Présentée à partir du 4 octobre à la mairie du 11e arrondissement de Paris, l’exposition “Sous terre et sur terre” met en lumière les œuvres collectives d’enfants ukrainiens réalisées depuis le métro, où ils avaient trouvé refuge pour fuir les bombardements. France 24 a rencontré ses organisateurs, lors de leur brève visite à Paris.
Mykola Kolomiets n’avait jamais voyagé hors de l’Ukraine. Arrivé il y a deux jours à Paris, il tente de prendre ses marques. “Les sons me perturbent ici, les avions surtout… À chaque grondement j’ai l’impression qu’il faut que je m’abrite. Mais j’essaye de garder ça à distance, je suis là pour le travail”, explique-t-il, avec timidité, par le biais de sa traductrice.
Cet Ukrainien de 39 ans est directeur de l’atelier d’artistes “Aza Nizi Maza” dans la deuxième ville d’Ukraine, Kharkiv. Il est venu en France pour présenter l’exposition “Sous terre et sur terre”, fruit d’un travail collectif avec des enfants. Une expérience artistique unique et intense, réalisée au printemps dernier dans le métro de la ville, où s’étaient alors réfugiés plusieurs centaines de familles.
Enfermés sous terre
Dès le début de l’offensive russe en Ukraine, déclenchée le 24 février dernier, Kharkiv, deuxième plus grande ville du pays, figure parmi les cibles prioritaires de Moscou. Début mars, alors que les forces russes sont bloquées aux abords de la mégalopole, Moscou accentue sa campagne de bombardement, forçant des dizaines de milliers de civils à se réfugier sous terre.
“Le métro ne fonctionnait plus et les gens se sont installés partout, sur les quais, dans les wagons… En quelques jours, c’est devenu une véritable ville”, explique Ivanna Skyba-Yakoubova, co-organisatrice de l’exposition.
La station “Musée historique”, en plein cœur de la ville, offre un grand espace qui devient vite le terrain de jeu des enfants, qui courent, chahutent ou bien arpentent les couloirs en skateboard pour tromper l’ennui.
C’est là que Mykola décide d’installer un atelier temporaire. “Il s’agissait au départ avant tout d’occuper les enfants”, précise-t-il. “La plupart d’entre eux n’avaient jamais participé à un projet artistique, je leur ai donc proposé de laisser libre court à leur imagination. Certains se sont mis à dessiner des formes abstraites ou des mosaïques de couleurs, d’autres des personnages ou des animaux. Petit à petit nous avons engagé une réflexion et transformé ces œuvres en expression artistique collective, chacun apportant sa pièce au puzzle autour des messages qu’ils voulaient véhiculer ensemble”.
Regards d’enfants sur la guerre
En quelques semaines, l’austère station de métro se métamorphose en galerie d’art. Le petit groupe d’enfants et leur nouveau mentor réalisent sur les pylônes une série de portraits monumentaux. Les “héros” de la guerre y figurent en bonne place sous les traits de l’infirmière, du soldat et du volontaire ainsi que de la famille ukrainienne, sans le père, parti combattre. Ces portraits côtoient des fresques plus énigmatiques comme la figure d’un ange, intitulée “Nouvelle Ukraine”, ou bien celui d’un immeuble, transformé en pot de fleur, à la gloire du printemps. Une série aux couleurs vives, empreinte de représentations bucoliques, qui contraste avec des messages parfois très noirs comme le gigantesque oiseau du jeune Maks, 10 ans, accompagné de la phrase “La guerre est l’obscurité, on m’a volé le ciel”.
“Certains enfants restaient sous terre plusieurs jours de suite sans possibilité de sortir et cette situation a duré plusieurs mois” explique Ivanna. “Peindre le printemps était pour eux une manière de garder le contact avec leur environnement et de profiter des transformations de la nature, à défaut de pouvoir les constater de leurs propres yeux. Leurs portraits reflètent des sentiments mêlés : le désir d’évasion, l’insouciance mais aussi les privations et la détresse, car la situation était catastrophique dans ces couloirs avec un seul sanitaire pour plusieurs centaines de personnes”.
Envisager la suite
Fin mai, les soldats ukrainiens parviennent à repousser les forces russes vers la frontière et la ville connaît une période d’accalmie. Le maire de Kharkiv appelle alors les Ukrainiens à quitter leurs abris et annonce la reprise du métro après trois mois d’interruption. Un semblant de vie normale revient petit à petit. Mais les enfants, eux, sont toujours largement privés d’école.
Selon le maire de Kharkiv, plus de la moitié des 200 établissements scolaires de la ville ont été touchés par des frappes depuis le début de la guerre.
“Il est devenu très difficile d’étudier en Ukraine depuis le début de l’invasion russe” déplore Ivanna. “À Kharkiv, seul un petit nombre d’écoles qui ont un sous-sol peuvent recevoir des élèves, car elles doivent pouvoir les abriter en cas de frappe. L’enseignement en ligne a été mis en place, mais cet outil est parfois difficile d’accès pour les enfants issus de familles modestes”.
“Avant la guerre, j’organisais des ateliers artistiques payants pour les enfants” explique Mykola. “La plupart de ces familles ont depuis quitté la ville pour se réfugier dans des endroits plus calmes. Les jeunes avec qui j’ai travaillé dans le métro viennent de milieux moins favorisés. La plupart d’entre eux n’avait jamais eu de contact avec l’art. Depuis la réouverture du métro, nous continuons à travailler ensemble dans mon studio mais de manière différente. J’essaye de les pousser à approfondir leurs propres styles et aussi à travailler le textile et la céramique dans l’optique de vendre des objets pour qu’ils puissent aider leurs familles. C’est pourquoi je me sens investi d’une mission ici à Paris.”
Après un weekend prolongé dans la capitale française pour promouvoir le travail des enfants, Mykola et Ivanna sont repartis lundi vers l’Ukraine. Un voyage de deux jours avec une escale en Pologne, puis seize heures de train et sept heures de bus pour rejoindre Kharkiv, les aéroports du pays ayant fermé depuis le début de la guerre.
L’exposition “Sous terre et sur terre”, rassemblant les œuvres des enfants ukrainiens, est accessible librement à la mairie du 11e arrondissement de Paris, du 4 octobre au 4 novembre.