Nouvelles demandes de déclassification de documents secret-défense, analyses téléphoniques : neuf ans après l’enlèvement et l’assassinat de nos collègues Ghislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal (nord du Mali) par des jihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, le point sur les dernières avancées de l’enquête.
L’essentiel du travail des enquêteurs s’est concentré ces douze derniers mois sur l’analyse des relevés téléphoniques des protagonistes du drame, et notamment des puces retrouvées dans le véhicule abandonné par les ravisseurs. Les fadettes de l’opérateur Malitel, obtenues de haute lutte il y a un peu plus d’un an, sont venues compléter celles d’Orange Mali déjà versées au dossier. L’analyse des experts de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) est loin d’être terminée, mais elle permet déjà d’élargir le spectre des suspects.
« Il faut rester évidemment très prudent, mais de nouvelles personnes apparaissent, explique Danièle Gonod, la présidente de l’Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, partie civile dans le dossier. Certaines sont identifiées, d’autres devront l’être, mais ces nouvelles informations mettent en évidence que loin d’être une organisation opportuniste de quelques sous-fifres jihadistes, il s’agit en fait probablement d’un vaste réseau qui a prémédité et organisé avec minutie le rapt de Ghislaine et Claude qui ont été suivis dès leur arrivée à Kidal et tous les jours qui ont précédé leur enlèvement. »
Danièle Gonod, présidente de l’Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon
Les enquêteurs doivent encore recouper et comparer ces données téléphoniques pour tenter d’identifier formellement les complicités qui ont rendu possible l’enlèvement de nos confrères.
Secret-défense
Neuf ans après les faits, le juge d’instruction mise sur la téléphonie. Mais pas seulement : après les documents secret-défense déjà déclassifiés en 2016 et en 2017 – mais de manière très partielle –, Jean-Marc Herbaut demande la déclassification de nouvelles pièces. Le juge veut notamment obtenir des précisions sur le contexte de l’élimination et de l’identification de plusieurs jihadistes d’Aqmi impliqués dans l’assassinat de nos collègues, et qui ont depuis été tués par l’armée française.
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Abdelkrim Al Targui, chef de la katiba d’Aqmi qui avait revendiqué le double assassinat, et deux des quatre membres du commando qui avait agi sur le terrain, ont été « neutralisés » au cours de ces dernières années – un troisième membre du commando serait mort dans un accident de voiture. Ont-ils été tués dans le simple cadre de la lutte antiterroriste que mène la France au Sahel ? Certains ont-ils été ciblés spécifiquement, pour les empêcher de parler ? C’est ce que redoutent les parties civiles et ce que le juge cherche à vérifier.
Baye Ag Bakabo : informateur des services français ?
Le cas de Baye Ag Bakabo interpelle tout particulièrement. Chef du commando à l’œuvre ce jour-là, il a été tué près de Kidal il y a un an et demi dans une opération antiterroriste française. Officiellement, sa présence n’a été connue qu’après coup, mais plusieurs sources, notamment militaires, assurent à RFI que Baye Ag Bakabo était bien pisté et visé.
Or, ce jihadiste, qui se présentait alors comme un repenti, avait été auditionné par les services français à Kidal en mars 2013, quelques mois avant l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, et avait même accepté le principe d’une nouvelle rencontre. C’est ce qu’avaient révélé des documents secret-défense déclassifiés en 2016. Était-il devenu un informateur ? Cela aurait-il pu avoir des conséquences dans l’assassinat de nos collègues ? Parce que le juge d’instruction se pose ces questions, il demande aussi à connaître les suites éventuelles de cette audition. « C’est extrêmement important de savoir si ces auditions ont eu des suites, et de connaître la réalité des rapports entre les ravisseurs et l’armée française, s’ils étaient des informateurs ou pas », estime Danièle Gonod, de l’Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Danièle Gonod
Une requête qui pourrait être élargie. Selon une note de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) consultée par RFI, un deuxième membre du commando avait également été auditionné par les services français à Kidal, ce même mois de mars 2013 : Alhassane Ag Toukassa, « neutralisé » par l’armée française trois ans plus tard près de Kidal.
Requêtes sans suites
Les parties civiles avaient sollicité l’année dernière l’audition par le juge de Moussa Diawara, l’ancien patron des services de renseignement maliens. Elles demandent aussi depuis des mois que soit déclassifié le rapport écrit du commandant Charles, qui dirigeait à l’époque les forces spéciales françaises à Kidal. Alors que leur présence et leur implication sont longtemps demeurées absentes de la version officielle de l’armée et des autorités françaises, on sait aujourd’hui que le commandant Charles a été l’un des premiers informés et que ses hommes ont même tenté de poursuivre les ravisseurs. Les parties civiles souhaitent donc que les documents concernant l’action des forces spéciales françaises à Kidal ce jour-là – rapport du commandant Charles à sa hiérarchie ou autre – soient versées au dossier.
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Aucune suite n’a pour l’heure été donnée à ces deux requêtes, à la connaissance des parties civiles. Mais l’enquête pâtit aussi de l’état actuel des relations franco-maliennes, qui complique la coopération judiciaire et le moindre déplacement du juge français à Bamako.
Pour la première fois depuis quatre ans, le juge Jean-Marc Herbaut a rencontré toutes les parties civiles le 30 juin dernier. Apolline Verlon-Raizon, la fille de Claude Verlon, était présente et a écouté attentivement le point d’étape que le juge leur a présenté. « Je m’attendais à plus d’avancées et je me dis que oui, l’enquête avance, mais qu’elle piétine, déplore-t-elle. Et quand on constate les relations très difficiles entre la France et le Mali, ça vient rajouter une chape de plomb sur un dossier qui est déjà difficilement accessible. On en est à neuf ans ! On en a encore pour combien de temps ? J’aimerais juste que les gens qui ont au fond d’eux quelque chose à apporter dans ce dossier, qui auraient quelque chose à dire, n’aient plus peur et le fassent. »