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L’indépendance de la Cour suprême au Brésil suspendue à la présidentielle

En prétendant vouloir nommer de nouveaux juges au Tribunal suprême fédéral, institution centrale de la jeune démocratie brésilienne, Jair Bolsonaro fait souffler le chaud et le froid sur la campagne présidentielle. Il galvanise sa base électorale, puis recule pour rassurer les indécis. En cas de réélection, le candidat d’extrême droite serait cependant en mesure de réformer l’institution garante de la Constitution.

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À deux semaines du deuxième tour de l’élection présidentielle au Brésil, qui se tiendra le 30 octobre, l’issue de l’âpre combat auquel se livrent l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva et l’actuel président, Jair Bolsonaro, reste très incertain.

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Découvrez le webdoc consacré à l’élection présidentielle au Brésil © Studio graphique France Médias Monde

Avec 48 % des voix obtenues au premier tour, Lula s’est lancé dans une opération de séduction à destination des électorats évangéliques et centristes pour tenir à distance son rival d’extrême droite. Avec 43 %, Jair Bolsonaro a fait beaucoup mieux que ce que lui prédisaient les sondages et croit plus que jamais en sa réélection.

Depuis deux semaines, il poursuit sa campagne en alternant entre sa posture présidentielle et des emportements bien calculés, qui ont fait son succès auprès de sa base ultra-conservatrice et antisystème. Ces derniers jours, il a à nouveau utilisé l’une de ses tactiques politiques favorites, celle de la menace et du “retenez-moi, ou je vais faire un malheur”. Avec cette fois-ci, la plus haute instance judiciaire du pays dans le viseur, le Tribunal suprême fédéral, l’équivalent de la Cour suprême au Brésil.

Vocifération et langage fleuri

Vendredi 7 octobre, devant des journalistes réunis dans la salle de réception du palais présidentiel à Brasilia, Jair Bolsonaro est soudain devenu véhément. Il accuse la presse de soutenir Lula et vocifère contre les juges du Tribunal suprême fédéral, qualifiant même l’un d’eux, Alexandre de Moraes, de “dictateur”.


Le contentieux entre les deux hommes remonte à 2001 : le juge avait en effet ordonné une enquête pour “désinformation” contre le président, qui remettait en cause la validité du vote électronique, utilisé au Brésil depuis la fin des années 1990. 

Sur sa lancée, Jair Bolsonaro affirme devant les journalistes “qu’on lui a suggéré” d’augmenter le nombre de juges au Tribunal suprême fédéral. “Il y a des gens qui me disent : ‘Tu n’as qu’à en nommer cinq de plus’. Moi, je peux pas en faire passer cinq. Il faut d’abord en parler au Parlement. On verra ça après les élections”, s’exclame-t-il. Dans la foulée, son actuel vice-président, le général Hamilton Mourão déclare à son tour que des changements doivent intervenir à la Cour suprême, tant dans sa composition que dans son mandat, évoquant une nébuleuse “limitation de décision monocratique”. 

Gardienne de la Constitution

Le STF (Supremo tribunal federal, en portugais), la plus haute instance du pouvoir judiciaire brésilien, est le gardien de la Constitution et ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours. Les 11 juges qui la composent sont nommés à vie par le président de la République et doivent se retirer à l’âge de la retraite, fixé pour eux à 75 ans.

Actuellement cette cour suprême compte sept juges nommés par Lula et sa successeure de gauche Dilma Rousseff, deux nommées par des présidents de centre droit et deux autres nommés par Jair Bolsonaro durant son mandat. Entre 2022 et 2026, le prochain président nommera au moins deux juges.

En affirmant qu’il veut modifier la composition du Tribunal suprême fédéral, Jair Bolsonaro revendique une nouvelle fois l’héritage de la dictature militaire (1964-1985). Les généraux avaient alors nommé cinq juges de plus à la cour, afin de la rendre plus docile sans pour autant la faire disparaître totalement, et maintenir ainsi les apparences d’institutions démocratiques.

