Plus d’un millier de Palestiniens bédouins attendent d’être expulsés des collines du mont Hébron, dans le sud de la Cisjordanie. L’armée israélienne a déclaré la région désertique de Masafer Yatta zone de tir militaire dans les années 1980. Début-mai, la Cour suprême israélienne a rejeté un recours visant à annuler cette décision, permettant ainsi à l’armée et aux colons juifs de démolir les maisons et d’expulser les habitants.
Bulldozers, pelleteuses et tirs de balles… c’est le quotidien des 12 villages et hameaux bédouins de la région de Masafer Yatta, où un millier de personnes vivent de l’agriculture et de l’élevage.
Ils ont tenté d’empêcher, par des pétitions et des recours, la démolition des quelques maisons restantes, ainsi que deux écoles et des structures sanitaires, mais la Cour suprême a rejeté l’appel en août 2022.
🚨The occupation forces demolished a house in Bani Naim, they used violence against the residents, firing live bullets and sound and gas bombs, arresting a young man after brutally beating him.
🚨Forces gather in Masafer Yatta, and we do not know what they will destroy. pic.twitter.com/72Fjv90Iu4
— #SaveMasaferYatta (@basel_adra) October 25, 2022
“Les forces d’occupation ont démoli une maison à Bani Naim, elles ont violenté les habitants, tirant à balles réelles, lançant des grenades assourdissantes et du gaz lacrymogène. un jeune homme a été arrêté après avoir été brutalement battu”, relate cet activiste originaire de Masafer Yatta le 22 octobre 2022.
Début mai, la Cour suprême israélienne a autorisé la démolition de la totalité de la zone qui s’étend sur 30 km² pour laisser place à un champ de tir destiné à l’armée. L’infrastructure, déjà fragilisée de la région – comprenant des écoles, des dispensaires et des citernes d’eau –, sera également rasée.
Une maison en cours de construction a été démolie dans le village de Beni Naïm le 25 octobre 2022. Les habitants qui ont tenté de résister ont été arrêtés par l’armée, selon l’agence palestinienne Wafa.
C’est en 1981 que Masafer Yatta a été décrétée “zone de tir 918“. La première vague d’expulsions a suivi en 1999, quand l’armée a chassé près de 700 personnes de leurs terres, les désignant comme “résidents non permanents” et donc “illégalement installés” dans la région.
Mais, en mai 2022, a été donné le feu vert final de raser l’entièreté des villages, hameaux et groupements palestiniens de Masafer Yatta, incluant quatre écoles et plusieurs structures sanitaires et agricoles.
“Zone de tir – entrée interdite” lit-on sur ce panneau en pierre installé à l’entrée de Masafer Yatta.
“L’État israélien fait tout pour nous pousser à partir de nous-mêmes”
Nidhal Younes, président du conseil des villages de Masafer Yatta, habite à Jinba, au sud de Hébron. Cet habitant de longue date a connu la campagne d’expulsion de 1985, puis celle de 1999 et enfin celle de 2022.
En 1985, l’armée a détruit une dizaine de maisons qui dataient au moins d’avant 1948 [première guerre israélo-arabe, NDLR], et les habitants qui ont perdu leur foyer se sont réfugiés dans les cavernes du mont Hébron pendant quelques années. Certaines y vivent encore. À l’époque déjà, l’armée israélienne nous avait tout confisqué jusqu’au bétail et nous avait empêchés de reconstruire quoi que ce soit.
La “maison” d’une famille palestinienne aménagée dans une caverne du village de Kherbet Al Mafkhara.
Aujourd’hui, l’État israélien fait pression sur nous, les habitants de Masafer Yatta, pour que nous partions de nous-mêmes. Il y a, d’un côté, les entraînements des soldats de jour comme de nuit : des tirs de balles, des explosifs déclenchés tout près des habitations. Certaines maisons ont été touchées dans le hameau de Khallet ed Dabaa, où la seule école dans un rayon de plusieurs kilomètres attend d’être démolie d’une minute à l’autre.
“En ce moment, les forces armées israéliennes lancent des grenades assourdissantes, des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes sur nos maisons”, relate cet habitant du village de Tuwani le 24 septembre.
Les raids sont aussi très fréquents dans les villages. Les soldats font irruption dans les maisons et les tentes, ils lancent des tirs en l’air pour terroriser les habitants.
Les barrages militaires à la sortie de chaque village sont régulièrement fermés, l’accès aux hameaux bloqué. Il y a des checkpoints partout.
Les forces armées ont tiré sur la voiture d’un habitant du village d’Al-Zahirya avant de l’arrêter au niveau du barrage à l’extérieur de son village, en juillet 2022.
Le but est de restreindre au maximum les déplacements dans la zone : nos voitures sont confisquées, la livraison du matériel agricole et médical dans les villages est empêchée, les associations internationales se voient refuser l’accès. Certains élèves et leurs instituteurs ne peuvent pas se rendre dans la ville, car beaucoup viennent de loin, en voiture. Maintenant, ceux qui habitent dans les collines aux alentours doivent traverser plusieurs kilomètres de chemins montagneux à pied.
Le 4 septembre, plusieurs instituteurs et élèves ainsi que leurs parents ont été retenus pendant des heures au checkpoint militaire du village de Jinba, les empêchant d’accéder à l’école primaire.
