Les législatives russes, du 17 au 19 septembre, devraient se solder par une victoire de Russie unie, le très impopulaire parti qui soutient Vladimir Poutine. Entre une campagne de répression massive contre l’opposition et des combines électorales, le pouvoir en place a contribué à cette désaffection. Mais le fait que le Kremlin dépense autant d’énergie pour un scrutin sans enjeu apparent démontre à quel point ce vote est en réalité important.
À Saint-Pétersbourg, les électeurs peuvent choisir entre trois Boris Vishnevsky pour les législatives russes qui débutent vendredi 17 septembre et doivent durer trois jours. Ils se ressemblent tous, mais l’un d’entre eux seulement porte ce nom depuis sa naissance et se présente comme un candidat critique de Vladimir Poutine. Les deux autres sont à la solde du pouvoir.
“C’est fait pour désorienter les électeurs, semer le doute afin qu’une partie d’entre eux se trompent et votent pour un faux moi”, regrette le vrai Boris Vishnevsky, interrogé par le Guardian début septembre.
Tout pour museler l’opposition
Ce n’est pas la première fois que le pouvoir russe fait apparaître des doubles de candidats qui lui sont hostiles pour semer la confusion, rappelle le Financial Times. Une tactique révélatrice du vaste arsenal de méthodes dont dispose le Kremlin pour mettre autant de bâtons que possible dans les roues des candidats qui n’appartiennent pas à Russie unie (RU), le parti à la botte de Vladimir Poutine et majoritaire à la Douma, la chambre basse du Parlement.
Cette campagne a été marquée par une avalanche de combines, manigances et répression tous azimuts contre les figures de l’opposition susceptibles de peser sur les débats. La plupart des alliés d’Alexeï Navalny, le principal dissident politique actuellement en prison, ont été arrêtés ou mis au ban de la campagne électorale, sous prétexte qu’ils appartenaient à des organisations “extrémistes”. Le Moscow Times, quotidien russe anglophone, a même dressé une liste de tous les candidats interdits de participer à cette élection.
“L’intensité de la campagne de répression est frappante cette année”, constate Mark Galeotti, directeur de Mayak Intelligence, un cabinet de conseil sur les questions de sécurité en Russie, contacté par France 24.
Une débauche d’énergie pour museler l’opposition qui peut surprendre. Après tout, l’issue des élections législatives ne fait guère de doute, tant les observateurs internationaux s’attendent à un vote truqué. “Les quelque 110 millions d’inscrits sur les listes n’éliront pas, mais désigneront les députés de la Douma d’État, ainsi que les députés des assemblées législatives des républiques et régions, selon un jeu pipé, puisque la capacité […] de frauder les résultats est considérable”, écrit Marie Mendras, spécialiste de la Russie au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po Paris, dans son analyse des enjeux des élections russes parue sur le site Desk Russie.
Vladimir Poutine “beaucoup plus nerveux” qu’en 2016
“Le résultat sera celui que le Kremlin veut, c’est-à-dire que Russie unie conservera la majorité absolue à la Douma”, confirme Mark Galeotti. Mais pour lui, cela n’ôte pas toute saveur à ces législatives. “L’enjeu de cette élection ne tient pas aux résultats, mais à l’importance des efforts déployés en amont du vote pour mobiliser les électeurs pro-Poutine et démotiver les autres”, résume ce spécialiste.
Tel est pour lui le véritable indicateur à la fois de la popularité du maître du Kremlin et du climat social dans le pays. Et le pouvoir ne s’est pas contenté de sortir le bâton pour traquer les opposants. Il a aussi multiplié les carottes sous forme “de primes exceptionnelles pour les retraités et les militaires, deux électorats traditionnellement plus favorables à Russie unie”, souligne Myriam Desert, professeure émérite à la Sorbonne et spécialiste de la Russie, contactée par France 24.
Dans certaines régions, les autorités locales ont aussi mis la pression sur les fonctionnaires pour qu’ils aillent voter, en allant jusqu’à affréter des bus pour transporter les électeurs jugés les plus susceptibles de voter pour Russie unie, rappelle le Financial Times.
