Le gouvernement d’Élizabeth Borne s’apprête à faire passer sans vote de l’Assemblée nationale la partie recettes de son projet de loi de finances cette semaine. Plusieurs amendements adoptés contre sa volonté seront écartés. Cependant, avec la grogne sociale qui enfle, l’opération s’avère délicate.
Le gouvernement marche sur des œufs et croise les doigts pour que la situation ne s’enflamme pas. Entre les pénuries de carburant qui se prolongent malgré les réquisitions, le succès de la marche de la Nupes contre la vie chère et l’inaction climatique, dimanche, et la journée de grève interprofessionnelle annoncée pour mardi, le front social est particulièrement explosif en France. À cela s’ajoute la bataille parlementaire sur le projet de loi de finances (PLF) 2023, pour lequel l’adoption de plusieurs amendements, contre la volonté du gouvernement, met l’exécutif dans l’embarras.
Difficile, dans ce contexte, de sortir du chapeau l’arme constitutionnelle que représente l’article 49.3, permettant d’adopter un texte sans vote du Parlement. Pourtant, la Première ministre, Élisabeth Borne, a convenu, dimanche soir sur TF1, que son gouvernement “sera sans doute amené à (y) recourir” cette semaine.
Depuis le début des débats sur le PLF, la question n’a, il est vrai, jamais été de savoir si le gouvernement, qui n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale pour voter son texte, utiliserait le 49.3, mais plutôt de savoir quand il s’y résoudrait.
Et si son recours a été validé en conseil des ministres dès le mercredi 12 octobre, le choix a été fait d’attendre que passent les mobilisations sociales, avec l’espoir que celles-ci ne soient pas trop suivies.
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“Le gouvernement est dans une séquence délicate : sans être un raz-de-marée, la marche de la Nupes a été un succès et Jean-Luc Mélenchon tente de jouer la convergence des luttes, cherchant à obtenir par la rue ce qu’il n’a pas obtenu par les urnes. Pour autant, l’opinion reste attentiste. Il faudra voir ce que donne la journée de mobilisation de mardi pour évaluer la situation”, analyse le politologue Pascal Perrineau, professeur à Sciences-Po Paris.
Plusieurs revers lors des débats sur le budget
L’ancien candidat à l’élection présidentielle et leader de La France insoumise a en effet évoqué dimanche la naissance d’un “nouveau Front populaire”, appelant les Français à la grève générale. Celle-ci aura-t-elle lieu ? La CGT, FO, Solidaires, la FSU et les organisations de jeunesse Fidl, MNL, Unef et la Vie lycéenne appellent les salariés de tous les secteurs à faire grève et à manifester mardi pour les salaires et contre les réquisitions.
La CGT recensait ce week-end “140 points de rassemblement dans toute la France, ce qui est déjà bien”, compte tenu du court délai laissé aux militants pour s’organiser, a relevé auprès de l’AFP la secrétaire confédérale Céline Verzeletti.
Le gouvernement avance d’autant plus sur une ligne de crête qu’il doit composer avec des oppositions parlementaires qui lui imposent des amendements non prévus à son budget 2023. La première semaine de débats au Palais Bourbon a ainsi été marquée par l’adoption de plusieurs mesures auxquelles était opposé l’exécutif : l’objectif-clé de contenir le déficit public à 5 % du PIB en 2023 a été effacé, l'”exit tax” concernant la taxation des personnes ayant transféré leur domicile fiscal hors de France a été rétablie et des crédits d’impôt ont été votés pour tous les résidents en Ehpad ou pour la rénovation énergétique de logements. Le groupe MoDem, pourtant membre de la majorité, a même fait adopter une majoration de la taxation des “superdividendes” sans l’aval du gouvernement.
Plus de 2 000 amendements sont encore à examiner, sur les plus de 3 400 déposés, à commencer lundi par la proposition de la Nupes de rétablir l’ISF. Et de gros sujets restent à venir, comme la taxation des “superprofits”.
