Dimanche, les Allemands se rendent aux urnes. Un scrutin “inédit”, selon Joachim Bitterlich, l’ancien conseiller diplomatique du chancelier Helmut Kohl, qui, sur notre antenne, se penche sur les questions que l’Europe entière se pose. Quelle chancelière Angela Merkel a-t-elle été pour l’Allemagne pendant ces 16 années ? Quelle cheffe d’État au sein de l’Union européenne ? Et quelles sont les perspectives européennes pour la première puissance économique de l’UE ?
Une chancelière “pragmatique”
Lorsqu’Angela Merkel arrive à la chancellerie en 2005, l’Allemagne est dans une situation économique difficile, avec un fort taux de chômage et une croissance en berne. Les crises mondiales s’ajoutent ensuite aux crises nationales : les “subprimes”, les flux de migrants et, plus récemment, le Covid-19. Mais à chaque fois, la chancelière agit avec “pragmatisme”, affirme Joachim Bitterlich, car “c’est l’une des caractéristiques d’Angela Merkel : elle écoute d’abord les uns et les autres et elle attend le meilleur moment pour prendre une décision.” Lors de la récente crise du Covid-19, la chancelière a ainsi accepté le principe d’une dette commune, après s’y être opposée lors de la crise économique de la fin des années 2000.
Car l’Allemagne est le plus gros contributeur de l’Union et ses citoyens “se demandent si tout ce qui se fait à l’échelle européenne est vraiment justifié”, affirme l’ancien conseiller. Même si elle “a toujours été en faveur de la construction européenne, l’Allemagne garde cette idée en tête que c’est sur son dos, avec son argent”, confie Joachim Bitterlich. Une idée, selon lui, “exagérée”.
Quelle coalition pour l’Europe ?
Au 1er janvier 2022, Paris prend la présidence tournante de l’UE et veut pousser ses priorités : une Europe de la défense, plus fédérale, et l’assouplissement du Pacte de stabilité. Le moteur franco-allemand est central pour faire avancer l’Europe et, pour Joachim Bitterlich, “le pire pour l’Europe, pour la défense européenne et pour l’avancement de l’Union européenne serait une coalition ‘rouge-rouge-vert’ (Die Linke-SPD-Die Grünen, NDLR)” en Allemagne. Une coalition très à gauche, “anti-Otan mais surtout antinucléaire, qu’il soit militaire ou civil”, alors que le pays veut atteindre la neutralité carbone en 2045 avec une baisse de 65 % en 2030. Pour Joachim Bitterlich, le futur gouvernement doit trouver “une voie de sortie honorable d’une politique énergétique malmenée”. Mais les Verts n’envisagent pas pour l’instant de revenir au nucléaire dans une Allemagne dont le leitmotiv en matière énergétique est depuis de nombreuses années “Ne touchez pas au charbon”. Or, “une réflexion et un engagement sont nécessaires sur une véritable politique européenne de l’énergie”, insiste-t-il.
Cependant, certains États membres s’inquiètent de la possibilité d’une bascule de l’Allemagne dans le camp des “frugaux” si le Parti libéral-démocrate (FDP) entrait dans une coalition, car ses membres insisteraient pour revenir dans les règles strictes du Pacte de stabilité. Joachim Bitterlich n’a “pas peur de cette coalition”, car le FDP “est bien conscient qu’il faudra moderniser ce pacte”. Le diplomate affirme cependant que Paris devrait être conscient que la renégociation sera difficilement faisable lors de la présidence française de l’UE puisque “la France ne pourra pas agir entre le mois de février et le mois de mai” en raison de l’élection présidentielle du mois d’avril. “Les stratèges parisiens commettent là une erreur”, analyse-t-il. Joachim Bitterlich espère toutefois “que l’Allemagne se prendra en main pour former un gouvernement qui pourra de nouveau travailler avec la France, à l’échelle européenne et avec ses alliés”.
Défense européenne
Alors que la France est aux prises depuis une semaine avec l’Australie sur le dossier de la crise des sous-marins, le général Eberhard Zorn, chef d’état-major allemand, se félicite de la signature d’une lettre d’intention pour un “Military Space Partnership” entre les deux pays. Quelques heures plus tôt, Michael Roth, le ministre allemand des Affaires étrangères, appelait par ailleurs à renforcer la souveraineté et l’autonomie stratégique de l’Union européenne. En tant qu’ancien ambassadeur allemand auprès de l’Otan, Joachim Bitterlich regrette le mauvais timing de ce qu’il qualifie de “maladresse”. Mais “l’Europe n’a pas de politique ni vis-à-vis de la Chine, ni vis-à-vis de la région”, regrette-t-il. Selon lui, “les Allemands ont exprimé le souhait d’une stratégie européenne dans la région indopacifique” pour “y développer une politique européenne en accord avec l’objectif des Français”.
Émission préparée par Isabelle Romero, Yi Song, Perrine Desplats et Céline Schmitt.