Un virologue de Chypre a affirmé en fin de semaine dernière avoir découvert un nouveau variant du Covid-19, le “Deltacron”, qui serait la combinaison des variants Delta et Omicron. Interrogés sur une possible mutation, des scientifiques français assurent que cette découverte est “parfaitement possible”.
Sommes-nous tous en train d’assister à la naissance de Deltacron, mariage des variants Delta et Omicron pour le meilleur et pour le pire ? Si le nom de ce nouveau variant a pu amuser ou agacer les internautes sur les réseaux sociaux ce week-end, alimentant nouvelles blagues potaches et théories du complot, la piste de la fusion de ces deux variants de Covid-19 est prise très au sérieux par la communauté scientifique.
Tout cette fois-ci semble être parti de Chypre. Sur cette île baignée par la Méditerranée où le taux d’incidence est le plus haut d’Europe depuis le début de l’année, Leondios Kostrikis, professeur de sciences biologiques à l’université de Chypre et chef du Laboratoire de biotechnologie et de virologie moléculaire, a annoncé avoir découvert une fusion des deux variants. “Il existe actuellement des coïnfections Omicron et Delta, et nous avons trouvé cette souche qui est une combinaison des deux”, a notamment indiqué le scientifique à la chaîne privée chypriote Sigma TV en fin de semaine dernière. “La signature génétique d’Omicron et les génomes de Delta”, d’où la contraction Deltacron, précise l’universitaire. Selon le Cyprus Times, 25 cas ont été identifiés, dont 11 proviennent de personnes hospitalisées à la suite d’une contamination au Covid-19. Dans les colonnes du journal, le médecin avance que “la fréquence des mutations était plus importante parmi ceux qui sont à l’hôpital, ce qui peut conduire à penser qu’il y a une corrélation entre Deltacron et les hospitalisations”. Et de conclure, “on verra à l’avenir si cette souche est plus pathologique ou plus contagieuse ou si elle prévaudra.”
D’abord, prudence et scepticisme des scientifiques
Après avoir séquencé les virus détectés dans les tests positifs en question, c’est-à-dire intégralement disséqué leur génome, des échantillons ont été envoyés le 7 janvier, à la structure internationale GISAID, qui assure le partage des données officielles sur le Covid-19. Dans un premier temps, l’annonce de la découverte a suscité une grande méfiance des scientifiques. Sur les réseaux sociaux, certains d’entre eux ont rapidement expliqué qu’il devait s’agir d’une erreur de séquençages, très fréquente en la matière, à l’instar de Tom Peacock, virologue au prestigieux Imperial College. “Les séquences chypriotes ‘Deltacron’ dont parlent plusieurs grands médias semblent être assez clairement une contamination, elles ne se regroupent pas sur un arbre phylogénétique”, a assuré samedi le scientifique britannique sur son compte Twitter. Entre d’autres termes, “Deltacron” ne serait qu’une confusion d’échantillonnages entre des patients contaminés par Omicron, et d’autres par Delta, faisant penser à une fusion entre les deux variants.
Just to add to this thread as there’s further similar reports… True recombinants don’t tend to appear until a few weeks/months after there’s been substancial co-circulation – we’re only a couple of weeks into Omicron – I really doubt there are any prevelent recombinants yet…
— Tom Peacock (@PeacockFlu) December 28, 2021
Sauf que Leondios Kostrikis a confirmé ses résultats. Le 9 janvier, le professeur chypriote a même personnellement répondu à Tom Peacock “réfutant les déclarations sans preuves selon lesquelles Deltacron est le résultat d’une erreur technique”, s’est fait l’écho l’agence Bloomberg. Les cas de “Deltacron [identifiés] indiquent une pression évolutive sur une souche ancestrale pour acquérir ces mutations et non le résultat d’un seul événement de recombinaison,” s’est justifié le scientifique. D’ailleurs, “Deltacron” aurait également été retrouvé en Israël, assure le virologue chypriote.
Un scénario très probable
“Cette annonce a été accueillie, dans un premier temps avec beaucoup de scepticisme sinon de prudence”, assure le professeur Christian Bréchot, virologue, président du Global Virus Network et ancien directeur de l’Inserm et de l’institut Pasteur, dans un entretien à France 24. Mais l’équipe chypriote a confirmé ses résultats et il n’y a pas de raison de douter de la qualité de leur travail.”
Certes, “sur le plan technique, il faut bien veiller à ce qu’il n’y ait pas d’artefacts qui puissent faire croire à tort à une recombinaison, poursuit le Professeur français installé aux États-Unis. Il faudra probablement d’autres données pour confirmer ce nouveau variant.”
Du point de vue scientifique, ce genre d’événement est tout à fait probable. “Sur le principe, la recombinaison de différents variants est parfaitement possible, poursuit le Pr Bréchot. C’est vrai pour les virus en général, et c’est encore plus vrai pour les Coronavirus. À partir du moment où il y a une circulation élevée de deux variants, la probabilité pour qu’il y ait une recombinaison des deux est très fortement augmentée. Et ce ne serait pas la première fois que ce type de mutation survient.”
Une nécessaire stratégie globale
Une observation partagée par Christine Rouzioux, professeur de virologie émérite à l’université Paris-Descartes, interrogée par France 24. Si elle n’a pas encore eu le temps de se pencher avec précision sur les séquençages en question, ce scénario peut très clairement être envisagé. “Il est encore trop tôt pour en dire quoi que ce soit. Il faut avant tout vérifier les séquençages et analyser les résultats sur un cluster, mais cette combinaison demeure très possible.”
Reste également la question du risque réel du Deltacron. S’il est confirmé par l’ensemble de la communauté scientifique, “il est encore trop tôt pour en dire quoi ce soit sur sa contagiosité et sa sévérité. Personne n’en sait rien pour le moment”, reconnaît le Pr Bréchot.
Une chose est certaine, conclut le virologue français : “Tant que les variants continueront à se propager dans le monde entier à un niveau élevé, on restera à la merci de ce genre d’événement. Deltacron n’aura peut-être aucun impact négatif, c’est ce qu’il faut espérer. En attendant de le déterminer, cette situation illustre surtout à quel point une stratégie basée sur la vaccination prioritaire des pays riches ne peut résoudre le problème. Delta nous est semble-t-il venu d’Inde, Omicron probablement d’Afrique du Sud. On parle aujourd’hui d’un Deltacron à Chypre. Dans ce contexte, on voit bien que les stratégies purement nationales à elles seules ne peuvent suffire. Il est impératif de définir une stratégie globale, basée sur la vaccination de l’ensemble du globe.”