En difficulté après la défaite militaire au Haut-Karabakh, le Premier ministre arménien a remporté dimanche une franche victoire aux législatives anticipées. Un retour en grâce, après la débâcle face à l’Azerbaïdjan, décrypté par Gaïdz Minassian, chercheur spécialiste de l’Arménie.
Pari réussi pour le Premier ministre arménien. Dimanche 20 juin, la formation de Nikol Pachinian a largement remporté les législatives anticipées, faisant mentir les sondages qui prédisaient un résultat au coude-à-coude avec celle de son rival, l’ancien-président Robert Kotcharian. Le parti Contrat civil du dirigeant sortant a obtenu 53,9 % des voix au premier tour, contre 21 % pour la principale force d’opposition, le bloc Arménie, permettant à Nikol Pachinian de se maintenir en poste et de former seul un nouveau gouvernement.
Alors qu’une partie de la population appelait à sa démission après la défaite militaire contre l’Azerbaïdjan à l’automne dernier, le dirigeant arménien avait alors choisi de miser son avenir politique sur des élections anticipées. Un scrutin dont il sort aujourd’hui renforcé, même si la tension reste vive. Avant même les résultats officiels, son rival a pris la parole pour dénoncer des fraudes, pointant du doigt des “falsifications planifiées à l’avance”. Pour analyser ces résultats, France 24 s’est entretenu avec Gaïdz Minassian, journaliste au Monde, enseignant à Sciences Po et chercheur spécialiste de l’Arménie.
Nikol Pachinian a remporté une franche victoire dimanche alors que beaucoup d’observateurs prévoyaient un scrutin serré, comment analysez-vous ce résultat ?
Gaïdz Minassian : Il est vrai que la décision de convoquer des élections anticipées était un pari politique risqué pour Nikol Pachinian, après la défaite militaire qui a considérablement terni son image. Mais en face, l’alternative politique était très faible. Son opposant, l’ancien président Robert Kotcharian, est un mort politique ; c’est une figure de l’ancien régime corrompu dont le principal soutien, la Fédération révolutionnaire arménienne, a peu de poids dans les urnes.
Par ailleurs, l’opposition était extrêmement fragmentée avec un nombre record de 22 partis en lice. Une situation due à l’incapacité des opposants à s’entendre, mais aussi à un système électoral compliqué, issu de l’ancien régime, qui favorise la candidature des partis par rapport aux coalitions. Ce système, qui fixe le seuil électoral pour entrer au Parlement à 5 % pour les partis et à 7 % pour les alliances, avantage le pouvoir en place.
Avec cette victoire nette, le Premier ministre a sauvé son régime, son image et le processus démocratique de la révolution de Velours qui l’a mené au pouvoir en 2018.
Outre la lutte contre la corruption, Nikol Pachinian avait fait de la résolution du conflit territorial avec l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh une priorité lors de son arrivée au pouvoir en 2018. Comment expliquer qu’il conserve un fort soutien malgré la défaite militaire cinglante à l’automne ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que si le score de la formation de Nikol Pachinian reste élevé, il est bien inférieur à celui des précédentes législatives (53,9 % contre 70,42 %). S’il faut reconnaître à Nikol Pachinian des qualités de tribun et un sens politique certain qui lui permettent aujourd’hui de se maintenir au pouvoir, il est clair que son mandat a été durement affecté par la gestion de cette crise militaire catastrophique au Haut-Karabakh. Accusé par l’opposition de ne pas être assez nationaliste, Nikol Pachinian a adopté une ligne dure face à l’Azerbaïdjan. Mais l’Arménie n’avait pas les moyens de ses ambitions et le Premier ministre, acculé, s’est retrouvé contraint de signer un accord de paix très défavorable, sous l’égide de Moscou. Une erreur stratégique majeure.
Pour autant, l’opposition a considérablement dramatisé la défaite alors que ce n’était pas l’Arménie qui était en guerre, malgré ce qu’a pu laisser croire la propagande du gouvernement. Seuls les soldats arméniens qui faisaient leur service sur place ont combattu et ce sont avant tout les forces armées du Haut-Karabagh qui ont été décimées. Bien sûr, les Arméniens en veulent à Nikol Pachinian, mais c’est aussi l’imaginaire de la grande Arménie, véhiculé par l’ancien régime, qui est à bout de course. Un changement de paradigme est aujourd’hui en cours dans le pays, les gens ne veulent plus de la guerre, ils cherchent en priorité l’intégration du pays et le redressement économique.
>> Voir le reportage de France 24 : Haut-Karabakh, un désespoir arménien
Alors que les organismes de contrôle jugent le scrutin transparent et fiable, l’opposition dénonce des fraudes et menace de contester les résultats devant la Cour constitutionnelle. La crise politique pourrait-elle durer ?
Bien que la participation reste relativement faible (49,4 %), la victoire du Premier ministre est suffisamment nette pour écarter le risque d’instabilité populaire qu’un résultat serré aurait laissé planer. Les accusations de fraude sont peu crédibles, d’autant plus qu’elles proviennent de personnes qui, alors qu’elles étaient aux commandes, gonflaient la participation artificiellement en faisant voter des morts ainsi que des expatriés abstentionnistes. La participation, qui avoisinait les 70 % sous l’ancien régime, a chuté de 20 points avec l’arrivée de Nikol Pachinian. On peut reprocher beaucoup de choses au Premier ministre actuel mais il faut bien reconnaître que, contrairement à ses prédécesseurs, il respecte le suffrage universel.
Aujourd’hui, l’opposition a très peu de marge de manœuvre. Pour autant, les défis ne manquent pas pour Nikol Pachinian. Sur le plan intérieur, la question est de savoir s’il va reconnaître ses erreurs et diriger de manière plus inclusive car il est réputé être un dirigeant déterminé, mais aussi autoritaire. Enfin, sur le plan international, il doit sortir le pays de sa vulnérabilité militaire, en s’assurant du soutien des Occidentaux mais également de la Russie, qui lui préférait son opposant Robert Kotcharian, jugé plus proche de Moscou.