L’interception, dimanche, par la Biélorussie d’un avion reliant Athènes à Vilnius et l’arrestation d’un opposant qui se trouvait à bord a déclenché un tollé international, Paris et Dublin n’hésitant pas à dénoncer un acte de “piraterie”. Pour le consultant en aéronautique et ancien pilote de ligne Gérard Feldzer, l’opération est clairement illégale au regard des règles du transport aérien international.
Au lendemain du spectaculaire détournement d’avion orchestré par Minsk et de l’arrestation de l’opposant Roman Protassevitch, la Biélorussie fait l’objet, lundi 24 mai, de toutes les critiques. L’Union européenne et l’Otan réclament une enquête internationale et agitent la menace de sanctions.
Dimanche, un chasseur biélorusse MiG-29 a intercepté le vol FR4978 de la compagnie Ryanair, alors que celui-ci s’apprêtait à rentrer dans l’espace aérien lituanien, affirmant qu’une “alerte à la bombe” avait été signalée à bord. Escorté jusqu’à la capitale biélorusse, l’appareil a été forcé d’atterrir, permettant aux autorités d’arrêter l’opposant au régime, avant que l’avion ne soit autorisé à repartir vers sa destination initiale. Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette opération, France 24 s’est entretenu avec le consultant en aéronautique et ancien pilote de ligne Gérard Feldzer.
France 24 : Cette intervention biélorusse pour faire atterrir l’avion à Minsk est-elle à proprement parler illégale ?
Gérard Feldzer : C’est de la piraterie, purement et simplement. Chaque vol prévu fait l’objet d’un plan de vol communiqué aux services de la circulation aérienne. En France c’est la Direction générale de l’Aviation civile (DGRC) ; chaque pays a son institution. Une fois que les survols sont approuvés par les instances, l’avion ne peut être forcé à atterrir, sauf en cas de force majeure.
Dans le cas de la Biélorussie, pour justifier le détournement, les autorités tentent de jouer sur une ambiguïté en invoquant un problème majeur de sécurité pour les passagers, mais les ficelles sont énormes. L’argument avancé d’une alerte à la bombe n’est pas crédible et d’ailleurs rien n’a été trouvé à bord. De plus, ce genre d’alerte nécessite un atterrissage d’urgence dans l’aéroport le plus proche, qui était en l’occurrence Vilnius. S’il y avait eu une réelle menace, le détournement vers Minsk aurait donc représenté une mise en danger inutile des passagers.
Cet épisode révèle-t-il une faille dans la sécurité aérienne ?
À mon sens, cet épisode ne relève pas d’une faille mais d’un acte criminel. La sécurité d’un territoire aérien (qui correspond au territoire terrestre et eaux territoriales d’un État, NDLR) est extrêmement cadrée. Chaque pays contrôle le survol de son territoire ; ce sont les services de régulation aérienne qui s’en chargent. Ils voient l’ensemble du trafic sur leurs radars et informent les pilotes afin d’éviter tout risque de collision. Si nécessaire, ils peuvent notamment leur demander de se dérouter de quelques degrés par sécurité. Ce service correspond à des taxes dont s’acquittent les compagnies auprès des pays concernés. S’il est extrêmement rodé, ce système n’est néanmoins pas à l’abri de violations. En l’occurrence, il s’agit ici d’une prise d’otages.
Ce détournement d’avion a-t-il des précédents ? Quelle réponse pourrait, selon-vous, être apportée ?
Bien que ce genre de détournements orchestrés par des États soit extrêmement rare, ce n’est pas une première. En 1956, la France s’est illustrée lors d’une affaire similaire en interceptant un avion de la compagnie Air Atlas-Air Maroc, qui effectuait la liaison Rabbat-Tunis. Le vol a été forcé d’atterrir à Alger et cinq dirigeants du Front de libération nationale (FLN) ont ainsi été arrêtés. Plus récemment, l’avion du président bolivien Evo Morales a été bloqué en 2013 à Vienne à la demande des États-Unis, qui le soupçonnaient de transporter Edward Snowden. Si ces affaires ont suscité des tollés diplomatiques, elles n’ont pas fait l’objet de mesures de rétorsion concrètes.
Dans le cas présent, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) pourrait prendre des mesures en mettant la Biélorussie sur liste noire et en adressant une recommandation aux États de ne pas survoler son territoire. Cette directive permettrait d’attaquer la Biélorussie au portefeuille en la privant de taxes de survol. Mais il s’agit d’une mesure non contraignante, qui pourrait être jugée trop coûteuse pour les compagnies du fait des détours qu’elle occasionne. Si son champ d’action reste limité, l’Europe a néanmoins un rôle crucial à jouer : elle se doit de condamner d’une seule voix cette violation flagrante du droit international et mettre la pression pour obtenir la libération de l’opposant biélorusse Roman Protassevitch, illégalement arrêté.