Le président chinois Xi Jinping, reconduit pour un troisième mandat au terme du XXe Congrès du Parti communiste chinois (PCC), s’est entouré d’un bureau politique uniquement composé de ses proches alliés. Une fracture avec ses prédécesseurs, qui renforce encore son pouvoir et rend toute opposition quasiment impossible.
Xi Jinping a marqué l’Histoire dimanche 23 octobre. Reconduit à la tête du Parti communiste à l’issue de son XXe Congrès, il s’est assuré un troisième mandat à la tête du pays, du jamais vu depuis la mort de Mao Zedong en 1976. Mais, surtout, le président chinois ressort du XXe Congrès du PCC plus puissant que jamais, entouré de fidèles alliés.
Un Comité permanent aux allures de garde rapprochée
Au Palais du peuple, à Pékin, l’homme de 69 ans est monté à la tribune, dimanche, en clôture du Congrès destiné à tracer l’avenir politique de la Chine pour les cinq ans à venir. Derrière lui, les six membres du nouveau Comité permanent, le sommet du pouvoir chinois. “Ce comité renforce fortement le pouvoir de Xi Jinping. Tous les membres qui le composent lui sont fidèles, voire très fidèles”, note Bilal Tarabey, chroniqueur international de France 24.
Dans l’ordre protocolaire, le titre de numéro 2 revient à Li Qiang, secrétaire général du parti à Shanghai. Selon la tradition, le titre de Premier ministre devrait lui revenir. “C’est tout un symbole”, explique Bilal Tarabey. “Il est rare que quelqu’un passe directement d’un poste régional à Premier ministre, sans occuper d’abord un poste intermédiaire à Pékin.” Il ne dispose en effet d’aucune expérience au niveau du gouvernement central, contrairement à la quasi-totalité des ex-Premiers ministres.
Or, Li Qiang est l’un des hommes de confiance les plus proches du président chinois. Mais il est aussi le responsable du confinement de Shanghai pendant la crise sanitaire, chargé d’appliquer la très sévère “politique zéro-Covid”, alors que les 25 millions d’habitants de la ville connaissaient des difficultés d’approvisionnement en nourriture et en soins médicaux essentiels. “Un bilan très contesté, au point que certains internautes détournent actuellement la censure pour exprimer leur amertume face à sa nomination”, témoigne Lou Kisiela, correspondante pour France 24 en Chine. “Le message est clair : la fidélité à Xi Jinping prime.”
📍À Shanghai, amertume sur les réseaux sociaux 🇨🇳 après la nomination de Li Qiang comme n•2 du PCC. Il a orchestré le confinement total de la ville, la paralysie de l’économie pendant 2 mois, avec des conséquences encore palpables aujourd’hui. La fidélité à Xi Jinping prime.
— Lou Kisiela (@LouKisiela) October 23, 2022
Et les trois autres nouveaux membres font aussi partie de la garde rapprochée du président chinois : Ding Xuexiang, son bras droit, Li Xi, chef du parti dans la province du Guangdong et Cai Qi, le chef du parti à Pékin. À leurs côtés, restent en poste Zhao Leji, responsable de la lutte anti-corruption et de la discipline – un titre qui cache la politique d’élimination des opposants au pouvoir – et Wang Huning, monsieur “‘idéologie”. Dans l’immédiat, la répartition exacte du rôle de chacun au sein du comité permanent n’a pas encore été précisée.
Les voix dissonantes écartées
En parallèle, les quelques voix dissonantes ont été écartées. Parmi elles, celle de l’ancien Premier ministre Li Keqiang et du président de la conférence consultative du peuple chinois, Wang Yang. “Les deux hommes représentaient un autre courant de pensée au sein du comité. Ils incarnaient une politique plus libérale et plus apaisée envers l’Occident”, rappelle Bilal Tarabey.
“C’est une rupture par rapport au passé. Avant, les différentes factions du parti faisaient des compromis pour se répartir les postes. Et cela garantissait que les différents courants de pensée puissent s’exprimer”, affirme Jean-Pierre Cabestan, sinologue à l’Asia Centre, à Paris. “Aujourd’hui, tout le Comité permanent appartient à Xi Jinping et plus aucune personnalité ne sera capable de limiter son pouvoir.”
“Ces changements sont le signe que Xi Jinping vient une nouvelle fois de renforcer son autorité, déjà considérable, à l’intérieur du Parti et de cimenter son pouvoir”, analyse de son côté le journal singapourien, The Strait Times. De quoi “rendre l’opposition quasi impossible, toute vision différente pouvant être interprétée comme une attaque”.
Le ton avait été donné dès la cérémonie de clôture du Congrès samedi, lorsque l’ancien président chinois Hu Jintao, considéré comme plus modéré et plus ouvert vis-à-vis de l’Occident, a été escorté de force à l’extérieur de la salle où se déroulait l’événement. Les médias officiels ont invoqué des raisons de santé mais les réticences apparentes de l’homme de 79 ans à quitter son siège ont entraîné des spéculations autour des réelles motivations de ce geste.
