Le Parti communiste chinois organise, à partir de dimanche, son XXe Congrès, une grand-messe qui promet d’entrer dans l’Histoire : Xi Jinping devrait devenir le premier dirigeant chinois depuis Mao Zedong à faire trois mandats successifs. Mais le grand raout du PCC devrait aussi permettre de jauger l’ampleur réelle de la mainmise de Xi Jinping sur le parti. Explications.
Ce sont 2 296 délégués, 205 membres du Comité central, sept représentants au Comité permanent du Bureau politique et un homme tout en haut : Xi Jinping. Le XXe Congrès du Parti communiste chinois, qui s’ouvre dimanche 16 octobre à Pékin, sera une célébration de tout cet appareil du plus vaste parti politique au monde, fort de plus de 96 millions d’adhérents en Chine.
Mais cette grand-messe sera surtout à la gloire du secrétaire général du PCC, Xi Jinping. L’actuel dirigeant chinois enchaînera, en effet, un troisième mandat à la tête du parti à l’occasion de ce congrès historique. Depuis Mao Zedong, une règle interdisait à un dirigeant de cumuler plus de deux mandats successifs.
Une limitation fixée à l’origine pour empêcher une trop forte concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme et éviter les dérives de la fin de règne de Mao Zedong. Mais Xi en a fait fi en faisant effacer cette règle des textes officiels en 2018, ouvrant la voie à un possible règne à vie.
Mesures de sécurité drastiques à Pékin
L’actuel leader de la deuxième puissance économique au monde a d’ailleurs tout fait pour que son sacre se déroule sans accroc. Pékin vit depuis juin au rythme des mesures de sécurité mises en place en marge de la préparation du XXe Congrès. Plus d’un million d’individus ont été arrêtés, les employés de grandes entreprises sises à Pékin n’ont pas le droit de quitter la ville durant la période du congrès, et les visiteurs transportant des bouteilles d’eau sont “invités” à boire une gorgée devant les policiers afin de prouver qu’ils ne transportent pas de liquide dangereux, raconte le Financial Times.
Dimanche 9 octobre, Xi Jinping a aussi réuni les 300 membres du Comité central pour une dernière répétition des annonces qui seront faites lors du congrès. Car ce dernier est avant tout une chambre d’enregistrement : les tractations se sont déroulées en coulisse en amont.
Le résultat éclatera au grand jour à partir du 16 octobre. Il y a encore deux ans, avant le Covid-19, la plupart des observateurs pensaient que le suspense était limité : il devait s’agir du congrès de la consécration pour Xi Jinping.
Mais entre-temps, “il y a eu la pandémie et l’application controversée de la très coûteuse politique du ‘zéro Covid’, les tensions sino-américaines sur fond de conflit commercial et le rapprochement entre la Chine et la Russie, à l’heure où Vladimir Poutine s’est engagé dans une guerre en Ukraine condamnée par une grande partie de la communauté internationale”, énumère Marc Lanteigne, spécialiste de la politique chinoise à l’Université arctique de Norvège.
Pour cet expert, Xi Jinping a tellement concentré les pouvoirs entre ses mains qu’il pourra difficilement se dégager de toute responsabilité si certaines orientations politiques venaient à être remises en cause. Il y aurait donc deux scénarios possibles : un congrès qui confirme ou renforce la mainmise de Xi Jinping sur le parti ou un “sommet qui permettra de constater combien de pouvoir il a réussi à conserver malgré tout”, résume Marc Lanteigne.
Pékinologues cherchent signes désespérément
Si l’enjeu principal de ce Congrès est ainsi clair, deviner à l’avance lequel des scénarios triomphera “relève de la spéculation, tant le parti est devenu opaque sous Xi Jinping”, reconnaît Daniel Leese, historien et sinologue à l’université de Fribourg-en-Brisgau.
Traquer les signes avant-coureurs de l’évolution du rapport de force était d’ordinaire l’un des jeux favoris des pékinologues à l’approche d’un Congrès du PCC. Il pouvait s’agir des “fuites” de documents de travail dans la presse officielle, écrits par un ponte de l’une ou l’autre faction au sein du parti. C’était une manière de savoir qui avait le vent en poupe parmi les cadres dirigeants.
