Janez Jansa, le Premier ministre slovène, va prendre jeudi la présidence tournante de l’Union européenne. Peu connu du grand public, cet admirateur de Viktor Orban et de Donald Trump est surnommé “Maréchal Twitto” en référence à l’ex-dictateur yougoslave Tito et à sa propension à twitter plus vite que son ombre.
“Maréchal Twitto”, le voilà. Ainsi surnommé pour sa propension à utiliser Twitter sans modération, le Premier ministre slovène, Janez Jansa, prend pour six mois la présidence tournante de l’Union européenne à partir de jeudi 1er juillet.
Le dirigeant controversé, chef du Parti démocratique slovène (SDS) de droite nationaliste, succède ainsi à Marcelo Rebelo de Sousa, le chef de l’État portugais. Cette présidence slovène du Conseil de l’Union européenne donne des sueurs froides dans les couloirs des très policées institutions européennes, raconte le journal Les Échos.
Les panthères de la discorde
Janez Jansa n’a en effet rien du dirigeant politique modéré qui pourra représenter l’UE pendant les six mois de sa présidence sans faire d’esclandre.
Le Premier ministre slovène a déjà commencé à faire souffler le vent de la controverse en annonçant qu’à son arrivée à la tête du Conseil européen, il comptait offrir aux autres membres de l’institution des boutons de manchette à l’effigie de la panthère, son animal favori. Problème : en Slovénie, la panthère est souvent associée aux mouvements ultranationalistes.
À 62 ans, Janez Jansa rate rarement l’occasion de susciter la polémique et de faire des déclarations à l’emporte-pièce dignes des plus grands tribuns populistes. Il est d’ailleurs volontiers comparé à un mini-Trump et souvent mis dans le même sac politique que Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, épouvantail de Bruxelles.
L’ex-président américain représente clairement un modèle pour Janez Jansa, qui avait félicité Donald Trump pour sa “réélection” en novembre 2020, avant même que le résultat final ne donne finalement le démocrate Joe Biden vainqueur.
L’homme fort de Ljubljana a emprunté bon nombre de recettes politiques au milliardaire américain. Il a ainsi mené une campagne victorieuse lors des élections générales de 2018 sur le thème de “Slovenia First” en référence au fameux “America First” de l’ancien locataire de la Maison Blanche. Il s’affiche également comme climatosceptique et ouvertement hostile à l’immigration.
Il utilise aussi Twitter de manière encore plus frénétique que son idole américaine. Il envoie en moyenne cent messages par jour, a mesuré Balkan Insight, un média spécialisé dans l’actualité des pays d’Europe du Sud-Est. Le dirigeant slovène utilise la plateforme un peu comme Donald Trump, essentiellement pour dénigrer ses ennemis politiques, poster des messages misogynes ou faire la promotion de l’une ou l’autre de ses théories du complot favorites.
Car Janez Jansa est aussi conspirationniste que Donald Trump. La thèse de prédilection du Premier ministre slovène est appelée “UDBA-Mafia” en référence à la police secrète de l’ex-Yougoslavie. Pour les tenants de cette théorie du complot, cette officine redoutée de l’époque soviétique n’aurait jamais disparu et continuerait encore aujourd’hui à tirer les ficelles du pouvoir en coulisse.
Ennemi de la liberté d’expression
Le Premier ministre slovène s’est également construit une réalité alternative dans laquelle tous les médias d’opposition sont des propagateurs de “fake news”. Sa croisade antimédias est probablement ce qui l’a rendu le plus tristement célèbre en Europe.
Le dirigeant populiste avait ainsi temporairement arrêté, l’an dernier, de verser les subventions publiques à la STA, l’agence de presse nationale, et ne manque pas une occasion pour critiquer la RTV, la radio publique slovène. En juillet 2020, Janez Jansa avait même proposé de changer la réglementation afin de permettre à l’État d’avoir un plus “grand contrôle de la STA et de pouvoir réduire le financement de la radio publique”, rappelle le site Politico.eu, spécialisé dans l’actualité européenne.
Une campagne contre les médias qui a valu à l’homme fort de Ljubljana des critiques de toutes les ONG de défense de la liberté de la presse, à commencer par Reporters sans Frontières. La Commission européenne a aussi dénoncé “l’assaut continu contre la liberté de la presse” en Slovénie.
Le Premier ministre slovène ne se contente pas d’essayer de limiter l’influence des médias critiques à son égard. Pour prêcher sa parole populiste, il a fondé sa propre chaîne de télévision, Nova24TV. Et pas tout seul. Il a reçu le soutien de l’autre grande figure populiste européenne, son “grand ami” Viktor Orban. Des hommes d’affaires proches du Premier ministre hongrois ont investi plus de trois millions d’euros entre 2016 et 2018 dans cette chaîne pro-Jansa, rappelle le site Foreign Policy, qui a enquêté sur la machine à propagande du dirigeant slovène.
Cette proximité entre Janez Jansa et Viktor Orban est d’ailleurs ce qui inquiète le plus les autres pays de l’UE, souligne le quotidien Les Échos. Ces deux dirigeants aux penchants autocratiques assumés sont les principaux avocats de “la démocratie illibérale”, une forme de gouvernement théorisé par le Premier ministre hongrois qui “ne nie pas les valeurs fondamentales du libéralisme (politique) […] mais ne fait pas non plus de cette idéologie un élément central de l’organisation de l’État”.
Virage très à droite sur le tard
Les deux font aussi des immigrés leur bouc émissaire favori et aiment à taper sur le milliardaire philanthrope hongrois de confession juive Georges Soros, dans des attaques aux relents antisémites à peine déguisés.
À l’instar de Viktor Orban, Janez Jansa s’est converti sur le tard au populisme d’extrême droite, commençant sa carrière à gauche du spectre politique. Après l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 1990, Janez Jansa est apparu comme l’une des principales figures du nouveau paysage politique démocratique slovène.
Dans les années 2000, il a lentement viré à droite, mais de manière d’abord très modérée, occupant déjà – avant son retour au pouvoir en 2018 – deux fois le poste de Premier ministre et une fois celui de président du Conseil européen (2008). À l’époque, celui qui allait devenir le “Maréchal Twitto” avait été qualifié de “discret” et “fin négociateur”, rappellent Les Échos. Un homme sur lequel Bruxelles pouvait compter pour promouvoir une plus grande intégration européenne, et vanter les vertus du libéralisme économique et politique.
On était loin du vociférant populiste de 2021. Sa transformation, qui a pris corps au moment de la crise économique de 2012 en Europe puis s’est accentuée avec la vague migratoire de 2015, illustre comment le populisme s’est lentement mais sûrement ancré en Europe centrale. Et c’est ce visage de l’UE, que Bruxelles préférerait cacher au reste du monde, qui fixera pendant six mois l’agenda des discussions au sein de l’Union et sera chargé d’arbitrer les désaccords entre les États membres.