Le gouvernement britannique envisage de supprimer en 2027 la redevance finançant la BBC. D’ici là, cette taxe, qui représente les trois quarts du budget du groupe public, sera gelée. Boris Johnson est accusé de vouloir détourner l’attention en plein scandale du “Partygate”.
Soumise à des restrictions budgétaires ayant provoqué des coupes massives dans ses coûts ces dernières années, la BBC se voit infliger un nouveau coup dur. Le gouvernement de Boris Johnson a annoncé, lundi 17 janvier, avoir gelé pour deux ans le montant de la redevance audiovisuelle qui finance les trois quarts du budget de l’institution médiatique.
À terme, la ministre britannique de la Culture, Nadine Dorries, souhaite même supprimer cette taxe de 159 livres sterling (190 euros). Elle estime en effet dans un tweet que “l’époque où les personnes âgées étaient menacées de peines de prison et où les huissiers frappaient aux portes est révolue”.
Le gel de cette précieuse manne financière devrait engendrer un manque à gagner estimé à 2 milliards de livres, alors même que la BBC avait réclamé une augmentation de la redevance dans un pays où l’inflation s’élève à plus de 5 %. “Un gel au cours des deux prochaines années signifie que la BBC devra désormais absorber l’inflation”, ont souligné, dans un communiqué, les patrons du groupe public, le président Richard Sharp et le directeur général Tim Davie. Les “revenus de la BBC pour ses services britanniques sont déjà inférieurs de 30 % à ce qu’ils étaient il y a dix ans”, ont-ils précisé.
La BBC accusée d’entre-soi et d’élitisme
Respectée pour ses dix chaînes, ses quarante stations locales et ses 460 millions d’auditeurs et de téléspectateurs à travers le monde, la BBC est un monument du monde de l’information qui fêtera son centenaire cette année. Mais la BBC, c’est aussi une formidable machine à produire des séries à succès (dont “Peaky Blinders”, “Sherlock” ou plus récemment “Vigil”) et des documentaires traduits et exportés sur tous les continents. Or le groupe public, qui fonctionne sans publicité, “va devoir réduire ses dépenses de centaines de millions de livres sterling afin d’équilibrer ses comptes”, prévient le quotidien The Guardian. Les coupes dans la dotation de ce mastodonte risquent donc d’entraîner des fermetures de services, des licenciements, voire une réduction du nombre des fictions et des émissions produites.
Dans le camp de Boris Johnson, ces annonces ont été accompagnées d’attaques contre un service public jugé trop à gauche, trop élitiste et trop londonien. “L’époque de la télévision publique est révolue”, a ainsi estimé dans le Daily Mail un proche de Nadine Dorries. La ministre elle-même s’en était déjà prise à la BBC dans les semaines suivant sa nomination en 2021, jugeant que les journalistes du groupe “proviennent tous du même milieu, ils ont tous un certain parti pris politique, ils pensent tous pareil et ils ont tous la même manière de parler. Alors, oui, ils parlent beaucoup de diversité, mais pas des enfants d’origine ouvrière, et ça, ça doit changer”.
Le Brexit, point de rupture avec le camp Johnson
“Le Brexit a marqué un point de rupture entre la BBC et le camp Johnson chez les conservateurs”, relève Thibaud Harrois, maître de conférences en civilisation britannique contemporaine à la Sorbonne Nouvelle, interrogé par France 24. “Les pro-Johnson pensent que la BBC a fait campagne contre la sortie de l’Union européenne et qu’ils devraient la sanctionner. Or ça n’est pas prouvé par une quelconque étude ou des faits précis.” Dans les semaines suivant la formation du gouvernement de Boris Johnson en 2019, certains membres de l’exécutif ont même boycotté Radio 4, le média jugé “intellectuel et élitiste” qui cristallise le plus de tensions, refusant d’intervenir sur ses ondes.
Du côté de la BBC, les accusations de parti pris ne sont pas prises à la légère. Le groupe a rendu public en octobre 2021 un plan pour améliorer son impartialité, avec un passage en revue régulier de ses productions, une transparence accrue, une délocalisation de certains services en province et un durcissement des règles encadrant la prise de parole de ses employés sur les réseaux sociaux. Un mea culpa vain, puisqu’il a été ignoré par le gouvernement, bien décidé à s’en prendre au service public d’information.
Et pour cause : d’après de nombreux observateurs, les annonces de gel de la redevance relèvent d’une manœuvre politique visant à sauver Boris Johnson, englué dans des scandales de fêtes organisées à Downing Street en plein confinement. “Ces annonces n’interviennent pas à n’importe quel moment. Dans le contexte actuel, c’est une manière de détourner l’attention de la population britannique”, acquiesce Thibaud Harrois.
Une possible privatisation
Ces coupes budgétaires relèvent en outre d’une logique néolibérale propre au camp conservateur, avance Sarah Pickard, maître de conférences en civilisation britannique contemporaine à la Sorbonne Nouvelle, contactée par France 24. “Pourquoi devrait-on faire payer une redevance alors que de multiples médias existent dans le pays ?’, fait valoir l’équipe de Boris Johnson. Cela revient de facto à laisser plus de place aux chaînes privées”, estime-t-elle.
D’après le plan de Boris Johnson – une redevance supprimée dans cinq ans –, la BBC devra négocier d’ici 2027 avec le gouvernement pour définir un nouveau modèle de financement. Or parmi les options possibles figurent une privatisation du groupe, l’arrivée de la publicité à l’antenne ou encore la fin de la gratuité pour certains contenus.
Avec sa branche BBC World et ses rédactions en langues étrangères, l’institution publique représente pourtant un modèle de réussite pour le soft power britannique, qui risque d’être affecté par la baisse de budget annoncé. “Ceux qui critiquent la BBC au sein du gouvernement ne pensent pas à l’aspect soft power. Ce sont des pro-Brexit, centrés sur les débats nationaux. Le reste, ce n’est pas leur priorité”, poursuit Sarah Pickard. Reste à savoir si la BBC entendra répercuter les coupes sur ses programmes internationaux, ou si elle décidera de réduire sa présence sur le plan national pour calmer les esprits et sauver le navire.