Dimanche dernier, devant le tollé provoqué par ses déclarations enflammées, Jair Bolsonaro adopte un ton plus modéré. Au cours d’une conversation de quatre heures avec un youtubeur, détendu et souriant, vêtu du maillot de la Seleçao, il affirme que si “la Cour suprême fait baisser un peu la température” des attaques le visant, il abandonnera peut-être ses velléités de nomination de nouveaux juges, ce qui lui permettrait d’obtenir une majorité en sa faveur lors d’un éventuel second mandat. 

Et dans une ultime volte-face, mardi, le président en campagne finit par déclarer qu’il n’a pas l’intention de modifier la composition de la Cour, accusant même la presse d’avoir “inventé cette histoire”.

Des menaces au recul, une méthode bien rôdée

Pour Armelle Enders, historienne du Brésil contemporain à l’université Paris-8, cette séquence est l’illustration d’une méthode politique bien éprouvée. “Sa tactique, c’est la menace puis le recul. D’abord, il menace pour rassembler sa base, son noyau dur, puis après il recule parce qu’il sait qu’à chaque fois qu’il a tenu des propos putschistes, il a perdu du terrain dans les sondages. En revenant en arrière, il se renormalise et rassure ceux qui ont des réserves contre lui. “

Un coup de billard à trois bandes que le président brésilien avait déjà expérimenté le 7 septembre 2021. Il avait alors appelé ses partisans à envahir le Tribunal suprême fédéral à Brasilia, avant de les appeler au calme alors que ceux-ci avaient répondu en masse à son appel. “La pratique de Jair Bolsonaro, c’est de menacer, d’ignorer les institutions pour les réduire à la distinction amis-ennemis”, ajoute la spécialiste, qui note aussi que “la Cour suprême a assez peu gêné Bolsonaro (pendant son mandat, NDLR). Elle n’a pas été un frein dans des circonstances importantes mais la critique que lui font Bolsonaro et les siens, c’est qu’elle soit politisée. C’est une vision binaire : en ne soutenant pas le bolsonarisme, la Cour fait de la politique et fait donc partie des ‘ennemis'”.

Réélu, Jair Bolsonaro aurait-il une majorité pour réformer le “Supremo” ?

Cet épisode démontre une nouvelle fois la maîtrise d’une communication politique qui flirte sans cesse avec la critique de la démocratie et du “système”, sans jamais franchir de ligne rouge. Pendant quatre ans, en alternant menaces, invectives, outrances, puis en faisant (parfois) amende honorable et souvent volte-face, Jair Bolsonaro s’est révélé un maître tacticien sans doute très inspiré des méthodes de Donald Trump et du Parti républicain aux États-Unis.

Cependant, les excellents résultats des candidats soutenus par Bolsonaro aux élections parlementaires, qui ont eu lieu en même temps que le premier tour de la présidentielle, le 2 octobre, peuvent lui donner la majorité nécessaire pour modifier la Constitution, et donc de modifier la composition de la Cour suprême.

À la Chambre des députés, le Parti libéral auquel s’est affilié Jair Bolsonaro a obtenu 99 des 513 sièges, du jamais-vu pour un parti brésilien depuis 1998. Si l’on ajoute les sièges du Parti progressiste et des Républicains, deux autres formations qui soutiennent inconditionnellement Bolsonaro, on obtient plus d’un tiers des députés (190). Au Sénat, le parti du président s’est adjugé 13 sièges sur les 81 de la chambre haute, contrôlée à 53 % par des partis de droite.

En cas de réélection, Jair Bolsonaro pourrait ainsi trouver suffisamment de voix pour mettre ses menaces à exécution. “Le plus gros risque contre la démocratie dans un second mandat de Bolsonaro serait qu’il puisse faire davantage pression sur le judiciaire”, résume Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales à la fondation Getulio Vargas à Sao Paulo.

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