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Crise migratoire en Biélorussie : comment les candidats à l'exil se sont retrouvés pris au piège

Alors que la crise migratoire prend de l’ampleur à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, l’Union européenne accuse le régime d’Alkexandre Loukachenko d’avoir sciemment organisé l’afflux de migrants vers l’Europe par le biais de circuits organisés. France 24 analyse les tenants et les aboutissants de ce nouveau bras de fer aux portes de l’UE.  

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Depuis plusieurs mois, des milliers de migrants se sont amassés aux frontières biélorusses avec la Pologne, la Lituanie ainsi que la Lettonie. Une crise qui suscite de vives inquiétudes au sein de l’Union européenne, notamment à la frontière polonaise, où le gouvernement a déployé l’armée pour prévenir tout passage.

Pour l’UE, cette crise n’est pas le fruit du hasard. Elle intervient dans un contexte de nette détérioration des relations entre la Biélorussie et Bruxelles, qui a récemment imposé de lourdes sanctions contre le régime d’Alexandre Loukachenko. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé lundi les États membres à approuver de nouvelles mesures punitives contre Minsk, qu’elle accuse d’instrumentaliser les migrants pour mener une “attaque hybride” contre l’Europe. Décryptage.

De la Lituanie à la Pologne

Le 3 juillet 2021, la Lituanie, confrontée à une hausse massive du nombre d’entrées illégales sur son territoire par la frontière biélorusse, déclare l’état d’urgence. Selon les statistiques officielles, plus de 4 200 entrées illégales ont été enregistrées à ce jour dans le pays depuis le début de l’année 2021 contre seulement 74 en 2020.

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“C’est en juillet que nous avons observé une augmentation massive et soudaine en Lituanie”, explique Elisabeth Arnsdorf Haslund, porte-parole de l’agence des réfugiés de l’ONU (HCR) dans la région, contactée par France 24. “La grande majorité des arrivants étaient irakiens, certains essayaient de rejoindre des membres de leur famille déjà en Europe. Il s’agissait de groupes extrêmement hétérogènes, des hommes, femmes, enfants, parfois non accompagnés, des personnes handicapées… Ces arrivées massives ont fait peser une pression extrême sur le système d’asile, car le pays n’était absolument pas préparé pour une telle situation.”

Si la Lituanie a rapidement mis en place des mesures drastiques pour durcir les procédures d’entrées, la crise s’est étendue aux autres frontières européennes de la Biélorussie, avec la Lettonie et surtout avec la Pologne. Selon les autorités lettonnes, 400 personnes, dont 200 pour la seule journée du 10 août, seraient parvenues à traverser la frontière illégalement, alors que le porte-parole du gouvernement polonais estime qu’entre 3 000 et 4 000 migrants sont actuellement massés près de sa frontière, du côté biélorusse.


“Nous ne retiendrons personne”

Au début de la crise, lorsque les autorités lituaniennes tentaient tant bien que mal de juguler l’afflux migratoire, le gouvernement avait accusé la Biélorussie d’utiliser les migrants comme arme pour faire pression sur l’Union européenne. Car ces deux dernières années, Bruxelles a imposé plusieurs séries de sanctions contre le régime d’Alexandre Loukachenko, à la suite de la répression sanglante du mouvement de contestation post-électoral en 2020, puis au spectaculaire détournement du vol Ryanair dans le ciel européen pour arrêter un opposant, en mai dernier.

>> À lire aussi : Arrestation de Roman Protassevitch : la Biélorussie déclare la guerre à l’opposition en exil

Face aux accusations de la Lituanie, le président biélorusse a botté en touche, préférant ironiser sur la crise migratoire en devenir qui menace ses voisins : “Nous ne retiendrons personne. Nous ne sommes pas leur destination finale, après tout. Ils se dirigent vers l’Europe des Lumières, accueillante et chaleureuse”, déclarait-t-il le 6 juillet lors d’une réunion gouvernementale.

La Biélorussie insiste sur le fait que les migrants arrivent légalement sur son territoire et affirme simplement agir “en pays hospitalier”. Mais pour le secrétaire d’État français aux Affaires européennes, Clément Beaune, il s’agit au contraire d’un “trafic d’êtres humains organisé, par la famille Loukachenko (…) avec des vols commerciaux et des circuits organisés”.

