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Malgré le gel des expulsions vers Kaboul, une préfecture obtient un laissez-passer consulaire





Malgré le gel des expulsions vers Kaboul, une préfecture française obtient un laissez-passer pour renvoyer un Afghan – InfoMigrants


































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Un Taliban armé surveille des personnes faisant la queue devant une banque de Kaboul, le 4 septembre 2021. Crédit : Reuters
Un Taliban armé surveille des personnes faisant la queue devant une banque de Kaboul, le 4 septembre 2021. Crédit : Reuters

L’ambassade d’Afghanistan en France a délivré un laissez-passer consulaire à un Afghan en rétention, document préalable à son expulsion. Or, depuis le retour au pouvoir des Taliban en août 2021, la position officielle du gouvernement français est de ne procéder à aucune expulsion d’Afghans, et de n’avoir aucune relation diplomatique avec Kaboul. InfoMigrants a enquêté.

C’est une histoire qui en dit long sur la politique de rétention, en particulier vis-à-vis des Afghans. Pour la comprendre, il faut remonter à ses origines. Août 2022 : Sayed*, un ressortissant afghan, est placé en centre de rétention administrative par la préfecture de l’Orne. L’homme vient de recevoir une obligation de quitter le territoire français (OQTF), assortie d’une interdiction de retour d’une durée de trois ans.

Sur son ordonnance de placement en rétention, qu’InfoMigrants a pu consulter, deux choses interpellent. D’abord, les services de l’État affirment qu’un laissez-passer consulaire, document nécessaire pour expulser quelqu’un vers son pays d’origine, a été “délivré par les autorités afghanes” pour Sayed. Tout aussi surprenant : “Un vol est en cours de réservation”, ajoute la préfecture.

Or, les vols vers Kaboul sont complètement suspendus. Les consignes officielles du gouvernement français tenues depuis le 12 août 2021 sont claires : aucune expulsion vers Kaboul, aucune relation diplomatique avec les Taliban. Fin juillet, sur BFMTV, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin martelait encore : “J’assume : on ne va pas expulser en Syrie et en Afghanistan des gens, parce qu’on ne veut pas de relation avec des dictatures comme les Taliban, et on va pas renvoyer, de toute façon on n’a pas d’avion (…) C’est une limite que j’ai avec le Rassemblement National.”

Derrière cette politique affichée par la France, que se passe-t-il donc en coulisses pour les Afghans déboutés de leur demande d’asile comme Sayed ?

L’ambassade d’Afghanistan en France au cœur de la contradiction

Contactée, la préfecture de l’Orne renvoie à la Direction générale des étrangers en France (DGEF) – dépendant du ministère de l’Intérieur, nous indiquant au passage que celle-ci leur a “demandé de ne pas donner suite” à nos questions. De son côté, la DGEF, également contactée, renvoie vers la préfecture de l’Orne. “Ce sont des démarches qui relèvent des préfectures, ce n’est pas centralisé à Paris”, justifient les services de la direction générale.

C’est vrai : ce sont les préfectures qui prennent contact avec l’ambassade concernée, lorsqu’elles souhaitent obtenir un laissez-passer. En l’occurrence, une source haut placée au sein de l’ambassade d’Afghanistan en France nous confirme que des laissez-passer consulaires y sont bel et bien délivrés. Et que rien n’a changé dans la procédure, entre l’avant et l’après chute de Kaboul.

Cette même source explique le déroulement : les préfectures envoient un mail, puis l’ambassade étudie le dossier, voire reçoit la personne concernée, afin de procéder à son identification. Ensuite, nul besoin de contacter les autorités talibanes à Kaboul : la délivrance du document se décide entièrement à l’ambassade. C’est ainsi que la préfecture de l’Orne a reçu le laissez-passer consulaire pour Sayed.

>> À (re)lire : Réfugiés afghans en France : le parcours du combattant pour faire venir sa famille

La position de l’ambassade d’Afghanistan en France est paradoxale. L’équipe en place est la même qu’avant le retour des Taliban, régime dont elle se démarque, comme elle l’affirme depuis un an et demi. Sorte de coquille vide, elle aide cependant les Afghans dans un certain nombre de démarches administratives.

“Il n’y a aucun contact avec les autorités à Kaboul”, insiste Maria Akhtari, consule, rencontrée mi-octobre par InfoMigrants.

