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Histoire de la Shoah: le château d’Hartheim, ‘l’école des meurtriers’ avant la ‘Solution finale’

Il y a 80 ans, le 11 août 1941, des détenus juifs en provenance de Mauthausen était transférés au château de Hartheim en Autriche, l’un des centres de mise à mort de l’opération d’euthanasie forcée des handicapés mentaux mise en œuvre par le régime nazi. Pour la première fois, des concentrationnaires juifs étaient gazés dans une chambre à gaz. Cette date marque un tournant dans l’histoire de la Shoah.

Avec son style renaissance, ses tours octogonales et ses arcades ornées de fresques, le château de Hartheim situé dans le nord de Autriche, à l’ouest de Linz, pourrait figurer dans un film de conte de fées. Au contraire, ce lieu est devenu le symbole de l’une des pages les plus effrayantes du régime nazi.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, cette si jolie demeure est devenue l’un des centres de mise à mort de l’opération d’euthanasie forcée des handicapés physiques et mentaux mise en œuvre par le IIIe Reich. Considérés par Hitler comme des “poids morts” dans l’économie de guerre, ces derniers sont décrits comme des êtres “dont la vie ne vaut pas d’être vécue”. Dans un document, le Führer demande d’octroyer la “grâce de la mort” ou la “mort miséricordieuse” aux patients jugés incurables. Dès 1939, “l’Aktion T4” est lancée.

70 000 handicapés assassinés en quelques mois 

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Arrachés à leurs asiles, les malades sont conduits dans des centres spécialement aménagés où ils sont gazés et incinérés. Au château de Hartheim, qui abritait dès la fin du 19e siècle une institution pour personnes handicapées, les Nazis exproprient ses occupants et mettent en service un centre d’extermination en 1940. Une chambre à gaz camouflée en salle de douches et un four crématoire sont aménagés. “Sa localisation a joué dans ce choix”, souligne l’historien Florian Schwanninger, responsable du centre d’études du château de Hartheim. “Il est situé près de Linz et est facilement accessible par la route. D’autre part, le bâtiment pouvait être facilement isolé du reste du monde”.

L'ancienne chambre à gaz du château de Hartheim avec le couloir conduisant aux crématoires.
L’ancienne chambre à gaz du château de Hartheim avec le couloir conduisant aux crématoires. © Lern- und Gedenkort Schloss Hartheim

Les premières victimes arrivent à Hartheim en mai 1940. Elles sont tuées au monoxyde de carbone et leurs cendres sont envoyées aux familles qui en font la demande. En l’espace de plus d’un an, environ 70 000 personnes sont assassinées dans six centres de mise à mort, plus de 18 000 rien qu’au château de Hartheim.

Mais le 24 août 1941, après la protestation de plusieurs ecclésiastiques, Hitler décide de mettre fin à ce programme. “Les efforts des Nazis pour tenir secrète l’Aktion T4 ont échoué. De plus en plus d’informations circulaient au sein de la population. Après un célèbre sermon de l’évêque de Munster (NDLR : le 3 août 1941) qui condamnait cette euthanasie, le régime a eu peur de l’état d’esprit à l’arrière. Il avait besoin du soutien populaire pour la guerre, surtout depuis l’offensive contre l’Union Soviétique en juin 1941“, décrit Florian Schwanninger.

Bus de la Reichspost affecté à l’institut d’euthanasie, devant le château de Hartheim, avec son chauffeur. Des recherches récentes de Jean-Marie Winkler ont établi que ce bus fut aussi utilisé pour le transport des détenus vers Hartheim.
Bus de la Reichspost affecté à l’institut d’euthanasie, devant le château de Hartheim, avec son chauffeur. Des recherches récentes de Jean-Marie Winkler ont établi que ce bus fut aussi utilisé pour le transport des détenus vers Hartheim. © Oberösterreichisches Landesarchiv

Un premier gazage de concentrationnaires juifs 

Le château de Hartheim ne reste cependant pas sans activité. Quelques jours avant la “fin” du programme T4, une autre opération commence à se mettre en place, l’Aktion 14f23, destinée à assassiner des prisonniers de camp de concentration nazis. Le 11 août 1941, c’est un transport d’une autre nature qui arrive ainsi au château d’Hartheim. Soixante-dix détenus juifs d’origine néerlandaise, en provenance du camp de concentration de Mauthausen, y sont conduits et eux aussi gazés. “La plupart de ces hommes avaient été raflés à Amsterdam, fin février 1941, en représailles à la protestation de la population néerlandaise, en particulier des dockers, contre le sort réservé par les nazis aux Juifs hollandais”, explique l’historien Jean-Marie Winkler, auteur de “Gazage de concentrationnaires au château de Hartheim : l’action “14f13″ en Autriche annexée, nouvelles recherches sur la comptabilité de la mort” (éditions Tirésias Michel Reynaud, 2010).

Pour ce professeur à l’Université de Rouen, cette date marque un tournant. Même s’il souligne que des juifs avaient déjà été tués par gaz à cette date dans le cadre des massacres commis par les Einsatzgruppen (unités mobiles d’extermination) dans les territoires conquis à l’Est et même de l’Aktion T4, “c’est le début symbolique de ce que j’ai appelé la Shoah avant la Shoah. Pour la première fois, d’après les documents conservés, les nazis sélectionnent des Juifs en raison de leur judéité, en vue d’un gazage effectué en relation directe avec un camp de concentration”.

