Auteur d’un morceau devenu malgré lui l’hymne des manifestants protestant contre la mort en détention de Mahsa Amini, le chanteur iranien Shervin Hajipour a été libéré mardi après avoir été détenu plusieurs jours par les autorités iraniennes. Depuis, le jeune homme a exprimé des propos condamnant l'”usage politique détourné de la chanson” – des déclarations vraisemblablement tenues sous la contrainte. Sa chanson continue de résonner à travers le pays malgré les pressions.
Reprise dans les cours d’école, diffusée clandestinement dans un centre commercial, la nuit par les fenêtres des immeubles des quartiers résidentiels iraniens… De nombreuses vidéos relayées sur les réseaux sociaux montrent la chanson de l’Iranien Shervin Hajipour, reprise à travers l’Iran.
Son morceau “Baraye” est devenu l’hymne officieux du mouvement de protestations déclenchées par la mort en détention de Mahsa Amini le 16 septembre. En quelques jours, le morceau diffusé sur la page Instagram du chanteur a atteint près de 40 millions de vues avant d’être supprimée quand Shervin Hajipour a été arrêté la semaine dernière dans le nord de l’Iran.
Mais le jeune homme a depuis été libéré, mardi 4 octobre, sous caution. Mais il a pris ses distances avec la vie politique, vraisemblablement une condition pour sa libération.
“Baraye”, qui signifie “À cause de” en persan, compile des tweets sur les protestations et liste les raisons qui ont poussé les Iraniens à manifester après la mort de Mahsa Amini. Elle souligne aussi les préoccupations de la population face aux pénuries causées par les sanctions économiques infligées à l’Iran, leur gestion par les autorités du pays, la pollution, les arrestations d’intellectuels…
“Pour la danse dans la rue / À cause de la peur ressentie en s’embrassant / Pour ma sœur, ta sœur, vos sœurs”, dit la chanson. “À cause de la gêne d’avoir les poches vides / Parce que nous aspirons à une vie normale / À cause de cet air pollué.”
“Baraye” entonné par des écolières iraniennes
Le week-end dernier, la chanson a aussi été reprise en chœur par les Iraniens de la diaspora lors de rassemblements dans plus de 150 villes à travers le monde.
En Iran, le morceau a été chanté dans des cours d’école. Dans une vidéo partagée par le Center for Human Rights in Iran, basé à New York, on peut apercevoir un groupe d’écolières sans foulard entonner “Baraye” en classe, dos à la caméra.
La chanson a été retirée du compte Instagram de Shervin Hajipour peu de temps après son arrestation, mais est toujours largement disponible sur les réseaux sociaux, y compris Twitter et YouTube.
“Baraye” a par ailleurs inspiré de nombreuses reprises à travers le monde, par des anonymes en Corée du Sud, ou encore par l’éditorialiste du Jerusalem Post Emily Schrader, qui a déclaré avoir appris la chanson en persan et s’est filmée sur Instagram en train de l’interpréter, rassemblant plus de 650 000 vues.
“Stories Instagram forcées”
L’avocat du chanteur, Majid Kaveh, a indiqué qu’il avait été libéré le 4 octobre à midi. Sa famille avait été informée le 1er octobre de son arrestation à Sari, dans le nord du pays, a précisé le journal réformiste Shargh dans des articles citant sa sœur, Kamand Hajipour.
Dans un post sur Instagram, cette dernière a déclaré que ses parents avaient été informés de son arrestation par téléphone par les services du ministère du Renseignement de la ville.
Peu de temps après sa libération, Shervin Hajipour était de retour sur Instagram, mais cette fois pour présenter des excuses et prendre ses distances avec la vie politique. “Je suis ici pour rester, je vais bien”, a-t-il annoncé à ses 1,9 million d’abonnés. “Mais je suis désolé que certains mouvements particuliers basés en dehors d’Iran, avec lesquels je n’ai aucun lien, aient fait un usage politique détourné de la chanson (…) Je n’échangerais mon pays contre aucun autre et je resterai pour ma patrie, mon drapeau, mon peuple, et je chanterai”, a-t-il ajouté.
En réponse à cette publication, de nombreux internautes sur Twitter ont proposé d’ajouter “À cause de stories Instagram forcées” aux paroles de la chanson, suggérant que le jeune chanteur a posté ces propos sous la contrainte.
Des organisations de défense des droits humains, notamment Article 19, ont à plusieurs reprises appelé l’Iran à cesser de recourir aux aveux forcés, obtenus selon elles sous la contrainte, voire la torture.
A woman who was yelled at on a bus in Tehran b/c of her alleged “improper” hijab has now been slapped with charges including “encouraging corruption and prostitution.”
Sepideh Rashno is a poet and author who has committed no crime other than being a woman in #Iran. #سپیده_رشنو pic.twitter.com/qxzs2MbEWj
— IranHumanRights.org (@ICHRI) August 22, 2022
Récemment, une jeune poétesse iranienne, Sepideh Rashno, a disparu à Téhéran après avoir été impliquée dans une dispute avec une autre femme qui l’accusait d’avoir retiré son voile à bord d’un bus. Elle a été détenue par le puissant corps des Gardiens de la révolution islamique et a fait une apparition à la télévision, avec une blessure à l’œil, se livrant à ce que des activistes ont qualifié de confession forcée. Sepideh Rashno a ensuite été libérée sous caution fin août.
Avec AFP