Mais cette année, rien ou presque ne transparaît. L’une des principales tendances serait “une baisse du nombre d’articles de propagande pro-Xi Jinping depuis quelque temps. Ce qui, en soi, a été perçu par certains comme un indicateur du sens du vent politique”, poursuit Daniel Leese. Ce signe, cependant, reste difficile à interpréter. “Il peut aussi bien vouloir dire que Xi Jinping a perdu de sa superbe, ou alors qu’il est tellement sûr de son ascendant qu’il n’a même plus besoin de propagande”, estime l’historien allemand.
Les spéculations prendront fin avec la levée du rideau sur le XXe Congrès. Encore faut-il savoir décrypter le rituel, et connaître les clefs de la grammaire du PCC pour lire entre les lignes des annonces officielles.
Xi Jinping et les factions
Dans la scénographie officielle d’un congrès du PCC, le moment le plus important intervient lors de la présentation des 25 membres du Bureau politique, l’organe suprême de décision au sein du parti.
À l’occasion de ce XXe Congrès, près de la moitié des sièges peuvent être renouvelés, car les titulaires en place ont dépassé l’âge limite (68 ans). “On verra à ce moment combien de fidèles Xi Jinping réussira à y faire élire”, note Daniel Leese.
Ce sera le principal moment de vérité, car la composition de cet organe reflète l’équilibre des forces entre les différentes factions et “la marge de manœuvre politique dont disposera Xi Jinping”, précise Marc Lanteigne.
Car il existe bel et bien des factions au sein du PCC, malgré l’image d’un parti tout entier dévoué à la cause de Xi Jinping. Deux des principaux clans qui pourraient encore donner un peu de fil à retordre au puissant secrétaire général sont “la clique de Shanghai, soutenue par l’ancien dirigeant chinois Jiang Zemin et qui prône davantage de réformes économiques, et la faction des Jeunesses communistes, qui défend la primauté du parti sur ses dirigeants”, résument les experts interrogés par France 24.
Mais pour démêler ces luttes intestines, encore faut-il savoir à quelle faction appartient chaque membre du parti. Un travail pour pékinologue averti, même si certains médias, comme le South China Morning Post, se sont efforcés d’éclairer la lanterne du commun des mortels.
De l’importance des “Pensées de Xi Jinping”
Le sort de Li Keqiang, l’actuel Premier ministre, sera l’un des indicateurs de l’emprise de Xi Jinping les plus parlants pour les non-initiés. À 67 ans, il s’approche en théorie de l’âge de la retraite, et le président chinois a tout fait pour minimiser son influence. L’heure serait venue pour Xi de le remplacer par l’un de ses fidèles. “S’il n’y parvient pas, c’est un signe que Xi Jinping n’est pas parvenu à bousculer le statu quo en sa faveur”, souligne Alex Payette, sinologue et directeur du cabinet Cercius Group, basé à Montréal.
Si Li Keqiang reste aux premières loges du pouvoir, c’est aussi un début de désaveu pour un pan de la politique économique de Xi Jinping. “Le Premier ministre, bien qu’effacé, bénéficie d’une image d’homme sympathique qui a ses propres idées économiques [au début des années 2010, il avait été question des “Likonomics”, NDLR]. Si Xi Jinping n’arrive pas à l’écarter, ce sera aussi un signe que le parti peut vouloir essayer une autre approche économique dans le contexte actuel de ralentissement de la croissance”, juge Marc Lanteigne.
Mais ce congrès n’est pas qu’une question d’hommes. Les symboles et l’idéologie y joueront un rôle important. “L’une des grandes questions sera de savoir si Xi Jinping va réussir à faire raccourcir le titre de son apport idéologique au parti qui s’appelle ‘La Pensée de Xi Jinping, sur le socialisme à la chinoise de la nouvelle ère'”, estime Steve Tsang, directeur du China Institute de la School of Oriental and African Studies de l’université de Londres.
Ce long titre met surtout en avant les orientations, et pas tant le nom du président chinois – qui préfèrerait que sa pensée rentre dans l’Histoire sous le titre “Les Pensées de Xi Jinping” ou “Pensées marxistes Xi Jinping”.
Une nuance de taille car ces reformulations ne font plus référence à la Chine, et par extension au PCC. Si le XXe Congrès entérine cette modification, Xi Jinping sera officiellement élevé au-dessus du parti, ce qui, pour Steve Tsang, “détruirait tout l’édifice d’une prise de décision collective et ferait de Xi Jinping non plus l’homme fort d’un parti, mais un dictateur”.