Neom, un projet de construction démesuré en plein désert saoudien porté par le prince héritier Mohammed ben Salmane, attire de plus en plus de critiques, notamment des ONG de défense des droits de l’Homme. Trois membres de la communauté Howeitat ont été condamnés à mort pour s’être opposés à l’expulsion de leur tribu de la province de Tabuk, où se construit Neom. Explications.
Mohammed ben Salmane parlait d’une “révolution civilisationnelle qui place l’humain au premier plan” lors de la présentation, le 25 juillet, de The Line – une ville concept au sein du mégaprojet Neom, récemment choisi pour accueillir les Jeux d’hiver asiatiques 2029.
Mais ces ambitions futuristes ne semblent pas placer les droits humains au premier plan : trois membres de la tribu Howeitat ont été condamnés à mort, début octobre, par des tribunaux d’exception saoudiens. Shadli, Ibrahim et Ataullah al-Howeiti protestaient contre l’expulsion de leur groupe de la province désertique de Tabuk, dans le nord-ouest de l’Arabie saoudite, là où doit être construite la future Neom.
“Ces sentences choquantes montrent une fois de plus le mépris cruel des autorités saoudiennes pour les droits de l’Homme, et les mesures cruelles qu’elles sont prêtes à prendre pour punir les membres de la tribu Howeitat pour avoir légitimement protesté contre l’expulsion forcée de leurs maisons”, a réagi l’organisation saoudienne de défense des droits humains ALQST, dans un communiqué publié lundi 10 octobre.
Par ailleurs, deux Howeitat ont aussi été arrêtés et condamnés chacun à 50 ans de prison en août dernier pour s’être opposés, là encore, à une expulsion dans le cadre du mégaprojet Neom. Et les persécutions de la tribu semblent s’accentuer depuis des mois, comme l’a rapporté en septembre le média Middle East Eye : “Depuis décembre (2021), les membres de la tribu des Howeitat signalent l’escalade de la campagne des autorités saoudiennes pour les chasser de leurs terres. Parmi les nouvelles mesures figurent les coupures d’eau et d’électricité et le survol par des drones de surveillance.”
“L’Arabie saoudite a non seulement recours à la peine de mort pour des crimes de sang mais également pour des délits mineurs (comme c’est le cas ici, NDLR)”, rappelle Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty International France. “On accuse faussement les gens et la peine de mort est légitimée pour bâillonner l’opposition saoudienne. C’est insupportable, c’est un outil de persécution du peuple.”
Un Howeiti abattu par les forces de l’ordre en 2020
Parmi les trois condamnés à mort, dont la sentence n’a pas encore été exécutée, Ibrahim al-Howeiti a fait partie d’une délégation de résidents locaux qui a rencontré, en 2020, la commission officielle chargée d’obtenir du gouvernement saoudien les titres de propriété des terres nécessaires au projet Neom. Ataullah al-Howeiti a, quant à lui, été vu dans plusieurs clips vidéo où il parle de la misère à laquelle sa famille et tous les autres résidents déplacés étaient confrontés après la décision des autorités de les expulser.
Shadli al-Howeiti a lui aussi contesté l’expulsion de sa tribu. Il est par ailleurs le frère d’Abdou Rahim al-Howeiti, figure martyre des opposants à l’expulsion de leur territoire ancestral – les Howeitat sont présents depuis plusieurs siècles en Arabie saoudite, en Jordanie et dans la péninsule du Sinaï.
Abdou Rahim al-Howeiti a été abattu par les forces de l’ordre le 13 avril 2020 pour avoir critiqué l’expulsion forcée de sa tribu et avoir refusé de quitter sa maison. L’homme, se sentant menacé, avait exprimé ses plaintes dans plusieurs vidéos publiées notamment sur YouTube, comme l’avait alors rapporté le Guardian.
“(Les autorités) ont commencé le processus d’expulsion (…). Ils ont arrêté tous ceux qui disaient qu’ils ne voulaient pas partir, qui voulaient rester dans leur maison”, déclarait-il dans l’une de ses dernières vidéos. “Je ne serais pas surpris qu’ils viennent me tuer dans ma maison maintenant, et qu’ils placent une arme à côté de moi”. Selon la version officielle de Riyad, Abdou Rahim al-Howeiti “était en fait un terroriste”.
Neom “pour les touristes”
Cette situation contraste avec les débuts du mégaprojet de ville futuriste lancé en grande pompe en octobre 2017 par le prince saoudien Mohammed ben Salmane, dit MBS, – par ailleurs président du conseil d’administration de Neom. MBS avait alors annoncé la création d’une gigantesque zone de développement économique, avec des investissements projetés à plus de 500 milliards de dollars.
“Neom est une vision de ce à quoi un nouveau futur pourrait ressembler”, proclame le site officiel qui présente ce projet grand comme trois fois l’île de Chypre. Selon des documents révélés par le Wall Street Journal en 2019, Neom brillerait par sa démesure : la ville pourrait inclure une énorme lune artificielle, des plages phosphorescentes, des taxis volants propulsés par des drones ou encore une attraction de type Jurassic Park avec des lézards animés.
Mais cette ambition prend forme au détriment de la population locale, des Howeitat en premier lieu. “Neom est construit sur notre sang, sur nos os”, a déclaré au Guardian Alia Hayel Aboutiyah al-Howeiti, une militante et membre de la tribu vivant à Londres. “Ce n’est absolument pas pour les gens qui vivent déjà là-bas ! C’est pour les touristes, les gens qui ont de l’argent. Mais pas pour les personnes qui vivent là”.
Au moins 92 personnes exécutées en Arabie saoudite depuis le début de l’année
L’Arabie saoudite fait partie des États “rétentionnistes”, c’est-à-dire qui maintiennent encore la peine de mort dans leur loi, selon Amnesty International. Depuis le début de l’année, au moins 92 personnes ont été exécutées – dont 81 en un seul jour, le 12 mars dernier.