Deux cents ans après sa mort, l’image de Napoléon est toujours aussi vivace en France mais aussi dans le reste du monde. Retour sur les traces de l’empereur français en Europe et ailleurs.
Le 5 mai 1821, sur la petite île de Sainte-Hélène balayée par les vents de l’Atlantique Sud, Napoléon s’éteignait vaincu par un cancer de l’estomac. Mais l’histoire de l’Empereur français ne s’arrête pas avec son décès. “Vivant, il a marqué le monde, mort il le possède”, disait de lui Chateaubriand.
Deux siècles plus tard, l’empreinte de Napoléon est toujours présente dans les institutions, la société et les arts. Dès lors que l’on évoque son nom, on ne peut s’empêcher de revenir sur son impressionnant héritage : le Code civil, la Légion d’honneur, le baccalauréat, la numérotation des rues, le ramassage des ordures, les départements, les lycées, les préfets, les prudhommes, la Chambre de commerce, la Cour des comptes, le Conseil d’État. À Paris, l’Arc de Triomphe, le Canal de l’Ourcq, la rue de Rivoli, l’église de la Madeleine, … La liste est longue. Presque interminable.
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La conquête par les armes
Les guerres napoléoniennes ont largement participé à la propagation du Code civil dans les pays occupés. Promulgué le 21 mars 1804, le Code civil ou “Code Napoléon “, reste l’œuvre majeure de l’Empereur. De son exil à Sainte-Hélène, il dira : “Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ; ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil.”
Napoléon parvient à l’imposer de son vivant au gré de ses conquêtes et annexions européennes en Belgique, aux Pays-Bas, en Westphalie (Allemagne de l’Ouest), en Suisse, en Italie et en Espagne. Est-ce à dire que ces nations étaient jusque-là dépourvues de toutes codifications juridiques ? Non. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et au début du XIXe, des codes du droit civil existaient bien en Europe. Mais nombre de ces ouvrages se révélaient tantôt trop abstraits, tantôt archaïques, mélange de droits romains et de principes féodaux. “L’habilité de Napoléon a été de faire appliquer le Code civil dans les langues locales. Chacun a ainsi pu s’approprier les règles qui régissent le quotidien notamment sur le mariage, le divorce, l‘héritage, la propriété”, explique à France 24 David Chanteranne, historien et rédacteur en chef de la Revue Le Souvenir Napoléonien.
L’héritage napoléonien dans les colonies
Bien après la mort de Napoléon, l’émergence du Code civil s’est poursuivie dans le monde par capillarité via les colonies. La France l’a notamment introduit dans chacun de ses territoires, aménageant certaines nuances liées aux particularismes locaux.
Entre 1830 et 1850, les puissances européennes qui ont conservé le code civil napoléonien l’ont elles aussi transmis à leur tour à leurs colonies d’Afrique et d’Asie.
Plus tard, lors de la Seconde Guerre mondiale, à l’heure où la France a dû administrer les territoires ayant appartenu aux puissances vaincues, le Code civil a, là encore, poursuivi son essor. Le Liban et la Syrie, qui appartenaient à l’Empire ottoman, le Cameroun et le Togo, qui formaient des colonies allemandes, adoptèrent l’arsenal juridique sous l’influence française.
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La conquête des cœurs
L’hégémonie napoléonienne n’est pas toujours passée par les armes ou la colonisation. Napoléon a aussi transmis son héritage en conquérant les cœurs. Au XIXe siècle, certains pays ont importé le Code civil par fascination pour Napoléon et les idéaux post-révolutionnaires de la France. Ce fut notamment le cas pour la Slovénie, la Slovaquie ou encore la Pologne. “L’influence de Napoléon et de la France furent tels en Pologne qu’aujourd’hui encore, on peut trouver le nom de Napoléon dans l’hymne national”, souligne David Chanteranne.
À ce jour, “on retrouve des traces du Code civil de Napoléon en Europe, au Japon, en Corée du Sud, au Chili et dans tant d’autres pays que l’on peut presque dire qu’il s’agit d’un Code universel”, souligne à France 24 Thierry Lentz, historien et directeur de la Fondation Napoléon. Au-delà, “c’est plus généralement tout le modèle français de l’administration qu’il a exporté de son vivant, c’est-à-dire la manière de concevoir l’État. Ça n’a l’air de rien, mais à cette époque, il n’existe ni administration ni fonctionnaire en Europe où l’on vit toujours sur les principes féodaux.”
L’esprit de Napoléon, son plus grand legs
Mais l’héritage napoléonien dans le monde demeure probablement moins dans ses réalisations concrètes que dans l’esprit qui anima le Premier Empire. Ce parfum nouveau emprunt d’égalité, de promotion sociale et de laïcité inspire à des milliers de kilomètres de là. Déterminé à briser les chaînes de l’oppression espagnole, un jeune homme issu de la société créole du Venezuela est conquis par le conquérant français et son esprit des Lumières. Son nom ? Simon Bolivar. Celui que l’on surnommera plus tard le “Libertador” qui boutera le vieil Empire espagnol de Bolivie et insufflera un vent de liberté au reste de l’Amérique latine, ne cache pas son admiration pour le panache de l’Empereur. Son passage en France en 1802 ne fera que raviver la flamme napoléonienne et achever ses ambitions émancipatrices.
Napoléon, source d’inspiration des dictateurs
Napoléon a aussi inspiré les personnages les plus sombres de l’histoire du XXe siècle. “Mussolini, Hitler, Franco ou Staline ont chacun revendiqué son héritage d’une manière ou d’une autre à travers leurs discours ou des commandes de films sur l’Empereur”, explique David Chanteranne. S’ils ont pu faire des allusions au personnage, “il faut tout de même relativiser son importance dans les esprits des dictateurs, nuance Thierry Lentz. Hitler, qui n’aimait pas les Français, ne cessait de rappeler aussi la suprématie Bismarck sur Napoléon, Mussolini ne jurait que par l’Empereur Auguste, etc…”
Fidel Castro n’a jamais fait mystère de sa fascination pour l’Aigle. Lors de son unique visite en France en 1995, il a choisi de se recueillir sur le tombeau de Napoléon aux Invalides. D’ailleurs, “le plus beau musée de Napoléon est incontestablement celui de La Havane, à Cuba”, estime David Chanteranne.
Napoléon versus Jésus
Le mythe de Napoléon s’inscrit également dans les arts. En dirigeant autoritaire, Napoléon a naturellement eu recours aux disciplines artistiques pour assurer la communication du pouvoir. Architecture, peinture, sculpture et arts décoratifs sont tour à tour entrés au service de la gloire de l’Empire. Mais le héros romantique qu’il incarne, superbe dans la victoire à Austerlitz comme dans la défaite à Waterloo, a aussi inspiré toute une génération d’écrivains à travers le monde, au point de devenir “la muse la plus féconde des poètes”, selon l’expression du poète Pierre-Antoine Lebrun.
Le personnage Napoléon est d’ailleurs très présent dans la culture et l’imaginaire russes. Aux prémices de son règne, Bonaparte est au centre de toutes les conversations dans les salons aristocratiques de Russie. Rien d’étonnant donc à le voir omniprésent dans les œuvres littéraires de Pouchkine, Lermontov, Tolstoï ou Dostoïevski. Encensé ou raillé, il est de toutes les grands ouvrages chez les auteurs britanniques comme Lord Byron, Hardy, A. Burguess tout comme chez leurs homologues italiens, allemands ou polonais.