De l’Aktion T4 à l’Aktion Reinhard 

De son côté, Florian Schwanninger se veut plus nuancé. Même s’il admet que leur sélection a été probablement effectué sur la base de critères raciaux, il met aussi en avant leur état physique catastrophique du fait des mauvais traitement : “Si vous ne pouviez plus effectuer des travaux pour les SS, vous courriez le risque d’être sélectionné pour Hartheim”. Les deux historiens se rejoignent toutefois en ce qui concerne l’importance du programme T4 dans la préfiguration de la solution finale. “Durant le programme T4, les nazis ont acquis un savoir-faire pour détruire massivement un grand nombre de personnes en un laps de temps le plus court possible et de la manière la plus efficace basée sur la division du travail”, résume Florian Schwanninger.

Photo de groupe prise en septembre 1940 devant le château Hartheim à l’occasion d’un mariage. De gauche à droite : le témoin Christian Wirth (chef de bureau à Hartheim, ultérieurement commandant du camp d’extermination de Belzec et inspecteur des camps d’extermination de l’Aktion Reinhardt), Franz Reichleitner (adjoint au chef de bureau, ultérieurement commandant du camp d’extermination de Sobibor), la mariée, Elisabeth Vallaster (« infirmière » à Hartheim), le marié, Josef Vallaster (ouvrier du crématoire à Hartheim, futur surveillant à Sobibor, où il sera tué lors de l’insurrection des détenus), et Gertrude Blanke, deuxième témoin (« infirmière » à Hartheim).
Photo de groupe prise en septembre 1940 devant le château Hartheim à l’occasion d’un mariage. De gauche à droite : le témoin Christian Wirth (chef de bureau à Hartheim, ultérieurement commandant du camp d’extermination de Belzec et inspecteur des camps d’extermination de l’Aktion Reinhardt), Franz Reichleitner (adjoint au chef de bureau, ultérieurement commandant du camp d’extermination de Sobibor), la mariée, Elisabeth Vallaster (« infirmière » à Hartheim), le marié, Josef Vallaster (ouvrier du crématoire à Hartheim, futur surveillant à Sobibor, où il sera tué lors de l’insurrection des détenus), et Gertrude Blanke, deuxième témoin (« infirmière » à Hartheim). © NARA II, RG 549, Records of Headquarters, U.S. Army Europe (USAREUR), War Crimes Branch, War Crimes Case Files

“Très concrètement, les équipes de l’Aktion T4 seront mobilisées en 1941/1942 dans le cadre de l’Aktion Reinhard (NDLR : le nom de code qui désigne l’extermination des juifs dans la région du Gouvernement général de Pologne). À l’Est, Belzec, Sobibor et Treblinka ont été ouverts avec le concours ou sous le commandement d’assassins issus de l’Aktion T4, en particulier de Hartheim. En ce sens, T4 fut bien l’ ‘école des meurtriers’, selon les termes de Simon Wiesenthal”, ajoute Jean-Marie Winkler.

“Tant par sa dimension de mort industrialisée que par les techniques d’assassinat utilisées, Auschwitz marque toutefois le passage à une logique différente, d’une progression dans l’horreur rationalisée. L’origine idéologique d’Auschwitz est la conférence de Wannsee (NDLR : Le 20 janvier 1942, quinze hauts fonctionnaires du parti nazi et de l’administration allemande se réunissent dans la banlieue de Berlin, pour discuter de la mise en œuvre de “la Solution finale à la question juive) et non le délire eugénique nazi. Même si, dans l’une et dans l’autre logique de l’horreur nazie, l’élimination de l’altérité, l’assassinat de l’autre parce qu’il est autre, est le fondement du meurtre de masse”, tient-il à préciser.

Une plaque appartenant à Marcelino Larrea Vertis, un déporté espagnol du camp de Gusen, assassiné à Hartheim, le 3 décembre 1941. Elle a été découverte, avec d’autres en 2002, lors de travaux de fouilles dans l’ancien jardin du château.
Une plaque appartenant à Marcelino Larrea Vertis, un déporté espagnol du camp de Gusen, assassiné à Hartheim, le 3 décembre 1941. Elle a été découverte, avec d’autres en 2002, lors de travaux de fouilles dans l’ancien jardin du château. © Lern- und Gedenkort Schloss Hartheim

Redonner un nom aux victimes 

Au total jusqu’en décembre 1944, en plus des victimes de l’Aktion T4, entre 7 000 et 10 000 prisonniers de camp de concentration venant de Mauthausen, Gusen, Dachau ou encore Ravensbrück seront assassinés au château de Hartheim. Pendant longtemps, cette histoire restera taboue en Autriche. Selon Florian Schwanninger, ce lieu est devenu le “symbole de l’incapacité de la société autrichienne à créer une mémoire culturelle des crimes nazis” : “Les malades mentaux ou physiques étaient déjà aux marges de la société avant les nazis. Ils ont eu toutes les difficultés du monde à se faire reconnaitre comme victimes. Les idées eugéniques ou sur l’hygiène raciale ont aussi perduré après 1945. Leur reconnaissance n’est devenue un sujet qu’à partir des années 60”.

Depuis, le château d’Hartheim compte un mémorial et une exposition permanente en mémoire des victimes. Chaque année, environ 17 000 visiteurs s’y rendent, notamment de nombreux scolaires. Le lieu compte aussi un centre d’études dirigé par Florian Schwanninger. “Notre but est d’établir la base de données de victimes. Pour l’instant, nous avons retrouvé 23 000 noms sur les quelques 30 000 personnes assassinées ici de 1940 à 1944″. Ces noms sont également inscrits sur des panneaux de verre. Pour ne pas les oublier et rappeler ces crimes, une cérémonie est organisée chaque premier octobre.

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