“Une sacrée énergie déployée pour prolonger la rétention”

Notre source souligne une précision importante : les laissez-passer consulaires délivrés ici, comme celui de Sayed, concerne des ressortissants “criminels”. “Cela ne concerne pas de simples déboutés de l’asile.”

Sayed rentre dans ce cadre-là. Son OQTF, qu’InfoMigrants a aussi pu consulter, retrace son parcours. Arrivé en France en 2017, ce jeune demandeur d’asile a été débouté par l’OFPRAmalgré une demande de réexamen. Par la suite, l’homme s’est rendu coupable de “faits de violence avec usage ou menace d’une arme suivie d’incapacité n’excédant pas huit jours”, aboutissant, en 2020, à une condamnation à deux ans de prison. La préfecture de l’Orne considère, depuis lors, qu’il représente “une menace actuelle et réelle pour l’ordre public”. D’où la demande de laissez-passer.

>> À (re)lire : Expulsions des “étrangers délinquants” : Darmanin vante sa fermeté mais ne propose rien de nouveau

Après de multiples relances sur ce dossier, le cabinet de Gérald Darmanin nous a répondu par une unique affirmation : “Comme l’a dit à plusieurs reprises le ministre de l’Intérieur, la France n’expulse pas vers l’Afghanistan”.

De fait, Sayed n’a pas été expulsé. Il a été libéré par le juge des libertés et de la détention, en septembre, au bout d’un mois de rétention, faute de perspective d’éloignement. Son laissez-passer consulaire venait d’expirer. En outre, il n’existe toujours pas de vol vers Kaboul.

“Il y a des trajets possibles en direction de l’Afghanistan. Ils passent par Dubaï, ou Istanbul”, nous explique Maria Akhtari. Mais la consule est catégorique : “Aucun Afghan n’a été renvoyé de cette façon en Afghanistan dans l’année écoulée. Même s’ils ont été condamnés pour des crimes, pour des raisons humanitaires, ils ne doivent pas être renvoyés en Afghanistan, vu la situation actuelle”.

La démarche de la préfecture de l’Orne pour obtenir un laissez-passer consulaire témoigne donc avant tout d’une “sacrée énergie déployée pour prolonger la rétention” de Sayed, commente le juriste Paul Chiron, chargé de ces questions à La Cimade.

La rétention d’Afghans se poursuit, même depuis la chute de Kaboul

Un cas antérieur fait écho au cas présent. En octobre 2021, le média d’investigation Le Poulpe révélait que la préfecture de la Manche affirmait avoir transmis une demande de laissez-passer consulaire aux autorités afghanes. Sans préciser cependant si cette demande avait abouti.

Depuis la chute de Kaboul, La Cimade – qui n’intervient cependant pas dans tous les CRA de France – n’a eu vent d’aucun cas allant aussi loin que celui de Sayed. Mais les placements en rétention d’Afghans, ainsi que la délivrance d’OQTF à leur encontre, n’ont pas cessé.

>> À (re)lire : Des Afghans toujours déboutés de l’asile et placés en rétention malgré le retour des Taliban

En octobre 2021, La Cimade comptait déjà trois Afghans placés dans des CRA, au nom d’une procédure de renvoi vers l’Afghanistan. Puis, entre janvier et août 2022, l’association recensait à nouveau quatre Afghans placés en CRA et menacés d’expulsion.

Parmi eux, figurait Ehsan, sur lequel InfoMigrants avait enquêté. Ce jeune homme avait été placé au CRA du Mesnil-Amelot alors qu’il se disait mineur, et surtout, alors qu’il était en pleine procédure de demande d’asile

“Ce que l’on ressent de manière générale, c’est qu’il y a un refus de prendre en compte l’impossibilité réelle de renvoyer un Afghan en Afghanistan”, commentait alors Me Nicolas De Sa-Pallix, avocat en droit des étrangers au barreau de Paris, auprès d’InfoMigrants.

Si de telles expulsions sont toujours inenvisageables à l’heure actuelle, la délivrance d’un laissez-passer consulaire dans le cas de Sayed marque une étape supplémentaire dans les démarches des préfectures. “Cela confirme, en tout cas, leur acharnement”, conclut Paul Chiron.

*Il s’agit d’un prénom d’emprunt, afin de préserver l’anonymat de la personne.

 

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