Devant la pénurie de carburants qui menace certains services publics, Matignon a annoncé mardi la “réquisition” des personnels essentiels du groupe Esso-ExxonMobil en grève. Une arme juridique exceptionnelle et radicale. Risquée aussi.
La menace planait depuis quelques jours déjà. Mardi 11 octobre, le gouvernement est passé à l’offensive. Face au conflit social perturbant le fonctionnement de raffineries et de dépôts en France, la Première ministre a annoncé la réquisition des personnels pour le déblocage des dépôts de carburants du groupe Esso-ExxonMobil. “J’ai demandé aux préfets d’engager (…) la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts de cette entreprise”, a lancé Élisabeth Borne à l’Assemblée nationale lors de la séance des questions au gouvernement.
Pour l’heure, la réquisition demandée par l’exécutif ne concerne que le groupe Esso-ExxonMobil, où un accord sur des hausses de salaire a été trouvé. Mais elle pourrait rapidement s’étendre à TotalEnergies, où les négociations achoppent toujours. Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a d’ailleurs prévenu après l’annonce d’Élisabeth Borne que si le blocage persistait à TotalEnergies, le gouvernement ordonnerait les mêmes réquisitions.
“Droit de la nécessité”
Cette procédure, pour le moins exceptionnelle, est légale. L’article L2215-1 alinéa 4 du Code général des collectivités territoriales prévoit des réquisitions uniquement dans les cas exceptionnellement graves, quand les pouvoirs publics ne possèdent plus ni les moyens matériels ni les moyens légaux de faire autrement. Dans ces cas très restreints, les préfets peuvent alors “réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service”. Autrement dit, lorsque l’État est frappé d’impuissance pour assurer l’ordre public, il peut faire prévaloir ce “droit de la nécessité”.
Il ne s’agit pas pour l’État de remettre toutes les raffineries en état de marche mais d’assurer un fonctionnement minimal, limité aux “services essentiels” afin de permettre aux véhicules d’intervention prioritaire, comme ceux des pompiers, du Samu ou de la police d’être ravitaillés – sans quoi la pénurie pourrait avoir des conséquences directes sur la vie et la sécurité des Français.
Un précédent en 2010
Ce n’est pas la première fois que l’exécutif recourt à ce dispositif d’urgence. À l’automne 2010 déjà, en pleine réforme des retraites, le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait dégainé cette arme d’exception pour remettre des grévistes au travail dans des raffineries et sortir la France de la paralysie. Mais certaines réquisitions avaient été contestées en justice et des arrêts préfectoraux avaient alors été cassés.
Le tribunal administratif de Melun avait notamment estimé qu’en “réquisitionnant la quasi-totalité du personnel de la raffinerie Total de Grandpuits” […] et non en tentant d’assurer uniquement le “service minimum”, le préfet avait porté une “atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève”. Mais d’autres réquisitions avaient été validées par la justice. C’est le cas de la raffinerie Total de Gargenville dans les Yvelines : le juge des référés avait validé la réquisition du préfet, notamment parce qu’il fallait alimenter l’aéroport de Roissy qui n’avait plus que trois jours de stock de carburant.
Risque politique et social
La situation actuelle s’avère toutefois différente car il n’est nullement question de réquisition intégrale. Mais pour les syndicats, toute réquisition, quelle qu’elle soit, demeure inacceptable car elle remet en cause le droit de grève. Dans un communiqué, la CGT a dénoncé une “attaque inadmissible” contre le droit de grève et décidé de suspendre “sa participation à toutes les réunions avec le gouvernement et le patronat dans la période”. Elle a également appelé “toutes ses organisations à soutenir massivement les salariés des raffineries, en se rendant sur les piquets de grève ou en manifestant devant les préfectures et sous-préfectures”.
Reste qu’une telle mesure, aussi radicale et efficace soit-elle, peut s’avérer politiquement dangereuse. Dans le contexte inflationniste actuel, elle pourrait encourager les syndicats à attiser un contexte social déjà tendu. Alors que la Nupes organise dimanche, à l’initiative de La France insoumise, une “marche contre la vie chère”, ce nouveau passage en force pourrait entraîner une convergence des luttes.