Des migrants “orientés” aux frontières

Au début de l’été, l’augmentation de la fréquence des vols à destination de la Biélorussie en provenance de plusieurs pays du Moyen-Orient, et notamment d’Irak, ainsi que les nombreuses attributions de visas touristiques ont attisé la suspicion de Bruxelles. Sous la pression des dirigeants européens, le gouvernement irakien a consenti en août à suspendre les vols directs entre Bagdad et Minsk, pour éviter que les citoyens ne soient “exploités par des réseaux criminels”, selon les mots du Haut Représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Josep Borrell.

“Sur place, les personnes à qui nous avons parlé nous ont affirmé avoir bénéficié de facilités de visas et être arrivés légalement en Biélorussie” explique Maëva Poulet, journaliste aux Observateurs de France 24 qui a suivi une organisation humanitaire à la frontière polonaise. “Certains disent être arrivés par le biais de formules comprenant le billet d’avion, quelques jours en hôtel puis l’acheminement vers la frontière. Certains nous ont même indiqué avoir été orientés vers les points de passage par les forces de sécurité biélorusses.”

Moussa, 25 ans, a lui aussi tenté l’aventure. “En 2019, j’ai dû quitter la République démocratique du Congo pour des raisons sécuritaires. Le seul moyen de partir était alors d’obtenir un visa étudiant pour la Biélorussie, moyennant finance : 900 dollars pour les frais de dossier, puis 3 500 dollars sur place pour les frais de scolarité et d’hébergement”, explique le jeune homme à France 24.

“Mais au cours de l’année passée, les conditions se sont dégradées, poursuit-il. Les prix ont augmenté avec les sanctions européennes et beaucoup de nouveaux étudiants étrangers ont rejoint l’école, parfois sans aucune des qualifications requises pour étudier… Pour les autorités, c’est un business. Nous, nous avons juste le droit de payer pour être là, mais il nous est interdit de travailler dans le pays. Il n’y a pas d’avenir en Biélorussie.”

Lorsqu’il a postulé pour l’université, Moussa n’a pas eu le choix du lieu : on lui a imposé celle de Grosno, un établissement public situé à l’extrême ouest du pays, à à peine 20 km de la frontière polonaise et 30 km de la Lituanie.

Une crise humanitaire qui empire

Avec le début de l’hiver, la frontière polonaise, devenue l’épicentre de la crise migratoire en Europe, cristallise les inquiétudes. Au moins 10 personnes ont déjà trouvé la mort dans cette zone forestière où sont bloqués plusieurs milliers de candidats à l’asile. Alors que le gouvernement polonais a déployé des centaines de militaires, revendique son droit à défendre l’intégrité de son territoire et a décrété l’état d’urgence dans 183 localités, les ONG alertent sur le risque de débordements violents.

La situation crée également des tensions au sein de l’Europe, Ursula von der Leyen ayant déclaré que l’UE n’avait pas vocation à financer des “barbelés et des murs“, en référence au mur anti-migrants récemment approuvé par le parlement polonais.

Si la crise aux frontières lituanienne et lettonne s’est apaisée, la situation des migrants dans ces zones est loin d’être réglée, alerte le HCR. “La Lituanie est certes parvenue à réguler les entrées en limitant la possibilité d’effectuer les demandes d’asiles à quelques points de passages définis, mais avec cette mesure, le gouvernement prend le risque de laisser en errance un nombre important de migrants, dans la forêt, sans possibilité d’assistance”, souligne la porte-parole de l’agence onusienne, Elisabeth Arnsdorf Haslund.

“Par ailleurs, les conditions d’hébergement des demandeurs d’asile demeurent elles aussi difficiles, dans des centres parfois inadaptés alors que les conditions climatiques ajoutent encore à la frustration.”

Une situation à laquelle est actuellement confronté Moussa, l’ancien étudiant de Grosno, qui a rejoint la Lituanie en juillet. “Depuis cinq mois, j’attends que ma situation soit examinée, mais j’ai l’impression qu’ils ne régularisent personne ici”, déplore le jeune homme, qui affirme avoir été brutalisé à plusieurs reprises par les forces de sécurité lituaniennes.

“Je suis en détention dans un camp proche de la frontière. Il s’agit en fait de containers ; j’en partage un avec trois autres personnes. Les États se renvoient la balle pour la crise migratoire, mais leurs conflits n’ont rien à voir avec ma situation. Je veux juste vivre en paix et en sécurité. Or jusqu’ici, ma vie en Europe ne vaut pas mieux que mon expérience en Biélorussie.”

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