Le parti majoritaire a également tenté de jouer la carte de la peur, en se présentant comme le seul rempart contre les puissances étrangères qui assiègeraient la Russie. “Les têtes de liste de RU ont été choisies non seulement pour leur popularité, mais aussi pour leurs fonctions emblématiques : il s’agit des ministres de la Défense et des Affaires étrangères”, note Myriam Désert.
Pour elle, tous ces efforts démontrent bien à quel point Vladimir Poutine “est infiniment plus nerveux cette fois-ci que lors des précédentes législatives en 2016”. Il faut dire que le contexte est bien moins favorable au président russe. Le niveau de vie s’est dégradé pour une grande partie de la population et “la réforme des retraites adoptée en 2018 a suscité une forte rancœur des Russes à l’égard du pouvoir”, rappelle Myriam Desert. Conséquence : Russie unie a démarré sa campagne avec une popularité au plus bas, à près de 30 %.
En outre, les manifestations de soutien à Alexeï Navalny en janvier 2021, dans tout le pays, ont démontré que la poudrière sociale pouvait exploser n’importe où et “plus uniquement dans les grandes agglomérations”, poursuit cet experte de la société russe dans un article écrit pour le site The Conversation.
Enfin, les manifestations massives en Biélorussie après la très contestée réélection d’Alexandre Loukachenko ont “donné des sueurs froides aux responsables russes”, rappelle Mark Galeotti.
Dernier test avant la fin du mandat de Poutine
Pas de ça chez nous, se sont dit les stratèges du Kremlin. C’est pourquoi ils “espèrent ne pas avoir besoin de recourir à trop de manipulation des votes pour obtenir le résultat souhaité”, confirme Myriam Desert. “Mieux vaut un peu de répression avant les élections que beaucoup après – comme en Biélorussie”, résume Mark Galeotti.
Le Kremlin ne veut pas non plus que le dernier test électoral avant la fin du mandat de Vladimir Poutine en 2024 fasse trop désordre et soit trop contesté.
Mais tous les efforts déployés par le pouvoir pour promouvoir le parti Russie unie n’ont pas réussi à museler complètement l’opposition. À commencer par le camp d’Alexeï Navalny qui a promu sa stratégie du “vote intelligent” durant cette campagne. L’idée, qui avait fait ses preuves durant l’élection à la Douma de Moscou en 2020, est d’appeler tous les mécontents, quelle que soit leur sensibilité politique, à voter pour le candidat qui a le plus de chances de battre celui de Russie unie. C’est le parti communiste (le KPRF) qui a, pour l’instant, le plus bénéficié de cette stratégie.
Et c’est dans cette formation – encore dominée par des staliniens de la dernière heure comme son président, Guennadi Ziouganov – qu’émerge des “velléités d’opposition plus affirmées”, note Mark Galleoti.
Traditionnellement, le KPRF appartient aux partis dits “systémiques”, c’est-à-dire dont l’existence est tolérée par le pouvoir car ils se sont engagés à ne pas contester le système mis en place par Vladimir Poutine. Mais il y a une “nouvelle génération de communistes, plus jeunes et plus sociaux-démocrates, qui a été mise en avant durant cette campagne et qui critiquent plus ouvertement la politique de Vladimir Poutine”, détaille Mark Galleoti.
Le fait qu’une vraie opposition commence à s’organiser au sein d’un parti pourtant adoubé par Vladimir Poutine démontre que “les partis dits d’opposition ‘systémique’ ne sont pas vraiment complètement entre les mains du pouvoir”, ajoute Myriam Desert.
Et pour Mark Galleoti, c’est une autre raison pour laquelle cette élection est importante : “Elle permet de voir se dégager les personnalités politiques russes du futur”. Pour lui, ceux qui réussissent à s’imposer dans ce contexte électoral ultra-contrôlé par le Kremlin sans apparaître comme étant à la solde du pouvoir en place devraient avoir la carrure pour jouer un rôle dans la Russie d’après-Poutine. Car, note Mark Galleoti, le règne du président russe “n’est pas éternel”.