Paris et Berlin s’inquiètent de l’afflux des touristes britanniques dans le sud de l’Europe et plaident pour un effort de coordination, alors que le variant Delta du Covid-19 continue sa progression inexorable sur le continent.
Le variant Delta ravive les tensions relatives à la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne (UE). Ces divisions, très commentées au début de la pandémie, ont ressurgi la semaine dernière lors du dernier sommet européen à Bruxelles. D’un côté, l’Allemagne et la France veulent jouer la carte de la prudence face à l’afflux des touristes britanniques potentiellement porteurs du variant Delta (anciennement variant “indien”). De l’autre, les pays du Sud comme l’Espagne, le Portugal ou encore la Grèce sont soucieux de sauver leur saison touristique.
La chancelière allemande reproche notamment au Portugal d’avoir ouvert ses portes trop grand et trop tôt aux touristes britanniques. Mi-mai, le Portugal était devenu le seul pays de l’Union européenne à accueillir des ressortissants venus d’outre-Manche.
Vendredi, face à la hausse des contaminations au variant Delta devenu dominant, Lisbonne a été contraint de resserrer la vis et a instauré de nouvelles restrictions sanitaires. Les autorités ont notamment décidé d’imposer une quarantaine de 14 jours aux Britanniques qui n’ont pas été complètement vaccinés.
L’Espagne a également fait machine arrière et va de nouveau exiger un test PCR négatif auprès des Anglais qui en étaient exemptés depuis fin mai.
À l’image du Portugal, l’Espagne avait déroulé le tapis rouge aux touristes britanniques, qui n’avaient même pas besoin de présenter un test PCR contrairement aux ressortissants européens.
Mais pour freiner durablement la propagation du variant Delta, beaucoup plus contagieux que le variant Alpha (anciennement dit “anglais”), Angela Merkel veut aller plus loin. La chancelière souhaite durcir les conditions d’accès à l’ensemble de l’espace Schengen. Selon le journal quotidien The Times, l’éventualité d’une fermeture des frontières de l’UE va être discutée par de hauts représentants européens lors d’une réunion d’un comité de crise.
“Cette coordination européenne a très peu de chance d’aboutir, prédit cependant Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences-Po Paris et spécialiste des questions européennes, joint par France 24. Il y a ici une divergence entre les pays qui veulent préserver la santé publique et ceux qui veulent sauver leur saison touristique.”
“Il faut dire que les pays du sud de l’Europe sont ceux qui ont le plus souffert économiquement des effets de la pandémie et qu’une bonne partie de leur modèle économique repose sur le tourisme”, ajoute Édouard Simon, directeur de recherche à l’Iris.
L’efficacité du passeport sanitaire en question
Autre sujet de discorde entre Européens : le cas de la Grèce, qui accepte des touristes vaccinés avec des sérums qui n’ont pas été validés par l’Agence européenne des médicaments (EMA). Le pays, très dépendant du tourisme, accepte en effet d’accueillir des visiteurs étrangers ayant reçu des doses de vaccins russes ou chinois.
“D’abord, nous devons tous reconnaître les mêmes vaccins, ceux autorisés par l’EMA et pleinement efficace contre les derniers variants, dont le variant Delta. Cette coordination s’impose aussi pour que nos règles s’harmonisent en matière d’ouverture à des pays tiers ; c’est la clé pour que le green pass européen soit pleinement efficace”, a insisté vendredi le président français Emmanuel Macron, à quelques jours de l’entrée en vigueur officielle du certificat Covid européen, qui doit faciliter la libre circulation entre pays de l’UE à partir de jeudi.
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En dehors des quatre vaccins homologués, chaque pays membre reste libre de recevoir ou non des touristes ayant reçu d’autres sérums.
“On a bien vu que même entre la France et l’Allemagne, notamment sur la question des travailleurs transfrontaliers, la coordination ne fonctionnait pas correctement. Cette situation doit nous amener à penser que la santé peut devenir une compétence européenne, mais cela ne sera possible que par une réforme des traités”, analyse Patrick Martin-Genier.
“Il n’y a pas de politique sanitaire en Europe mais des politiques sanitaires qu’il faut savoir coordonner. Ce qui est loin d’être facile à 27″, abonde Édouard Simon. Mais le point positif est que ce débat est possible entre dirigeants européens. La preuve : la Grèce a fini par prendre en compte le point de vue de ces partenaires.”
Lundi, la Grèce a effectivement cédé aux pressions de l’UE. Désormais, Athènes exige un test PCR pour les touristes russes, même s’ils sont entièrement vaccinés avec Spoutnik V.
“Acheter du temps”
Malgré ces efforts louables de coordination, c’est donc une Europe en ordre dispersé qui s’apprête à affronter l’été indien promis par tous les épidémiologistes. Selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, le variant Delta devrait “représenter 90 % des cas de Covid-19 au sein de l’UE d’ici à la fin août”.
Si le variant Delta est amené à devenir dominant, pourquoi certains pays veulent-ils instaurer de nouvelles restrictions de voyage ? “L’idée est d’acheter du temps, explique Édouard Simon. Il faut permettre aux campagnes de vaccination de continuer à se déployer et on voit que ce n’est pas gagné partout en Europe.”
En effet, plusieurs États membres observent un ralentissement de la campagne de vaccination. En France, plus de 400 000 personnes recevaient chaque jour une première dose début juin. Ils n’étaient que 200 000 la semaine dernière.
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Les premières données scientifiques sur l’efficacité des vaccins contre ce variant Delta semblent indiquer un très haut niveau de protection. Selon une récente étude publiée dans la revue Nature le 10 juin, deux doses du vaccin de Pfizer ont une efficacité évaluée à 87,9 %. Cependant, les scientifiques convergent sur un point : recevoir une seule dose de vaccin n’apporte qu’une protection limitée contre le variant Delta.
Aujourd’hui, seul un Européen sur trois est entièrement immunisé. L’objectif de la Commission reste de vacciner 70 % de la population adulte d’ici à la fin juillet.