Espion et roi du chantage, l’ex-commissaire Jose Manuel Villarejo comparaît depuis mercredi devant un tribunal espagnol. Accusé de corruption, d’écoutes illégales et même d’appartenir à une organisation criminelle, ce policier véreux a accumulé pendant quatre décennies, une montagne d’enregistrements et de dossiers compromettants sur de puissantes personnalités du pays.
C’est un procès fleuve qui s’est ouvert, mercredi 13 octobre, à l’Audience nationale près de Madrid, la plus haute instance judiciaire du pays. Aux côtés de 26 présumés complices, le policier le plus redouté d’Espagne, Jose Manuel Villarejo, devra répondre d'”extorsion de fonds”, de “corruption” ou encore d'”appartenance à une organisation criminelle”.
L’ampleur de l’enquête menée sur les activités illégales de ce personnage de roman noir donne le tournis : 30 enquêtes d’instruction ouvertes qui ont conduit à la mise en examen d’une cinquantaine de personnalités politiques et économiques, dont plusieurs figures de l’Ibex 35 (équivalent espagnol du CAC 40), accusées d’avoir fait appel à ses services pour espionner leurs concurrents.
Ces dernières années, plusieurs élus de premier plan ont également vu leur nom terni par ses révélations, à l’image de l’ancien ministre de l’Intérieur de Mariano Rajoy, ou encore Jorge Fernandez Diaz. Ce ministre conservateur est notamment soupçonné d’avoir voulu salir des indépendantistes catalans en montant de faux dossiers contre eux.
En 2018, il fait même chuter une figure de la classe politique espagnole. La députée et ancienne secrétaire générale du Parti populaire (PP), Maria Dolores de Cospedal, est contrainte de démissionner après la publication de conversations dans lesquelles elle demande à Villarejo des informations sur l’avancée des enquêtes sur la corruption de son parti.
L’ancien roi Juan Carlos a lui-même été mis en cause dans l’un de ses nombreux enregistrements dans lequel son ex-maîtresse, Corinna zu Sayn-Wittgenstein, évoquait des malversations impliquant l’ex-souverain, aujourd’hui exilé aux Émirats arabes unis.
Les bas-fonds de l’État espagnol
Silhouette massive, crâne dégarni dissimulé par un éternel béret, Jose Manuel Villarejo, 70 ans, aurait pu suivre la carrière classique d’un fonctionnaire de police. Pourtant, dès 1983, sa trajectoire déraille. Il prend dix années de congé sabbatique pour se lancer dans une nouvelle vie de maître-chanteur.
Rusé et patient, doté d’un aplomb à toute épreuve, il use d’une méthode redoutable pour assoir son emprise sur les hautes sphères de la société espagnole : enregistrer tout le monde, tout le temps. Journalistes de renom, magistrats, politiques, grands patrons… et même le chef du service des renseignements, Félix Roldán.
Rien ne semble arrêter Jose Manuel Villarejo qui, en 1993, revient au bercail et intègre le puissant département policier de la DAO, la direction adjointe opérative. Il évolue alors dans les bas-fonds de l’État espagnol, menant des enquêtes de barbouzes pour discréditer les adversaires politiques du gouvernement. Parmi ses faits d’armes, le rapport Veritas : un dossier monté de toutes pièces pour nuire au juge Garzon, qui s’intéresse alors aux groupes parapoliciers chargés de mener une guerre souterraine contre l’organisation basque ETA.
Parallèlement, il continue ses affaires dans le privé en profitant de sa nouvelle position de pouvoir, explique Patricia Lopez, journaliste au site d’information Publico.es, interrogée en 2018 par le journal Le Figaro : “Il pouvait travailler pour une entreprise qui le chargeait d’enquêter sur un concurrent, puis proposer à ce dernier des informations compromettantes obtenues chez le premier client. Si l’un des deux refusait de payer, il lui suffisait de menacer de livrer le résultat de son enquête à ses amis policiers.”
Les activités illégales de Jose Manuel Villarejo se révèlent extrêmement lucratives. L’ancien policier était à la tête, avant son arrestation en 2017, de 46 entreprises destinées à dissimuler ses activités d’espionnage politique et d’affaires. Selon la presse espagnole, sa fortune s’élèverait à 25 millions d’euros, l’essentiel se trouvant dans des paradis fiscaux.
Pouvoir de nuisance
Persuadé d’être devenu intouchable, Jose Manuel Villarejo finit par tomber alors qu’il enquête sur Gabriel Obiang, l’un des fils du président guinéen, pour le compte de rivaux politiques. Un ancien agent des services secrets met au jour les activités suspectes de l’une de ses sociétés, par laquelle a transité 30 millions d’euros depuis le groupe pétrolier de Guinée équatoriale, GEPetrol.
Malgré sa disgrâce, le pouvoir de nuisance de ce personnage sulfureux semble être aujourd’hui sans limite. Lors de leurs perquisitions, les enquêteurs ont saisi plus de 40 térabits d’informations archivées par l’ex-policier, équivalent à plusieurs mois d’émissions de radio ininterrompues. De quoi donner des sueurs froides à l’élite politique et économique du pays pendant toute la durée du procès, et des autres qui vont suivre, car plusieurs investigations sont encore en cours.
Selon Manuel Bravo Pérez, coauteur d’un livre sur “les affaires Villarejo” (“La España inventada”) cité par l’AFP, Jose Manuel Villarejo “connaît énormément de secrets”. Selon lui, les membres de l’élite ont “des raisons d’être inquiets (…) peut-être pas tant pour les conséquences pénales que pour leur réputation”.
De son côté, l’ancien agent assure avoir agi pour les intérêts de l’État et se présente comme la victime d’un règlement de compte. “Je n’ai pas été traité comme un délinquant présumé, j’ai été traité comme un ennemi à abattre”, a-t-il dénoncé mercredi, à son arrivée devant l’Audience nationale.
Le jugement est attendu en janvier prochain. Jose Manuel Villarejo risque une condamnation de 109 ans de prison.