“On voit qu’il n’y a pas de blocage ou d’obstruction à l’Assemblée, mais simplement des votes qui ne vont pas dans le sens du gouvernement. Par conséquent, dans l’optique du 49.3, Élisabeth Borne a intérêt à déposer un texte dans lequel certains amendements sont repris pour éviter d’être accusée de passer en force. Il faudra faire preuve d’un savant équilibre”, juge Pascal Perrineau.
Les oppositions divisés sur le vote d’une motion de censure
C’est ce qu’a entrepris la Première ministre en réunissant lundi matin les patrons des groupes parlementaires de la majorité – Renaissance, MoDem, Horizons –, mais aussi certains présidents de groupes d’opposition, pour faire le tri dans les différents amendements.
Bruno Le Maire a déjà dit oui à une TVA à 5,5 % sur les masques (idée socialiste) et à une baisse de l’impôt sur les sociétés pour les “petites PME” (soutenue par le MoDem et LR). En revanche, l’exécutif s’oppose à ce que les amendements adoptés portant sur le retour de l'”exit tax”, la majoration sur les “superdividendes” ou le retour de l’impôt sur la fortune – dans le cas où cet amendement serait voté lundi après-midi – figurent dans le texte final de son projet de loi de finances.
De quoi donner des arguments aux oppositions, qui ont toutes manifesté leur désapprobation vis-à-vis de la méthode choisie par le gouvernement. “Est-ce à dire qu’à partir de maintenant le vote de tel ou tel amendement qui ne serait pas en accord avec le budget du gouvernement, ce sera pour la gloire ou est-ce que ça rentrera dans le débat de façon normale ?”, a interrogé le président de la commission des finances, Éric Coquerel (LFI), en ouverture de la séance, lundi après-midi, à l’Assemblée nationale.
La séance est initiée par l’intervention d’@ericcoquerel, à propos des amendements qui seront conservés ou non : “Des présidents de groupe ont été contactés, pas tous. À partir de maintenant le vote de tel ou tel amendement, considère-t-on que ce sera pour la gloire ?” #Budget pic.twitter.com/kvozkm6ztA
— LCP (@LCP) October 17, 2022
“L’Assemblée nationale, c’est pas la Samaritaine. On ne fait pas son marché entre les amendements qui seraient bons, qui plaisent au gouvernement, et les amendements qui ne plaisent pas au gouvernement”, a déclaré de son côté Marine Le Pen (RN).
.@MLP_officiel déclare ne pas avoir été, en sa qualité de présidente de groupe, consultée par le gouvernement. “L’Assemblée nationale c’est pas la Samaritaine, on ne fait pas son marché entre les amendements qui seraient bons, et ceux qui ne plaisent pas au gouvernement”. #Budget pic.twitter.com/Gv8zouqEN3
— LCP (@LCP) October 17, 2022
“Nous avons le sentiment d’une mascarade”, a également regretté la députée LR Véronique Louwagie. “Les annonces qui sont effectuées, distillées, avec des amendements qui pourraient être retenus, d’autres qui ne le seraient pas, donnent une certaine amertume et un goût de théâtre”, a-t-elle ajouté.
Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a répondu que les débats permettaient de “clarifier les positions” des uns et des autres, tout en accusant les oppositions d’être opposées par principe au vote du budget. “Vous avez refusé le compromis, c’est vous qui avez choisi le 49.3 !”, leur a-t-il lancé.
Pour autant, les oppositions, qui pourraient, à l’occasion de l’utilisation du 49.3, faire tomber le gouvernement grâce au passage d’une motion de censure, ne semblent pas décider à le faire. Si la Nupes et le RN ont bien en stock des motions quasiment prêtes qui seront déposées, aucune n’a de chances d’obtenir une majorité : la plupart des députés de la Nupes se refusent à voter en faveur d’une motion de censure émanant de l’extrême droite, tandis que Marine Le Pen a indiqué qu'”a priori” le RN ne votera pas non plus pour une motion déposée par la gauche. Par ailleurs, les 59 députés LR, dont le soutien est nécessaire pour le passage d’une motion de censure, semblent peu enclins à faire tomber le gouvernement, ces derniers n’ayant pas envie d’être considérés par leurs électeurs comme les responsables d’un éventuel désordre.