D’autant plus qu’à l’ouverture du congrès, Xi Jinping avait émis de vives critiques à l’égard de son prédécesseur. Il avait notamment estimé que, pendant “l’ère Hu”, des courants d’idées erronées telles que le culte de l’argent, la recherche du plaisir (…) étaient récurrents. (…).” Pour certains observateurs, cette sortie inattendue était ainsi destinée à envoyer un signal politique fort à ceux qui voudraient s’opposer au sacre de Xi Jinping. “Etant donné le soin apporté à la chorégraphie du congrès du Parti, ce n’est pas une coïncidence si cela a pu se dérouler devant tous les délégués du Parti et les médias”, estime sur Twitter Henry Gao, professeur de droit à l’université de gestion de Singapour.
“Hu Jintao était très mécontent de la composition du Comité central”, ajoute de son côté à l’AFP Willy Lam, spécialiste du PCC à l’Université chinoise de Hong Kong. Je pense qu’il a dû dire quelque chose qui a contrarié Xi Jinping, peut-être quelques mots de protestation, et c’est pourquoi Xi Jinping a convoqué des membres de la sécurité pour le traîner à l’écart.”
Les femmes absentes
Autre fait notable : le politburo, le bureau politique chinois, ne compte aucune femme pour la première fois en 25 ans. Sun Chunlan, la seule qui en faisait partie, a pris sa retraite et personne ne l’a remplacée. Le groupe compte désormais 24 membres, un de moins qu’habituellement. Les candidates ne manquaient pourtant pas, à commencer par Shen Yiqin, la seule femme à être secrétaire générale du parti d’une province entière, celle de Guizhou, dans le sud de la Chine. Issue de l’ethnie Bai, une minorité, elle cochait “plusieurs bonnes cases à la fois pour remplir les quotas”, notait le site du China Project début octobre.
En dessous du politburo, le Comité central, une sorte de parlement avec 205 membres, voit lui aussi le nombre de femmes reculer. Il ne compte désormais que onze femmes, contre trente précédemment.
Il faut dire que Xi Jinping n’est pas le champion de la cause féminine en politique. Il incarne “l’approche très patriarcale de la société du PCC”, expliquait avant le Congrès Valarie Tan, sinologue au Mercator Institute for China Studies (Merics) de Berlin. Ce manque de femmes dans les instances dirigeantes a pourtant des conséquences économiques et sociales importantes, assure la spécialiste, qui estime que “l’une des causes profondes de la crise démographique actuelle en Chine est cette sous-représentativité des femmes aux postes importants.”
>> XXe Congrès du Parti communiste chinois : où sont les femmes ?
Taïwan comme priorité
En renforçant son pouvoir et en s’assurant d’un appareil acquis à sa cause, le président espère relever plus facilement les défis qui l’attendent. Car, malgré un pouvoir renforcé, le dirigeant devra faire face à de nombreux obstacles : une économie en fort ralentissement en raison de sa politique “zéro Covid”, un malaise de la classe moyenne, une rivalité exacerbée avec les États-Unis, des critiques internationales sur les droits humains…
“On va assister à un retour à un socialisme assez dur, notamment sur le plan économique”, prédit Jean-Pierre Cabestan. Si Xi Jinping a, ces dernières années, mis l’accent sur la consommation et la demande intérieure pour développer l’économie, le maintien des restrictions sanitaires en Chine a mis à mal cette stratégie. “Xi Jinping a ainsi clairement affirmé que la bonne santé économique nationale allait être au centre des activités, et l’économie privée devenir secondaire.”
“À l’international, la Chine va vouloir poursuivre sa coopération avec les autres pays sur le plan économique, tout en essayant d’asseoir sa vision du monde et son idéologie”, poursuit le sinologue.
“Mais l’inquiétude grandit surtout au sujet de Taïwan“, craint-il, alors que le Parti communiste a inscrit pour la première fois dans sa charte une mention sur sa “ferme opposition” à l’indépendance de l’île. Les tensions entre Pékin et Taipei se sont nettement accentuées depuis la visite en août de la numéro trois américaine, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants. Y voyant une atteinte à sa souveraineté, Pékin avait alors organisé dans la foulée ses plus larges exercices militaires. “Avec cet amendement de la charte, Xi Jinping accroît encore clairement sa pression sur l’île et en fait l’une de ses priorités”, insiste Jean-Pierre Cabestan.
La reconduction de Xi Jinping “peut être un élément (…) qui augmente le risque de conflit armé”, estime Dan Macklin, analyste établi à Shanghai. En cas de ralentissement économique prolongé, le Parti communiste pourrait intensifier sa pression sur Taïwan pour renforcer sa légitimité, explique-t-il à l’AFP. Un Xi Jinping vieillissant, entouré d’une équipe à sa solde, augmente par ailleurs “le risque d’erreur de calcul” dans les décisions, prévient l’analyste.