Dans mon village de Jinba, un barrage permanent a été placé en mai. La décision de laisser passer ou non les habitants dépend de l’humeur du soldat chargé du checkpoint. J’ai été personnellement bloqué pendant une demi-journée au checkpoint à l’extérieur de Jibna et fouillé, sous prétexte que la pâture que je transportais était ‘suspecte’.
Assaut de l’armée sur le village de Tuwana dans la nuit du 13 septembre 2022, lançant des grenades assourdissantes et du gaz lacrymogène en direction des habitations.
“Les colons pillent notre bétail, attaquent les villages et détruisent nos cultures”
Il y a aussi les colons, qui jouent un rôle complémentaire à l’armée. Ils se pointent aux côtés des soldats dès qu’une opération d’expulsion ou de démolition est prévue. Ils pillent notre bétail, détruisent nos cultures agricoles et attaquent les villageois, notamment lors de récoltes d’olives [des colons juifs ont attaqué à l’arme blanche des villageois lors d’une récolte d’olives le 19 octobre, à Kisan à l’est de Bethléem, poignardant une femme de 70 ans, NDLR].
More than 30settlers from the illegal Susiya settlement, accompanied by the occupation army, stormed the village of Wadi Jaish in Masafer Yatta, destroying at least 3 tents and stole trees from families. pic.twitter.com/7PBoDKMuuA
— #SaveMasaferYatta (@basel_adra) October 9, 2022
Une trentaine de olons de la colonie de Susiya, accompagnés de l’armée d’occupation, ont pris d’assaut le village de Wadi Jaish à Masafer Yatta, détruisant au moins 3 tentes et volant des arbres aux familles.
Ces mêmes colons font des raids spontanés régulièrement sur nos villages. Lorsqu’ils rencontrent de la résistance, ils font appel à l’armée ou à la police, et ‘dénoncent’ les habitations qu’ils jugent ‘illégales’ afin qu’elles soient démolies ou confisquées. Lorsque j’ai entamé la construction de ma maison, des colons sont venus prendre des photos du chantier et l’ont rapporté à l’armée comme construction ‘illégale’. J’ai dû la démolir avant même d’avoir terminé le chantier.
“Soit on démolit sa propre maison, soit l’armée s’en charge”
Des bombes lacrymogènes ont visé les agriculteurs durant la cueillette d’olives à Tuwani, le 22 octobre 2022.
Soit on démolit sa propre maison, soit l’armée s’en charge.
On voit régulièrement les enfants des colons les accompagner car, contrairement aux enfants juifs des villes, ceux-là ne sont généralement pas scolarisés, ils participent aux activités criminelles de leur famille. Ils sont nourris à la haine des Palestiniens. Ils viennent fêter les démolitions ou l’expulsion des villageois arabes de leurs propres terres, car leur clan leur apprend que nos terres sont en réalité les leurs, et qu’ils ne font que ‘défendre’ leur héritage. C’est comme cela que nos terres sont confisquées par l’État puis reconverties en colonies neuves.
À ce jour, indique l’ACRI, l’armée israélienne n’a pas donné d’explications quant au choix de cette zone pour les entraînements militaires, ni l’absence d’alternatives dans des zones non habitées en Cisjordanie. Une enquête du média israélien +972 a révélé que les “zones de tir” ont été créées – après la guerre de 1967 – dans le but de transférer la propriété de ces terres à l’armée puis dans un second temps aux colons.
“Les grenades [assourdissantes] ont frappé tellement fort que la maison
Kareem Jobran, de l’association israélo-palestinienne B’tselem, indique que cette stratégie d’intimidation est considérée comme crime de guerre :
Ces confrontations sont le résultat direct de la décision d’expulsion immédiate par l’armée. Or, celle-ci, afin d’éviter de remuer des vagues et de devoir expliquer l’expulsion de centaines de familles palestiniennes, organise des ‘opérations’ petit à petit : une expédition dans ces terres à la fois sur plusieurs semaines, afin d’éviter de provoquer l’indignation de la communauté internationale.
Une maison en cours de construction a été démolie dans le village de Beni Naïm le 25 octobre 2022. Les habitants qui ont tenté de résister ont été arrêtés par l’armée, selon l’agence palestinienne Wafa.
Dans ce contexte, l’armée ainsi que des civils se rendent quasi quotidiennement dans les villages à raser et font pression sur les habitants pour les pousser à partir d’eux-mêmes et à abandonner leur village. Nous considérons que cette intimidation et cette provocation sont synonymes de crimes de guerre pratiqués au quotidien.
B’tselem a déjà porté l’affaire à la Cour suprême d’Israël ainsi qu’à la cour pénale internationale depuis le début du mois d’octobre car nous considérons que c’est un crime de guerre. Nous appelons à stopper ces intimidations violentes et nous rappelons qu’en 2018, nous avons réussi – grâce à la cour pénale internationale – à stopper une vague d’expulsion massive des habitants du village de Khan-al-ahmar [est de Jérusalem] et l’État avait fait marche arrière face à la pression internationale.
Aujourd’hui, les habitants de ce village se retrouvent de nouveau menacés d’expulsion. Nous exigeons de réelles actions et demandons à la cour pénale de ne pas se contenter de dénoncer ces crimes.