Le Likoud de Benjamin Netanyahu est arrivé mardi en tête des élections législatives en Israël, encore dans l’attente des résultats définitifs. Le parti du Premier ministre sortant Yaïr Lapid devrait, quant à lui, terminer à la deuxième place. Une “situation paradoxale” pour le Premier ministre intérimaire, qui a perdu son pari mais réussi à s’imposer comme une figure de l’opposition israélienne. Entretien.
“Il faut attendre les résultats finaux” car “rien n’est joué”, a déclaré, mercredi 2 novembre, le Premier ministre israélien sortant Yaïr Lapid, dont le parti Yesh Atid est donné à la deuxième place derrière le Likoud de Benjamin Netanyahu.
Avec ses alliés, le bloc de Benjamin Netanyahu compterait 65 sièges, soit quatre de plus que la majorité. Mais ces scores pourraient changer à l’annonce des résultats officiels, notamment en fonction des sièges remportés par les petits partis. Deux listes, un parti arabe israélien et la formation de gauche Meretz, flirtent avec le seuil d’éligibilité – fixé à 3,25 % des voix pour entrer au Parlement israélien.
Avant même les résultats définitifs, cette configuration électorale place le Premier ministre sortant Yaïr Lapid dans une situation “paradoxale” : défait électoralement malgré un score en progression – il devrait gagner sept sièges supplémentaires au Parlement –, “il apparaît en même temps comme le chef de l’opposition israélienne”, explique David Khalfa, chercheur à l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès.
France 24 : dans quelle mesure ce scrutin, avant même les résultats définitifs, est-il un échec pour le Premier ministre intérimaire Yaïr Lapid ?
David Khalfa : c’est un échec relatif pour Yaïr Lapid. Son parti Yesh Atid, qui comptabilisait 17 sièges en 2021, va parvenir à 24 sièges après ces élections législatives. C’est une progression assez nette sur le plan électoral.
Mais le problème de Yaïr Lapid a été double : il a été à la tête d’une coalition très hétérogène travaillée par les querelles d’ego – notamment avec son ministre de la Défense, Benny Gantz – et il a aussi commis une erreur tactique. En amont de ce processus électoral, le Premier ministre intérimaire a essayé d’unir la gauche israélienne sous un seul toit politique, mais le parti travailliste Avoda a refusé cette alliance préélectorale, ce qui explique qu’aujourd’hui le parti de gauche Meretz n’a pas franchi le seuil d’éligibilité.
Le pari de Yaïr Lapid, c’était de coiffer sur le poteau le Likoud de Benjamin Netanyahu et de s’imposer comme la première force politique du pays. Or il arrive en seconde position, et la progression de Yesh Atid s’est faite aux dépens de ses alliés de gauche. Yaïr Lapid est donc dans une situation paradoxale : sur le scrutin, il est défait électoralement même s’il obtient un score plus qu’honorable, et en même temps il apparaît désormais comme le chef de l’opposition israélienne.
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La coalition au pouvoir avant ces élections était hétéroclite. Quelle est la responsabilité de chaque force politique qui la composait dans cet échec ?
Le fait que l’opposition se soit présentée devant les électeurs en rangs dispersés n’a pas aidé Yaïr Lapid. À l’heure actuelle (mercredi 2 novembre à midi, NDLR), on n’a pas tous les chiffres précis mais on sait que le taux de participation du secteur arabe est bien plus faible que celui du secteur juif. Or, ce niveau de participation joue un rôle déterminant dans le résultat de ces législatives, un rôle clé qui aurait probablement permis à la coalition de retrouver les commandes du pouvoir sous la houlette de Yaïr Lapid. Mais le secteur arabe s’est relativement peu mobilisé, il y a eu une forme d’apathie qu’a dénoncé mercredi 2 novembre le chef du parti Raam, Mansour Abbas.
Certains parlementaires arabes ont aussi une responsabilité, avec des déclarations qui ont desservi les discours de l’opposition israélienne (la coalition hétéroclite, NDLR) et qui ont pu nourrir par effet miroir le discours anti-arabes des populistes israéliens d’extrême droite.
S’ajoute à cela la responsabilité évidente de certains parlementaires de la droite anti-Netanyahu – qui sont d’ailleurs à l’origine de l’effondrement de la coalition sortante. La plupart des électeurs du parti Yamina de Naftali Bennett (droite) ont, par exemple, soutenu le Likoud et l’extrême droite lors de ces élections. Cet électorat n’a pas pardonné à Bennett son alliance avec la gauche et les partis arabes.
Enfin, le fait que Benny Gantz ait présenté sa propre candidature au poste de Premier ministre et n’ait pas fait un ticket avec Yaïr Lapid a fragilisé l’opposition israélienne.
Quelles sont les perspectives politiques pour Yaïr Lapid maintenant ?
Yaïr Lapid a paradoxalement un boulevard politique devant lui. Autant il y a cette bascule à droite de l’échiquier politique israélien avec un Benjamin Netanyahu inoxydable dans la peau d’un éternel revenant. Mais Yaïr Lapid a face à lui un homme accusé de corruption et allié à une extrême droite très encombrante.
Yaïr Lapid a fait campagne sur la promotion d’une société ouverte, sur la défense de l’État de droit et sur la préservation de la séparation des pouvoirs, ainsi que sur la promotion de la coopération avec le secteur arabe. Aujourd’hui, c’est lui qui incarne cette ligne démocrate, libérale et progressiste en Israël. C’est le chef incontesté de l’opposition, et il va pilonner la coalition de droite naissante en mettant l’accent sur cette alliance Netanyahu-extrême droite. Il va sans doute arriver à mobiliser l’opposition israélienne.
Le problème structurel de Yaïr Lapid va être la question des alliances. Il faudra qu’il y ait une véritable révolution dans les relations entre juifs et arabes en Israël, et assumer de part et d’autre une coopération décomplexée et tous azimuts qui s’inscrira dans la durée. Il n’y a pas d’autre avenir politique pour l’opposition israélienne si elle souhaite revenir aux plus hautes responsabilités de l’État hébreu.