesses et les fausses couches dans un registre centralisé”. De son côté, Leah Hoctor estime qu’il s’agit d'”une méthode de surveillance de toutes les personnes pendant leur grossesse.” Par conséquent, cela pourrait signifier, selon elle, que “les personnes ont voyagé dans d’autres pays pour avoir accès à l’avortement risquent des sanctions”.
En novembre dernier, le Parlement européen avait également exhorté à veiller à ce qu’en Europe, “plus aucune femme ne meure en raison de la loi restrictive sur l’avortement”. Cette résolution a été votée après la mort d’une femme enceinte, privée d’avortement, un événement qui a choqué l’opinion publique polonaise. Des dizaines de milliers de Polonais s’étaient réunis à Varsovie, le 6 novembre dernier, pour rendre hommage à Izabela, victime d’un choc septique après avoir perdu les eaux. Selon l’avocate de sa famille, la jeune femme, âgée de 30 ans, aurait pu être sauvée si les médecins avaient pu pratiquer un avortement à temps. Le 25 janvier, une autre femme enceinte, Agnieszka T., est décédée à l’hôpital, après que les médecins ont refusé de pratiquer un avortement.
“Des femmes sont mortes à cause de cette crise”
“Aujourd’hui, des femmes sont mortes à cause de cette crise de l’État de droit et des attaques contre l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les femmes paient le prix fort de la crise de l’État de droit”, dénonce Leah Hoctor.
L’ONG s’inquiète également du sort de l’éducation sexuelle à l’école. Un projet de loi controversé a été adopté, le 13 janvier, par la chambre basse du Parlement. Le ministre de l’Éducation, Przemysław Czarnek, a déclaré que les superviseurs devraient avoir le droit de bloquer tout programme qui serait “une menace pour la moralité des enfants”, en particulier lorsqu’il s’agit d’éducation sexuelle.
Le 22 février, les ministres des Affaires étrangères des pays de l’UE doivent se réunir dans le cadre de l’article 7 du traité de l’Union européenne, qui offre la possibilité à l’UE de sanctionner un État membre qui ne respecterait pas ses valeurs fondatrices. Le Center for Reproductive Rights a espoir de voir un changement s’opérer en Pologne.
“Nous demandons à tous les ministres de l’UE qui assisteront à cette audition de porter la voix des femmes et des filles en Pologne”, affirme Leah Hoctor. Et la porte-parole d’ajouter : “Nous aimerions que le Conseil européen élargisse l’examen de la crise de l’État de droit pour y inclure les effets de la crise sur les femmes, les filles et les enfants”.
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Concernant le nouveau mécanisme approuvé mercredi par la CJUE pour faire respecter l’État de droit, il attend d’être activé par la Commission européenne. Mais celle-ci souhaite finaliser des “lignes directrices” avant de la mettre en œuvre. Le déclenchement d’une telle procédure pourrait donc prendre des semaines, voire des mois. La procédure de l’article 7 peut aller jusqu’à priver un pays de son droit de vote au Conseil européen mais jusqu’à présent, elle s’est révélée en pratique impossible à mener à terme.
Le bras de fer qui oppose l’UE aux deux pays de l’Est est donc loin d’être terminé, d’autant que la Pologne et la Hongrie ont menacé de riposter en bloquant d’autres décisions de l’UE qui nécessitent l’unanimité, notamment sur le climat, l’énergie et la politique étrangère.